Ratou se sent grand

Un soir, autour du feu de bois qui illuminait la chaumière, Ratou, le raton laveur, dit à sa Mamie :
- Mamie, à présent je suis grand, je peux aller tout seul à l'école.
Mamie lui sourit tendrement : 
- A ton âge, tout le monde pense être grand, mais c'est loin d'être vrai.
- Parle pour les autres, répondit Ratou, moi je suis vraiment grand, n'oublie pas que je viens d'avoir 5 ans !
- Demain tu verras, tu ne devras pas venir me conduire à l'école, je prendrai mon cartable et mon casse-croûte et je partirai tout seul.
- Très bien, répondit Mamie.

Elle se souvenait qu'à l'âge de Ratou elle avait dit la même chose à sa grand-mère. La grande aventure s'était arrêtée au coin de la rue lorsqu'elle n'avait pas osé traverser la route toute seule. Ce sera pareil pour lui pensa-t-elle. Le lendemain matin, Ratou était debout plus tôt que de coutume. Il s'habilla en moins de temps qu'il faut pour le dire et avala son bol de lait en trente secondes.  Il empoigna énergiquement son cartable et sortit fièrement de la maison, laissant sa Mamie sur le pas de la porte.

Il sera de retour dans deux minutes soupira Mamie. Mais Ratou était bien décidé à aller jusqu'au bout. Lorsqu'il arriva en face de la boutique du boulanger, Ratou se retourna. Bien sûr on lui avait appris la signification des feux de signalisation, mais pris de panique, il ne savait plus s'il fallait que le petit bonhomme soit rouge ou vert pour traverser en toute sécurité.
- Si c'est vert, je peux passer..., si c'est rouge... 

Ratou ne savait plus, mais son orgueil le poussait à continuer. Il s'élança sans se préoccuper plus longtemps de la couleur du petit bonhomme. Les crissements des pneus et les coups de klaxon lui indiquèrent que manifestement il était passé au mauvais moment. Il se retrouva néanmoins, avec beaucoup de chance,   sain et sauf de l'autre côté de la chaussée. Hélas, dans sa précipitation, notre ami avait laissé tomber son casse-croûte. Il le chercha des yeux et le vit disparaître sous les roues de la camionnette du facteur. Tant pis se dit Ratou, à mon âge, on peut très bien se passer de manger pendant une journée.

Il continua donc sa route, plus  décidé que jamais. Mais un ennui n'arrive jamais seul.  Ratou savait que la bande des Rappetous semait la terreur tous les matins sur le chemin de l'école. Mais il n'en avait cure.  Lui était plus fort que tous et pouvait braver les adversaires les plus redoutables.
- Eh, p'tit gars   lui lança tout à coup une voix. 
- Tu sais qu'il me plaît ton cartable  .
- C'est juste celui que veut ma petite soeur, il n'y en a plus dans les magasins, ce serait bien que tu le lui prêtes.

Ratou filait tout droit en faisant semblant de ne rien entendre. Mais ses petites jambes ne faisaient pas le poids face à l'armoire à glace qui le poursuivait.
- Allez, ne fais pas le malin, donne-moi ton cartable ! 
Ratou se retourna, il vit le regard menaçant du garçon qui l'avait interpellé et les yeux pleins de larmes lui abandonna son cartable. Il s'assit sur le bord du trottoir et pleura la tête entre les mains.
- J'ai tout perdu, tout perdu, sanglotait Ratou.
- C'est vrai, tu as tout perdu, même la face, lui dit une voix douce et familière.

Ratou releva la tête et aperçut le visage protecteur de sa Mamie.
- Je n'ai pu résister, je t'ai suivi mais de trop loin pour pouvoir intervenir, regretta-t-elle.
- Oh Mamie, s'exclama Ratou en allant se blottir dans ses bras, Comme j'ai été bête.
- C'est vrai, répondit Mamie, mais contrairement à ce que tu penses, tu n'as pas tout perdu. Cette leçon te servira sans doute plus que tu ne l'imagines.
Ratou ne répondit pas et glissa sa petite main dans la main de la vieille dame avant de reprendre le chemin de l'école...