« Modernité » : différence entre les versions

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[[File:La scuola di Atene.jpg|thumb|230px|Formulé pour la première fois au début du {{s-|XIX}}, le concept de modernité trouve l'une de ses premières origines dans la référence à la [[philosophie antique]] durant la Renaissance, et singulièrement dans les premières années du {{s-|XVI}}, en même temps que l'[[humanisme]].<br>''[[L'École d'Athènes]]'', fresque réalisée au [[Vatican]] par [[Raphaël (peintre)|Raphaël]] entre 1508 et 1512.]]
[[File:La scuola di Atene.jpg|thumb|230px|Formulé pour la première fois au début du {{s-|XIX}}, le concept de modernité trouve l'une de ses premières origines dans la référence à la [[philosophie antique]] durant la Renaissance, et singulièrement dans les premières années du {{s-|XVI}}, en même temps que l'[[humanisme]].<br>''[[L'École d'Athènes]]'', fresque réalisée au [[Vatican]] par [[Raphaël (peintre)|Raphaël]] entre 1508 et 1512.]]
La '''modernité''' est un [[Concept (philosophie)|concept]] qui fait chier la madmae de ecr et nous même putain désignant l’idée d'agir en conformité avec son temps et non plus en fonction de valeurs, considérées ''de facto'' comme "dépassées". Les [[Philosophie|philosophes]], [[Anthropologie|anthropologues]] et [[Sociologie|sociologues]] traitent principalement de ce concept<ref>[[Bruno Karsenti]], [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2013-4-page-547.htm Sociologie, philosophie : la modernité en question], ''Archives de Philosophie'', 2013/4, tome 76, p. 547-551.</ref> mais aussi les [[Historien|historiens]], quand ils qualifient de "[[Époque moderne|moderne]]" une des [[Époque historique|époques]] qu'ils étudient. Si bien que l'adjectif "moderne" est entré dans le langage usuel.


La '''modernité''' est un [[Concept (philosophie)|concept]] désignant l’idée d'agir en conformité avec son temps et non plus en fonction de valeurs, considérées ''de facto'' comme « dépassées ». Les [[Philosophie|philosophes]], [[Anthropologie|anthropologues]] et [[Sociologie|sociologues]] traitent principalement de ce concept<ref>[[Bruno Karsenti]], [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2013-4-page-547.htm Sociologie, philosophie : la modernité en question], ''Archives de Philosophie'', 2013/4, tome 76, {{p.|547-551}}.</ref> mais aussi les [[Historien|historiens]], quand ils qualifient de « [[Époque moderne|moderne]] » une des [[Époque historique|époques]] qu'ils étudient. Si bien que l'adjectif « moderne » est entré dans le langage usuel.
Très liée aux idées d'{{page h'|Émancipation|émancipation}}, de [[croissance économique|croissance]], d'{{page h'|Évolution|évolution}}, de [[progrès]] et d'[[innovation]], le concept de modernité constitue l’opposé non seulement des idées d'[[immobilisme]] et de {{page h'|Stagnation|stagnation}} mais des idées d'attachement au [[passé]] ([[tradition]], [[conservatisme]]...) : « être moderne », c'est d'abord « être tourné vers l'[[Futur|avenir]] ». En cela, le concept de modernité constitue ce que le sociologue [[Max Weber]] appelle un ''[[idéal-type]]'', voire la base d'une ''[[idéologie]]''<ref>Stéphane Haber, [https://laviedesidees.fr/L-ideologie-de-la-modernite.html L’idéologie de la modernité] (à propos du livre de [[Marcel Gauchet]], ''L’Avènement de la démocratie'', tome IV, ''La Vie des idées'', 28 février 2018.</ref>.

Très liée aux idées d'{{page h'|Émancipation|émancipation}}, de [[croissance économique|croissance]], d'{{page h'|Évolution|évolution}}, de [[progrès]] et d'[[innovation]], le concept de modernité constitue l’opposé non seulement des idées d'[[immobilisme]] et de {{page h'|Stagnation|stagnation}} mais des idées d'attachement au [[passé]] ([[tradition]], [[conservatisme]]…) : « être moderne », c'est d'abord « être tourné vers l'[[Futur|avenir]] ». En cela, le concept de modernité constitue ce que le sociologue [[Max Weber]] appelle un ''[[idéal-type]]'', voire la base d'une ''[[idéologie]]''<ref>Stéphane Haber, [https://laviedesidees.fr/L-ideologie-de-la-modernite.html L’idéologie de la modernité] (à propos du livre de [[Marcel Gauchet]], ''L’Avènement de la démocratie'', tome IV, ''La Vie des idées'', 28 février 2018.</ref>.


En France, le mot n'émerge qu'au début du {{s-|XIX}} mais certains philosophes {{incise|notamment [[Leo Strauss]]}} font remonter le concept au début du {{s-|XVI}} autour de la figure de [[Machiavel]], pour exprimer l’idée que les humains conçoivent la politique en fonction de critères [[Rationalité|rationnels]] (économiques, démographiques...) et non plus, comme par le passé, en fonction de considérations religieuses ou [[Théologie|théologiques]]. D'autres intellectuels, plus rares, font remonter les origines du concept de modernité à l'[[Antiquité grecque]]<ref>[[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident'', Les Belles Lettres, 2016</ref>. Le thème de la modernité, comme celui du [[progrès]], constitue l'un des principaux fondements de la pensée dite [[Humanisme|"humaniste"]].
En France, le mot n'émerge qu'au début du {{s-|XIX}} mais certains philosophes {{incise|notamment [[Leo Strauss]]}} font remonter le concept au début du {{s-|XVI}} autour de la figure de [[Nicolas Machiavel|Machiavel]], pour exprimer l’idée que les humains conçoivent la politique en fonction de critères [[Rationalité|rationnels]] (économiques, démographiques…) et non plus, comme par le passé, en fonction de considérations religieuses ou [[Théologie|théologiques]]. D'autres intellectuels, plus rares, font remonter les origines du concept de modernité à l'[[Antiquité grecque]]<ref>[[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident'', Les Belles Lettres, 2016</ref>. Le thème de la modernité, comme celui du [[progrès]], constitue l'un des principaux fondements de la pensée dite [[Humanisme|"humaniste"]].


À partir de la seconde moitié du {{s-|XX}}, ce concept est de plus en plus fréquemment remis en cause par les [[intellectuels]], considéré comme arbitraire, car indexé à l'[[Progrès|idéologie du progrès]]. Mais le débat reste confus, les tenants d'une "[[post-modernité]]" s'opposant notamment à ceux d'une "non-modernité". Au début du {{s-|XXI}}, les avis demeurent partagés mais tous évoquent l'idée d'une « crise de la modernité »<ref>Barbara Koehn, ''La Crise de la modernité européenne'', Presses universitaires de Rennes, 2001</ref> : le philosophe [[Marc Halévy]], conclue à {{citation| l'échec de la modernité<ref>{{lien web |titre=L'échec de la Modernité |url=http://www.noetique.eu/billets/2010/echec-modernite |site=Expertise & Prospective |consulté le=24-10-2020}}.</ref>}}, le sociologue [[Olivier Bobineau]] estime que {{citation|nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la modernité}}<ref>[[Olivier Bobineau]], [https://journals.openedition.org/sociologies/3536 La troisième modernité, ou « l'individualisme confinitaire »], ''Sociologies'', 6 juillet 2011</ref> et son confrère allemand [[Hartmut Rosa]] parle d'une {{citation|fuite en avant de la modernité<ref>Laurent Jeanpierre, [https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html La fuite en avant de la modernité] (recension du livre d'[[Hartmut Rosa]], ''L'Accélération''), ''Le Monde'', 15 avril 2010</ref>}}.
À partir de la seconde moitié du {{s-|XX}}, ce concept est de plus en plus fréquemment remis en cause par les [[intellectuels]], considéré comme arbitraire, car indexé à l'[[Progrès|idéologie du progrès]]. Mais le débat reste confus, les tenants d'une {{citation|[[post-modernité]]}} s'opposant notamment à ceux d'une {{citation|non-modernité}}. Au début du {{s-|XXI}}, les avis demeurent partagés mais tous évoquent l'idée d'une {{citation|crise de la modernité}}<ref>Barbara Koehn, ''La Crise de la modernité européenne'', Presses universitaires de Rennes, 2001</ref> : le philosophe [[Marc Halévy]], conclut à {{citation|l'échec de la modernité}}<ref>{{lien web |titre=L'échec de la Modernité |url=http://www.noetique.eu/billets/2010/echec-modernite |site=Expertise & Prospective |consulté le=24-10-2020}}.</ref>, le sociologue [[Olivier Bobineau]] estime que {{citation|nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la modernité}}<ref>[[Olivier Bobineau]], [https://journals.openedition.org/sociologies/3536 La troisième modernité, ou « l'individualisme confinitaire »], ''Sociologies'', 6 juillet 2011</ref> et son confrère allemand [[Hartmut Rosa]] parle d'une {{citation|fuite en avant de la modernité}}<ref>Laurent Jeanpierre, [https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html La fuite en avant de la modernité] (recension du livre d'[[Hartmut Rosa]], ''L'Accélération''), ''Le Monde'', 15 avril 2010</ref>.


Autre sujet de débat : alors que la question de la modernité est le plus souvent circonscrite à l'[[Occident]], certains intellectuels estiment que l'on peut considérer que l'[[Extrême-Orient]] a été "plus moderne" que l'Occident ou "plus tôt". Les publications se multiplient également quant au rapport de l'[[islam]] à la modernité.
Autre sujet de débat : alors que la question de la modernité est le plus souvent circonscrite à l'[[Occident]], certains intellectuels estiment que l'on peut considérer que l'[[Extrême-Orient]] a été "plus moderne" que l'Occident ou "plus tôt". Les publications se multiplient également quant au rapport de l'[[islam]] à la modernité.


Le thème de la modernité traverse plusieurs siècles et il est abordé dans de [[#Les_domaines_de_la_modernité|nombreux domaines]] (philosophie, sociologie, histoire ; mais aussi art, science, technique...). De [[#Bibliographie|nombreux livres]] et de [[#Liens_externes|nombreux articles]] lui sont consacrés. De surcroît, il ne cesse d'être ponctué de [[controverses]], voire de [[Polémique|polémiques]]. Différents penseurs recommandent d'éviter de l'[[Hypostase#Hypostase_en_philosophie|hypostasier]] et d'engager en revanche une approche à la fois [[diachronique]] et [[Interdisciplinarité|transversale]] : réexaminer son sens en fonction des contextes tout en croisant les approches (philosophie, sociologie, histoire, histoire de l'art...). En France, une des analyses les plus significatives de cette [[Transversalité (sciences humaines et sociales)|approche transversale]] est celle du philosophe [[Jacques Bidet]]. Il voit dans la modernité, une « métastructure », une « matrice abstraite », au sens d'un [[présupposé]] à la fois économique, juridique, politique et idéologique, dont le point de départ serait le [[marché (économie)|marché]] ; celui-ci étant considéré sous toutes ses formes : au sein du [[capitalisme]] mais aussi {{incise|et tout autant}} au sein du « [[capitalisme d'état]] » qu'est le [[communisme]]<ref>[[Jacques Bidet]], ''Théorie de la modernité'', Presses Universitaires de France, 1990</ref>{{,}}<ref>[[Christian Delacroix]], [https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1992_num_49_1_3835_t1_0137_0000_3 « Illusion d'otique »] (recension du livre de Jacques Bidet), ''Espace Temps'', n°49-50, 1992, p. 137-138</ref>.
Le thème de la modernité traverse plusieurs siècles et il est abordé dans de [[#Les_domaines_de_la_modernité|nombreux domaines]] (philosophie, sociologie, histoire ; mais aussi art, science, technique…). De [[#Bibliographie|nombreux livres]] et de [[#Liens_externes|nombreux articles]] lui sont consacrés. De surcroît, il ne cesse d'être ponctué de [[controverses]], voire de [[Polémique|polémiques]]. Différents penseurs recommandent d'éviter de l'[[Hypostase#Hypostase_en_philosophie|hypostasier]] et d'engager en revanche une approche à la fois [[diachronique]] et [[Interdisciplinarité|transversale]] : réexaminer son sens en fonction des contextes tout en croisant les approches (philosophie, sociologie, histoire, histoire de l'art…). En France, une des analyses les plus significatives de cette [[Transversalité (sciences humaines et sociales)|approche transversale]] est celle du philosophe [[Jacques Bidet]]. Il voit dans la modernité, une {{citation|métastructure}}, une {{citation|matrice abstraite}}, au sens d'un [[présupposé]] à la fois économique, juridique, politique et idéologique, dont le point de départ serait le [[marché (économie)|marché]] ; celui-ci étant considéré sous toutes ses formes : au sein du [[capitalisme]] mais aussi {{incise|et tout autant}} au sein du « [[capitalisme d'État]] » qu'est le [[communisme]]<ref>[[Jacques Bidet]], ''Théorie de la modernité'', Presses Universitaires de France, 1990</ref>{{,}}<ref>[[Christian Delacroix]], [https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1992_num_49_1_3835_t1_0137_0000_3 « Illusion d'otique »] (recension du livre de Jacques Bidet), ''Espace Temps'', {{|49-50}}, 1992, {{p.|137-138}}</ref>.


== Origines ==
== Origines ==
=== Le mot ===
=== Le mot ===
Le mot "modernité" vient de l'adjectif "moderne", lui-même issu du [[latin tardif]] ''modernus'' {{incise|qui signifie "récent" ou "actuel"}} et de l'adverbe ''modo'' - qui signifie "à l'instant" ou "il y a peu"<ref>[[Ernst Robert Curtius]], ''La Littérature européenne et le Moyen Âge latin'', 1956, chap. 14, §2. ouvrage réédité aux PUF en 1986.</ref>{{,}}<ref name=rey>[[Alain Rey]] (dir.), ''[[Dictionnaire historique de la langue française]]'', Dictionnaire Robert, 1995, p. 1258</ref>. Selon [[Jürgen Habermas]], ce serait à la fin du {{s-|V}} que le terme « moderne » aurait été utilisé pour la première fois<ref>[[Jürgen Habermas]], ''Discours philosophique de la modernité'', Gallimard, 1988. Cité par Nicolas Duvoux, [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-135.htm#re3no3 Les grammaires de la modernité], ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25, page 136</ref>.
Le mot "modernité" vient de l'adjectif "moderne", lui-même issu du [[latin tardif]] ''modernus'' {{incise|qui signifie "récent" ou "actuel"}} et de l'adverbe ''modo'' - qui signifie "à l'instant" ou "il y a peu"<ref>[[Ernst Robert Curtius]], ''La Littérature européenne et le Moyen Âge latin'', 1956, chap. 14, §2. ouvrage réédité aux PUF en 1986.</ref>{{,}}<ref name=rey>[[Alain Rey]] (dir.), ''[[Dictionnaire historique de la langue française]]'', Dictionnaire Robert, 1995, {{p.|1258}}</ref>. Selon [[Jürgen Habermas]], ce serait à la fin du {{s-|V}} que le terme « moderne » aurait été utilisé pour la première fois<ref>[[Jürgen Habermas]], ''Discours philosophique de la modernité'', Gallimard, 1988. Cité par Nicolas Duvoux, [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-135.htm#re3no3 Les grammaires de la modernité], ''Le Philosophoire'', 2005/2, {{|25}}, page 136</ref>.


L’adjectif ''modernus'' commence à être employé systématiquement à la fin du {{s-|XIV}}, pour désigner à la fois une nouvelle forme de dévotion et une nouvelle manière de philosopher : la ''devotio moderna'' et la ''via moderna''<ref name="guillaud">{{Article |langue=fr |auteur1=Frédéric Guillaud |titre=La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ? |périodique=Le Philosophoire |volume= |numéro=25 |date=2005/2 |pages= p. 77-88 |issn= |e-issn= |lire en ligne=https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-77.htm |consulté le= |id= }}. </ref>. D'après l'''Oxford Encyclopedia Dictionnary'', le terme ''modernity'' entre dans la langue anglaise en 1627 pour signifier "temps présent". Et en 1782, l'écrivain anglais [[Horace Walpole]] l'emploie dans sa ''Lettre sur la poésie de [[Thomas Chatterton]]''.
L’adjectif ''modernus'' commence à être employé systématiquement à la fin du {{s-|XIV}}, pour désigner à la fois une nouvelle forme de dévotion et une nouvelle manière de philosopher : la ''[[devotio moderna]]'' et la ''via moderna''<ref name="guillaud">{{Article |langue=fr |auteur1=Frédéric Guillaud |titre=La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ? |périodique=Le Philosophoire|numéro=25 |date=2005/2 |pages=77-88 |issn=|lire en ligne=https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-77.htm |consulté le=}}.</ref>. D'après l'''Oxford Encyclopedia Dictionnary'', le terme ''modernity'' entre dans la langue anglaise en 1627 pour signifier "temps présent". Et en 1782, l'écrivain anglais [[Horace Walpole]] l'emploie dans sa ''Lettre sur la poésie de [[Thomas Chatterton]]''.


En France, "modernité" apparait pour la première fois en 1822 dans un article de [[critique littéraire]] de [[Honoré de Balzac|Balzac]]<ref>Marion Moreau, [https://www.fabula.org/actualites/balzac-et-la-modernite_52117.php Balzac et la modernité], ''Fabula'', 2012</ref>{{,}}<ref>Roland Chollet, [https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2012-1-page-231.htm Balzac critique littéraire en 1822], ''L'Année balzacienne'', 2012/1, n° 13, p.231-242</ref>, dans lequel celui-ci entend indiquer "ce qui est moderne en littérature"<ref name="rey" />. [[Charles Baudelaire|Baudelaire]] l'emploie en 1859 dans sa critique du peintre [[Constantin Guys]], intitulée ''[[Le Peintre de la vie moderne]]'', qui sera publiée dans ''Le Figaro'' en 1863. En Allemagne, le mot "modernité" apparaît en 1886 quand Eugen Wolff prononce une conférence sur la littérature où il affirme : « Notre idéal suprême en art n’est plus le modèle antique mais le modèle moderne ». Et en 1889, on retrouve "modernisme" avec le sens de "goût prononcé pour les idées rompant avec la tradition et la recherche de tout ce qui est moderne"<ref>Jean Rivière, [https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1928_num_8_3_1425 Pour l'histoire du terme « modernisme »], ''Revue des Sciences religieuses'', 1928, 8-3, p. 398-421</ref>.
En France, "modernité" apparait pour la première fois en 1822 dans un article de [[critique littéraire]] de [[Honoré de Balzac|Balzac]]<ref>Marion Moreau, [https://www.fabula.org/actualites/balzac-et-la-modernite_52117.php Balzac et la modernité], ''Fabula'', 2012</ref>{{,}}<ref>Roland Chollet, [https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2012-1-page-231.htm Balzac critique littéraire en 1822], ''L'Année balzacienne'', 2012/1, {{|13}}, {{p.|231-242}}</ref>, dans lequel celui-ci entend indiquer "ce qui est moderne en littérature"<ref name="rey" />. [[Charles Baudelaire|Baudelaire]] l'emploie en 1859 dans sa critique du peintre [[Constantin Guys]], intitulée ''[[Le Peintre de la vie moderne]]'', qui sera publiée dans ''Le Figaro'' en 1863. En Allemagne, le mot "modernité" apparaît en 1886 quand Eugen Wolff prononce une conférence sur la littérature où il affirme : « Notre idéal suprême en art n’est plus le modèle antique mais le modèle moderne ». Et en 1889, on retrouve "modernisme" avec le sens de "goût prononcé pour les idées rompant avec la tradition et la recherche de tout ce qui est moderne"<ref>Jean Rivière, [https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1928_num_8_3_1425 Pour l'histoire du terme « modernisme »], ''Revue des Sciences religieuses'', 1928, 8-3, {{p.|398-421}}</ref>.


=== Le concept ===
=== Le concept ===
Si le mot "modernité" n'émerge qu'au {{s-|XIX}}, le concept qu'il recouvre est plus ancien.
Si le mot "modernité" n'émerge qu'au {{s-|XIX}}, le concept qu'il recouvre est plus ancien.


Selon l'historien [[Pierre Chaunu]], il remonte au début du {{s-|XIV}} à travers deux expressions nouvelles {{incise|la ''[[devotio moderna]]'' et la ''via moderna''}} et renvoie à un nouveau type de relation de l'homme avec le temps, consécutivement à l'apparition des premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]] à la fin du siècle précédent : cette relation n'est plus exclusivement qualitative, elle est aussi ''quantitative'' et elle va le devenir de plus en plus : {{citation|à la question: ''qu'est-ce-que l'homme moderne ?'', j'irai jusqu'à répondre en forme de boutade : ''c'est celui qui vit en regardant sa montre''<ref name=chaunu>{{Lien web |auteur=[[Pierre Chaunu]] |titre=La modernité, qu'est-ce que c'est ? |url=http://www.erf-auteuil.org/conferences/la-modernite-qu-est-ce-que-c-est.html |date=20 février 1996 |site=Études et recherche |consulté le= }}. </ref>.}}
Selon l'historien [[Pierre Chaunu]], il remonte au début du {{s-|XIV}} à travers deux expressions nouvelles {{incise|la ''[[devotio moderna]]'' et la ''via moderna''}} et renvoie à un nouveau type de relation de l'homme avec le temps, consécutivement à l'apparition des premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]] à la fin du siècle précédent : cette relation n'est plus exclusivement qualitative, elle est aussi ''quantitative'' et elle va le devenir de plus en plus : {{citation|à la question : ''qu'est-ce-que l'homme moderne ?'', j'irai jusqu'à répondre en forme de boutade : ''c'est celui qui vit en regardant sa montre''}}<ref name=chaunu>{{Lien web |auteur=[[Pierre Chaunu]] |titre=La modernité, qu'est-ce que c'est ? |url=http://www.erf-auteuil.org/conferences/la-modernite-qu-est-ce-que-c-est.html|date=20 février 1996 |site=Études et recherche |consulté le= }}.</ref>.


L'usage de l'adjectif "moderne", tel qu'on l'entend habituellement aujourd'hui {{incise|"novateur" ou "innovant"}}, remonte au milieu du {{s-|XVI}}. Ainsi par exemple quand le tout premier [[historien de l'art]], [[Giorgio Vasari]], qualifie de ''[[maniera moderna]]'' la manière de peindre de [[Léonard de Vinci]]<ref>[[Giorgio Vasari]], ''[[Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes]]'', première édition en 1550.</ref>. On doit également à Vasari, un peu plus tard (en 1568) le terme [[Renaissance|« Rinascita » (Renaissance)]], pour décrire l'ensemble de la rupture stylistique qui s'opère à l'époque sous ses yeux dans le domaine artistique.
L'usage de l'adjectif "moderne", tel qu'on l'entend habituellement aujourd'hui {{incise|"novateur" ou "innovant"}}, remonte au milieu du {{s-|XVI}}. Ainsi par exemple quand le tout premier [[historien de l'art]], [[Giorgio Vasari]], qualifie de ''[[maniera moderna]]'' la manière de peindre de [[Léonard de Vinci]]<ref>[[Giorgio Vasari]], ''[[Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes]]'', première édition en 1550.</ref>. On doit également à Vasari, un peu plus tard (en 1568) le terme [[Renaissance|« Rinascita » (Renaissance)]], pour décrire l'ensemble de la rupture stylistique qui s'opère à l'époque sous ses yeux dans le domaine artistique.


Ce n'est toutefois qu'à la fin du {{s-|XIX}} que la [[sociologie]], [[Science humaine|science]] alors naissante, s'empare véritablement du concept pour en faire un objet de recherche à part entière. On mentionne alors généralement les écrits d'[[Émile Durkheim]], [[Georg Simmel]] et [[Max Weber]]<ref>[[Danilo Martuccelli]], ''Sociologies de la modernité'', Gallimard, collection Folio/Essais, 1999.<br>[https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_65_1_2190_t1_0106_0000_4 Recension] par Pierre-Olivier Monteil, ''Autres Temps'', 2000, n°65 p.106-108.</ref>.
Ce n'est toutefois qu'à la fin du {{s-|XIX}} que la [[sociologie]], [[Science humaine|science]] alors naissante, s'empare véritablement du concept pour en faire un objet de recherche à part entière. On mentionne alors généralement les écrits d'[[Émile Durkheim]], [[Georg Simmel]] et [[Max Weber]]<ref>[[Danilo Martuccelli]], ''Sociologies de la modernité'', Gallimard, {{coll.|Folio essais}}, 1999.<br>[https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_65_1_2190_t1_0106_0000_4 Recension] par Pierre-Olivier Monteil, ''Autres Temps'', 2000, {{|65}}, {{p.|106-108}}.</ref>.


La principale idée véhiculée et promue par le concept de modernité est l'idée d'autodétermination : {{citation bloc|le principe essentiel de la modernité est la [[liberté]] (ou plutôt) ''la faculté de s’autodéterminer''. Il ne s’agit pas seulement du [[libre-arbitre]], qui est la faculté de faire un choix libre (qui n’a rien de spécifiquement moderne), mais de la possibilité de ''définir par soi-même les normes de son existence''. (...). La modernité va plus loin que la [[philosophie grecque]], qui constitue la première rupture organisée avec l’idée de [[tradition]] : car si [[Socrate]] mettait en suspens la tradition, les coutumes et les mœurs établies, c’était pour scruter les véritables fins objectives de l’homme, la véritable norme éternelle, incréée : la ''nature''. (...) (Or) la modernité n’accepte pas l’idée de [[Humanité|nature humaine]] ; car pour elle, c’est l’homme qui invente sa propre nature au cours de l’histoire<ref name=guillaud/>.}}
La principale idée véhiculée et promue par le concept de modernité est l'idée d'autodétermination :
{{citation bloc|le principe essentiel de la modernité est la [[liberté]] (ou plutôt) ''la faculté de s’autodéterminer''. Il ne s’agit pas seulement du [[libre-arbitre]], qui est la faculté de faire un choix libre (qui n’a rien de spécifiquement moderne), mais de la possibilité de ''définir par soi-même les normes de son existence''. (). La modernité va plus loin que la [[philosophie grecque]], qui constitue la première rupture organisée avec l’idée de [[tradition]] : car si [[Socrate]] mettait en suspens la tradition, les coutumes et les mœurs établies, c’était pour scruter les véritables fins objectives de l’homme, la véritable norme éternelle, incréée : la ''nature''. () (Or) la modernité n’accepte pas l’idée de [[Humanité|nature humaine]] ; car pour elle, c’est l’homme qui invente sa propre nature au cours de l’histoire<ref name=guillaud/>.}}


En 1983, l'historien [[Jean Chesneaux]] estime que {{citation|la modernité à laquelle se réfèrent (aujourd'hui) docilement économistes et urbanistes, dirigeants agricoles et gestionnaires socio-culturels, celle dont nous avons l'expérience et dans laquelle nous nous débattons, n'a plus grand chose à voir avec la modernité comme référence culturelle, celle qui fascinait [[Charles Baudelaire|Baudelaire]], celle dont se réclamèrent [[Arthur Rimbaud|Rimbaud]], [[Octave Mirbeau|Mirbeau]], [[Jean Cocteau|Cocteau]] et tant d'autres, celle que [[Walter Benjamin|Benjamin]] saluait sous les traits de l'''[[Angelus novus (Klee)|Angelus Novus]]'' de [[Paul Klee]]<ref>[[Jean Chesneaux]], ''De la modernité'', La Découverte, 1983. [https://www.cairn.info/de-la-modernite--9782707114143-page-5.htm Introduction], p. 5-9.</ref>}}. Commentant ce propos, le théoricien du langage, [[Henri Meschonnic]] s'en démarque vigoureusement et met en garde contre la tentation de « diviser la modernité, ce qui arrive quand on prend pour une évidence que l’urbanisme et l’économie, dans leurs conséquences quotidiennes, n’ont rien à voir » avec ce que célébraient les artistes et les intellectuels du {{s-|XIX}}. Considérer ainsi la modernité, c’est se retrancher dans « des discours de spécialistes » et perdre ainsi de vue la globalité de tout un processus<ref>[[Henri Meschonnic]], ''Modernité, modernité'', Verdier, 1988 ; réed. Gallimard, coll. Folio-essais, 1994, p.48-49.</ref>.
En 1983, l'historien [[Jean Chesneaux]] estime que {{citation|la modernité à laquelle se réfèrent (aujourd'hui) docilement économistes et urbanistes, dirigeants agricoles et gestionnaires socio-culturels, celle dont nous avons l'expérience et dans laquelle nous nous débattons, n'a plus grand chose à voir avec la modernité comme référence culturelle, celle qui fascinait [[Charles Baudelaire|Baudelaire]], celle dont se réclamèrent [[Arthur Rimbaud|Rimbaud]], [[Octave Mirbeau|Mirbeau]], [[Jean Cocteau|Cocteau]] et tant d'autres, celle que [[Walter Benjamin|Benjamin]] saluait sous les traits de l'''[[Angelus novus (Klee)|Angelus Novus]]'' de [[Paul Klee]]}}<ref>[[Jean Chesneaux]], ''De la modernité'', La Découverte, 1983. [https://www.cairn.info/de-la-modernite--9782707114143-page-5.htm Introduction], {{p.|5-9}}.</ref>. Commentant ce propos, le théoricien du langage, [[Henri Meschonnic]] s'en démarque vigoureusement et met en garde contre la tentation de « diviser la modernité, ce qui arrive quand on prend pour une évidence que l’urbanisme et l’économie, dans leurs conséquences quotidiennes, n’ont rien à voir » avec ce que célébraient les artistes et les intellectuels du {{s-|XIX}}. Considérer ainsi la modernité, c’est se retrancher dans {{citation|des discours de spécialistes}} et perdre ainsi de vue la globalité de tout un processus<ref>[[Henri Meschonnic]], ''Modernité, modernité'', Verdier, 1988 ; réed. Gallimard, {{coll.|Folio essais}}, 1994, {{p.|48-49}}.</ref>.


=== La pertinence ===
=== La pertinence ===
Régulièrement, des intellectuels de disciplines différentes contestent la pertinence du terme "modernité" car ils objectent que, pris au sens littéral, il ne veut pas dire grand chose. Citons deux exemples.
Régulièrement, des intellectuels de disciplines différentes contestent la pertinence du terme « modernité » car ils objectent que, pris au sens littéral, il ne veut pas dire grand chose. Citons deux exemples.


En 1928, le psychiatre suisse [[Carl Gustav Jung]] affirme que la question essentielle n'est pas le concept de modernité mais la psychologie des humains quand ils se prétendent "modernes" : {{citation bloc|Des hommes modernes (en définitive), il n'en n'est pas beaucoup car leur existence exige la plus haute ''conscience de soi'', une conscience intensive et extensive l'extrême, avec un minimum d'inconscience. (...) Ce n'est pas l'homme vivant actuellement qui est moderne, car alors tout ce qui vit aujourd'hui le serait ; c'est seulement celui qui a la plus profonde ''conscience du présent''. (...) L'homme véritablement moderne se trouve souvent parmi ceux qui se donnent pour des gens vieillots<ref>[[Carl Gustav Jung]], in ''Europäische Revue'', décembre 1928. Paru dans ''Seelenprobleme der Gegenwart'', Rascher, Zurich, 1928. Trad. fr. « Le problème psychique de l'homme moderne » in ''Problèmes de l'Ame moderne'', Buchet-Chastel, 1996</ref>.}}
En 1928, le psychiatre suisse [[Carl Gustav Jung]] affirme que la question essentielle n'est pas le concept de modernité mais la psychologie des humains quand ils se prétendent "modernes" :
{{citation bloc|Des hommes modernes (en définitive), il n'en est pas beaucoup car leur existence exige la plus haute ''conscience de soi'', une conscience intensive et extensive l'extrême, avec un minimum d'inconscience. () Ce n'est pas l'homme vivant actuellement qui est moderne, car alors tout ce qui vit aujourd'hui le serait ; c'est seulement celui qui a la plus profonde ''conscience du présent''. () L'homme véritablement moderne se trouve souvent parmi ceux qui se donnent pour des gens vieillots<ref>[[Carl Gustav Jung]], in ''Europäische Revue'', décembre 1928. Paru dans ''Seelenprobleme der Gegenwart'', Rascher, Zurich, 1928. Trad. fr. « Le problème psychique de l'homme moderne » in ''Problèmes de l'Ame moderne'', Buchet-Chastel, 1996</ref>.}}


En 1974, l'historien de la littérature [[Hans Robert Jauss]] écrit :
En 1974, l'historien de la littérature [[Hans Robert Jauss]] écrit :{{citation bloc|La prétention qu'implique le concept de modernité selon laquelle le temps présent ou bien notre époque aurait le privilège de la nouveauté et pourrait donc s'affirmer ''en progrès'' par rapport au passé est totalement illusoire. En effet, presque tout au long de l'histoire de la culture grecque et romaine, d'Homère à Tacite, on voit le débat entre les "modernes", les tenants de cette prétention, et les zélateurs des "anciens", se ranimer à tout moment, pour être chaque fois dépassé de nouveau en dernière instance par la simple marche de l'histoire. Les "modernes" devenant eux-mêmes avec le temps des "anciens" et de nouveaux venus reprenant alors le rôle des "modernes", on constate que cette évolution se reproduit avec la régularité d'un cycle naturel<ref>[[Hans Robert Jauss]], « La modernité dans la tradition littéraire et la conscience d'aujourd'hui » in ''Pour une esthétique de la réception'', Gallimard, 1978, p.159</ref>.}}Comme l'écrivait déjà [[Jean de La Bruyère|La Bruyère]] à la fin du {{s-|XVII}}, {{citation|nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles<ref>[[Jean de La Bruyère]], ''Discours sur Théophraste'', Michallet, 1688 ; in ''Les Caractères'', dernière édition, Flammarion, 2013</ref>}}. Alors, pourquoi toute cette littérature sur "la modernité" ? Et pourquoi, à la fin du {{s-|XX}}, de nouveaux vocables se multiplient-ils, comme autant de surenchères (« [[postmodernité]] », « [[hypermodernité]] », etc.) ?
{{citation bloc|La prétention qu'implique le concept de modernité selon laquelle le temps présent ou bien notre époque aurait le privilège de la nouveauté et pourrait donc s'affirmer ''en progrès'' par rapport au passé est totalement illusoire. En effet, presque tout au long de l'histoire de la culture grecque et romaine, d'Homère à Tacite, on voit le débat entre les "modernes", les tenants de cette prétention, et les zélateurs des "anciens", se ranimer à tout moment, pour être chaque fois dépassé de nouveau en dernière instance par la simple marche de l'histoire. Les "modernes" devenant eux-mêmes avec le temps des "anciens" et de nouveaux venus reprenant alors le rôle des "modernes", on constate que cette évolution se reproduit avec la régularité d'un cycle naturel<ref>[[Hans Robert Jauss]], « La modernité dans la tradition littéraire et la conscience d'aujourd'hui » in ''Pour une esthétique de la réception'', Gallimard, 1978, p.159</ref>.}}


Comme l'écrivait déjà [[Jean de La Bruyère|La Bruyère]] à la fin du {{s-|XVII}}, {{citation|nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles}}<ref>[[Jean de La Bruyère]], ''Discours sur Théophraste'', Michallet, 1688 ; in ''Les Caractères'', dernière édition, Flammarion, 2013</ref>. Alors, pourquoi toute cette littérature sur "la modernité" ? Et pourquoi, à la fin du {{s-|XX}}, de nouveaux vocables se multiplient-ils, comme autant de surenchères (« [[postmodernité]] », « [[hypermodernité]] », etc.) ?
Le mot « modernité » n'est plus qu'un poncif<ref>Christian Wasselin, « Modernité. Un poncif de notre temps », ''Le Débat'', 2001</ref> et {{citation|son usage de plus en plus intempérant {{incise|non seulement en histoire, en esthétique, en critique littéraire mais aussi en économie, en politique ou en publicité}} aboutit à une véritable cacophonie, mêlant les acceptions les plus contradictoires<ref>Yves Vadé (dir.), « Ce que modernité veut dire », Presses universitaires de Bordeaux, 1994</ref>}}. Pour autant, on va le voir, le thème continue d'absorber les réflexions des intellectuels comme « une crise d'adolescence de l'humanité qui s'éternise »<ref>Frédéric Guillaud, La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ? ''Le Philosophoire'' n° 25, 2005, p. 77-88</ref>.

Le mot « modernité » n'est plus qu'un poncif<ref>Christian Wasselin, « Modernité. Un poncif de notre temps », ''Le Débat'', 2001</ref> et {{citation|son usage de plus en plus intempérant {{incise|non seulement en histoire, en esthétique, en critique littéraire mais aussi en économie, en politique ou en publicité}} aboutit à une véritable cacophonie, mêlant les acceptions les plus contradictoires}}<ref>Yves Vadé (dir.), « Ce que modernité veut dire », Presses universitaires de Bordeaux, 1994</ref>. Pour autant, on va le voir, le thème continue d'absorber les réflexions des intellectuels comme « une crise d'adolescence de l'humanité qui s'éternise »<ref>Frédéric Guillaud, La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ? ''Le Philosophoire'' {{n°|25}}, 2005, {{p.|77-88}}</ref>.


== Quelques définitions liminaires ==
== Quelques définitions liminaires ==
Bien que la pertinence du terme "modernité" soit régulièrement contestée, le ''concept'' "modernité", lui, est à l'origine d'un très grand nombre d'analyses. Se pose alors la difficulté de définir celui-ci. Selon l'universitaire Alexis Nouss, cette difficulté vient du fait qu'il repose sur deux socles distincts : d'une part la [[Histoire|science historique]], d'autre part la [[philosophie morale]] et les disciplines dérivées.{{citation bloc|La notion de modernité ne peut se suffire d'un simple emploi à fin de ''périodisation''. Elle implique également une ''valorisation'', dynamique qui - en tant que telle - ouvre une complexe problématique :<br>- il ne suffit pas d'être inscrit dans une période historique dite "moderne" pour qu'un sujet le soit automatiquement lui-même ;<br>- à l'inverse, on ne peut pas se proclamer tel en dehors d'une historicité justifiant cette valorisation.<br>Donc, à la fois s'opposent et se complètent les deux versants de la modernité : valorisation et périodisation<ref>Alexis Nouss, ''La Modernité'', éd. Jacques Grancher, coll. «Ouverture», 1991, p. 10.</ref>.}}De fait, on retrouve cette bipolarité dans la quasi-totalité des définitions du terme{{#tag:ref|Lire Yves Bonny, ''Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ?'' Armand Colin, 2004. réed. 2007. p.30-31|group=n}}.
Bien que la pertinence du terme "modernité" soit régulièrement contestée, le ''concept'' "modernité", lui, est à l'origine d'un très grand nombre d'analyses. Se pose alors la difficulté de définir celui-ci. Selon l'universitaire Alexis Nouss, cette difficulté vient du fait qu'il repose sur deux socles distincts : d'une part la [[Histoire|science historique]], d'autre part la [[philosophie morale]] et les disciplines dérivées.
{{citation bloc|La notion de modernité ne peut se suffire d'un simple emploi à fin de ''périodisation''. Elle implique également une ''valorisation'', dynamique qui - en tant que telle - ouvre une complexe problématique :<br>- il ne suffit pas d'être inscrit dans une période historique dite "moderne" pour qu'un sujet le soit automatiquement lui-même ;<br>- à l'inverse, on ne peut pas se proclamer tel en dehors d'une historicité justifiant cette valorisation.<br>Donc, à la fois s'opposent et se complètent les deux versants de la modernité : valorisation et périodisation<ref>Alexis Nouss, ''La Modernité'', éd. Jacques Grancher, coll. «Ouverture», 1991, p. 10.</ref>.}}
De fait, on retrouve cette bipolarité dans la quasi-totalité des définitions du terme{{#tag:ref|Lire Yves Bonny, ''Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ?'' Armand Colin, 2004. réed. 2007. {{p.|30-31}}|group=n}}.


=== Encyclopedia Universalis (1985) ===
=== Encyclopedia Universalis (1985) ===
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=== Dictionnaire des sciences humaines (2004) ===
=== Dictionnaire des sciences humaines (2004) ===
{{citation bloc|On s'accorde à identifier la modernité avec la [[Époque moderne|période historique]] qui s'ouvre en Occident avec la [[Renaissance]] ({{s|XV}}). Cette ère nouvelle est marquée par des transformations de grande ampleur qui ont affecté à la fois les structures sociales ([[urbanisation]], naissance du [[capitalisme]]...), les [[modes de vie]] et les valeurs ([[individualisme]], avènement des [[libertés publiques]], [[égalité des droits]]), les idées (essor de la [[Rationalisme|pensée rationnelle]], des sciences...) et la politique ([[démocratisation]]). La [[raison]], l'[[individu]], le [[progrès]], l'[[Égalité devant la loi|égalité]], la [[liberté]] : tels seraient donc les [[mots clés]] de la modernité<ref>''Le dictionnaire des sciences humaines'', éditions Sciences humaines, 2004, p. 563</ref>.}}
{{citation bloc|On s'accorde à identifier la modernité avec la [[Époque moderne|période historique]] qui s'ouvre en Occident avec la [[Renaissance]] ({{s|XV}}). Cette ère nouvelle est marquée par des transformations de grande ampleur qui ont affecté à la fois les structures sociales ([[urbanisation]], naissance du [[capitalisme]]), les [[modes de vie]] et les valeurs ([[individualisme]], avènement des [[libertés publiques]], [[égalité des droits]]), les idées (essor de la [[Rationalisme|pensée rationnelle]], des sciences…) et la politique ([[démocratisation]]). La [[raison]], l'[[individu]], le [[progrès]], l'[[Égalité devant la loi|égalité]], la [[liberté]] : tels seraient donc les [[mots clés]] de la modernité<ref>''Le dictionnaire des sciences humaines'', éditions Sciences humaines, 2004, p. 563</ref>.}}


=== Revue ''Le Philosophoire'' (2005) ===
=== Revue ''Le Philosophoire'' (2005) ===
En {{date-|décembre 2005}}, la revue ''[[Le Philosophoire]]'' consacre un numéro spécial au concept de modernité. En ouverture, [[Vincent Citot]], son directeur, écrit :{{citation bloc|Le moderne n’est pas le contemporain, l’actuel, le nouveau ou le présent. L’usage confond le moderne et l’actuel (mais) si la modernité n’était rien d’autre que la contemporanéité, il n’y aurait là rien à penser, sinon le passage comme tel du temps. L’idée de modernité ne peut faire l’objet d’aucune intuition transcendantale a priori : elle ne prend sens que dans et par l’histoire des hommes. La modernité, comme tournant significatif dans l’histoire de l’[[occident]], relève en premier lieu de l’analyse historique : il appartient aux historiens d’en déterminer la signification, l’origine et le devenir. A quelles conditions cette question historique peut-elle devenir une question philosophique ? Il faut passer de l’histoire à la [[philosophie de l'histoire]] puis de celle-ci à la philosophie générale<ref>[[Vincent Citot]], Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté, ''Le Philosophoire'' n° 25, décembre 2005, page 35</ref>.}}
En {{date-|décembre 2005}}, la revue ''[[Le Philosophoire]]'' consacre un numéro spécial au concept de modernité. En ouverture, [[Vincent Citot]], son directeur, écrit :
{{citation bloc|Le moderne n’est pas le contemporain, l’actuel, le nouveau ou le présent. L’usage confond le moderne et l’actuel (mais) si la modernité n’était rien d’autre que la contemporanéité, il n’y aurait là rien à penser, sinon le passage comme tel du temps. L’idée de modernité ne peut faire l’objet d’aucune intuition transcendantale a priori : elle ne prend sens que dans et par l’histoire des hommes. La modernité, comme tournant significatif dans l’histoire de l’[[occident]], relève en premier lieu de l’analyse historique : il appartient aux historiens d’en déterminer la signification, l’origine et le devenir. A quelles conditions cette question historique peut-elle devenir une question philosophique ? Il faut passer de l’histoire à la [[philosophie de l'histoire]] puis de celle-ci à la philosophie générale<ref>[[Vincent Citot]], Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté, ''Le Philosophoire'' n° 25, décembre 2005, p. 35</ref>.}}


=== Thierry Ménissier (2009) ===
=== Thierry Ménissier (2009) ===
Introduisant son cours « Qu'est-ce que la modernité ? » (à l'[[université Grenoble-Alpes]] en 2009), l'universitaire [[Thierry Ménissier]] écrit :{{citation bloc|(On entend par) ''modernité'' toute [[Époque moderne|la période qui commence à partir de la fin du Moyen Âge]] et qui dure encore aujourd'hui. Il convient aussi de remarquer que la modernité correspond aussi bien à une « ère » (temporelle) qu'à une « aire » (géographique : l'Europe). Mais les choses sont d'emblée complexes, car à côté de cette signification ''générique'', le terme possède deux acceptions ''historiques'' plus précises :<br>- première modernité, à la [[Renaissance]] : en fonction des thèmes [[Humanisme|humanistes]] – par référence aux « Anciens » considérés comme des « classiques » (...) ;<br>- deuxième modernité, à partir du {{s|XVIII}} : rupture explicite et forcée avec les Anciens. (...)<br>On sent donc, à l'issue de ce simple repérage de la signification historique de la notion de modernité, que celle-ci est sous-tendue par des représentations et des ''[[Valeur (philosophie)|valeurs]]'' – par conséquent qu'elle est historique parce qu'elle est philosophique<ref>[[Thierry Ménissier]], [http://www.tumultieordini.com/article-36412289.html Qu'est-ce que la modernité ?], université Pierre-Mendes-France, Grenoble, année 2009-2010</ref>.}}Voyons à présent quelles sont ces valeurs.
Introduisant son cours « Qu'est-ce que la modernité ? » (à l'[[université Grenoble-Alpes]] en 2009), l'universitaire [[Thierry Ménissier]] écrit :
{{citation bloc|(On entend par) ''modernité'' toute [[Époque moderne|la période qui commence à partir de la fin du Moyen Âge]] et qui dure encore aujourd'hui. Il convient aussi de remarquer que la modernité correspond aussi bien à une « ère » (temporelle) qu'à une « aire » (géographique : l'Europe). Mais les choses sont d'emblée complexes, car à côté de cette signification ''générique'', le terme possède deux acceptions ''historiques'' plus précises :<br>- première modernité, à la [[Renaissance]] : en fonction des thèmes [[Humanisme|humanistes]] – par référence aux « Anciens » considérés comme des « classiques » () ;<br>- deuxième modernité, à partir du {{s|XVIII}} : rupture explicite et forcée avec les Anciens. ()<br>On sent donc, à l'issue de ce simple repérage de la signification historique de la notion de modernité, que celle-ci est sous-tendue par des représentations et des ''[[Valeur (philosophie)|valeurs]]'' – par conséquent qu'elle est historique parce qu'elle est philosophique<ref>[[Thierry Ménissier]], [http://www.tumultieordini.com/article-36412289.html Qu'est-ce que la modernité ?], université Pierre-Mendes-France, Grenoble, année 2009-2010</ref>.}}


== Les valeurs de la modernité ==
== Les valeurs de la modernité ==
Selon le sociologue suédois {{Lien|fr=Göran Therborn|trad=Göran Therborn|texte=Göran Therborn}}, {{citation|les valeurs de la modernité sont tout d’abord celles de la [[religion chrétienne]] et de sa [[sécularisation]], celles de l’[[État-nation]] et de la [[citoyenneté]], celles enfin de l’[[individualisme]] et du sentiment de classe<ref>Göran Therborn, [https://www.cairn.info/les-societes-d-europe-du-xxe-au-xxie-siecle--9782200246280-page-257.htm Les valeurs de la modernité contemporaine], ''Les Sociétés d’Europe du {{sp-|XX|au|XXI}}'', 2009, p. 257-286</ref>}}. D'autres intellectuels adoptent des critères supplémentaires, tels [[Jacques Attali]], selon qui {{citation|le terme désigne une ''conception de l'avenir'' mêlant [[liberté individuelle]], [[droits de l'homme]], [[rationalisme]], [[positivisme]], [[Progrès|foi dans le progrès]]... La liberté est ''conquête'' mais on en cherche le moteur. Pour [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], c'est la démocratie ; pour [[Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon|Saint-Simon]], [[Industrialisation|l'industrie]] ; pour [[Auguste Comte]], [[Science|la science]] ; pour [[Karl Marx|Marx]], [[Lutte des classes|la lutte des classes]] ; pour [[Max Weber]], [[Rationalisation|la rationalisation]]<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', Champs/Essais, 2015, p. 14</ref>...}}
Selon le sociologue suédois [[Göran Therborn]], {{citation|les valeurs de la modernité sont tout d’abord celles de la [[religion chrétienne]] et de sa [[sécularisation]], celles de l’[[État-nation]] et de la [[citoyenneté]], celles enfin de l’[[individualisme]] et du sentiment de classe}}<ref>Göran Therborn, [https://www.cairn.info/les-societes-d-europe-du-xxe-au-xxie-siecle--9782200246280-page-257.htm Les valeurs de la modernité contemporaine], ''Les Sociétés d’Europe du {{sp-|XX|au|XXI}}'', 2009, {{p.|257-286}}</ref>. D'autres intellectuels adoptent des critères supplémentaires, tels [[Jacques Attali]], selon qui {{citation|le terme désigne une ''conception de l'avenir'' mêlant [[liberté individuelle]], [[droits de l'homme]], [[rationalisme]], [[positivisme]], [[Progrès|foi dans le progrès]] La liberté est ''conquête'' mais on en cherche le moteur. Pour [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], c'est la démocratie ; pour [[Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon|Saint-Simon]], [[Industrialisation|l'industrie]] ; pour [[Auguste Comte]], [[Science|la science]] ; pour [[Karl Marx|Marx]], [[Lutte des classes|la lutte des classes]] ; pour [[Max Weber]], [[Rationalisation|la rationalisation]]…}}<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', Champs/Essais, 2015, {{p.|14}}</ref>.


En consultant la littérature sur le sujet, on peut esquisser une typologie de la modernité.
En consultant la littérature sur le sujet, on peut esquisser une typologie de la modernité.

=== Philosophie, temps et histoire ===
=== Philosophie, temps et histoire ===
{{Article détaillé|Philosophie de l'histoire}}
{{Article détaillé|Philosophie de l'histoire}}
Certains intellectuels identifient l'émergence du concept de modernité avec la naissance de la [[philosophie]] en tant qu'exercice de l'[[esprit critique]] et du [[libre examen]] : la pratique philosophique est ce par quoi les humains pensent ''par eux-mêmes'', au moyen de la [[raison]], du fait que celle-ci est à la fois réflexive et discriminante (le mot "critique" vient du grec ''krinein'', qui signifie "trier")<ref>[[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident, Les Belles Lettres'', 2016</ref> : en posant [[Gnothi seauton|l'exigence de se connaître soi-même]], [[Socrate]] serait donc en quelque sorte le "premier moderne"<ref>Volker Gerhardt, Les Temps modernes commencent avec Socrate, ''Revue germanique internationale'' n°11, 1999</ref>. "Connaissance de soi" signifiant "approche de soi dans la durée" (naissance et mort étant posés comme les deux bornes de l'existence), la prise en considération du facteur temps constitue l'un des grands axes de la posture philosophique. Ainsi pour bon nombre de commentateurs, la conception du temps et la [[philosophie de l'histoire]] orientent et structurent avant tout le concept de modernité<ref>[[Alain Touraine]], ''Critique de la modernité'', Fayard, 1992. Première partie, chapitre 3 : Le sens de l'histoire.</ref>.
Certains intellectuels identifient l'émergence du concept de modernité avec la naissance de la [[philosophie]] en tant qu'exercice de l'[[esprit critique]] et du [[libre examen]] : la pratique philosophique est ce par quoi les humains pensent ''par eux-mêmes'', au moyen de la [[raison]], du fait que celle-ci est à la fois réflexive et discriminante (le mot "critique" vient du grec ''krinein'', qui signifie "trier")<ref>[[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident, Les Belles Lettres'', 2016</ref> : en posant [[Gnothi seauton|l'exigence de se connaître soi-même]], [[Socrate]] serait donc en quelque sorte le "premier moderne"<ref>Volker Gerhardt, Les Temps modernes commencent avec Socrate, ''Revue germanique internationale'' {{|11}}, 1999</ref>. "Connaissance de soi" signifiant "approche de soi dans la durée" (naissance et mort étant posés comme les deux bornes de l'existence), la prise en considération du facteur temps constitue l'un des grands axes de la posture philosophique. Ainsi pour bon nombre de commentateurs, la conception du temps et la [[philosophie de l'histoire]] orientent et structurent avant tout le concept de modernité<ref>[[Alain Touraine]], ''Critique de la modernité'', Fayard, 1992. Première partie, chapitre 3 : Le sens de l'histoire.</ref>.


Les historiens estiment que la conception ''moderne'' de l'histoire a émergé à la fin du [[Moyen Âge]]. L'Allemand Friedrich Ohly situe l'amorce du processus à la "[[Renaissance du XIIe siècle]]" en France. Mais alors que l'on associe traditionnellement la modernité à tout ce qui ''s'oppose'' à la tradition, Ohly considère que ce qui se manifeste chez les [[intellectuels]] de l'époque, c'est une volonté de la ''dépasser'' ; ceci en concevant le temps non plus sur le mode cyclique du retour au même mais sur celui de la ''succession typologique'' : {{citation|la typologie établit entre l'ancien et le nouveau une relation de l'un par l'autre : le nouveau ''rehausse'' l'ancien, l'ancien ''survit'' dans le nouveau ; il est la rédemption de l'ancien, sur lequel il se fonde<ref>Friedrich Ohly, « Synagoga et Ecclesia », in Paul Wilpert (dir.), ''Miscellanea Mediaevalia'', 1966, p. 357. Propos cité par [[Hans Robert Jauss]], ''Pour une esthétique de la réception'', édition originale allemande, 1972. Trad. fr. Gallimard, 1978, p. 167.</ref>}} ; conception que résume l'adage de [[Bernard de Chartres]], ''[[Des nains sur des épaules de géants]]'' : quiconque a une ambition intellectuelle doit ''s'appuyer sur'' les travaux des penseurs du passé. De ce désir de connaître les Anciens naîtront, au {{s-|XIII}}, les premières [[Université médiévale|universités]].
Les historiens estiment que la conception ''moderne'' de l'histoire a émergé à la fin du [[Moyen Âge]]. L'Allemand Friedrich Ohly situe l'amorce du processus à la "[[Renaissance du XIIe siècle]]" en France. Mais alors que l'on associe traditionnellement la modernité à tout ce qui ''s'oppose'' à la tradition, Ohly considère que ce qui se manifeste chez les [[intellectuels]] de l'époque, c'est une volonté de la ''dépasser'' ; ceci en concevant le temps non plus sur le mode cyclique du retour au même mais sur celui de la ''succession typologique'' : {{citation|la typologie établit entre l'ancien et le nouveau une relation de l'un par l'autre : le nouveau ''rehausse'' l'ancien, l'ancien ''survit'' dans le nouveau ; il est la rédemption de l'ancien, sur lequel il se fonde<ref>Friedrich Ohly, « Synagoga et Ecclesia », in Paul Wilpert (dir.), ''Miscellanea Mediaevalia'', 1966, p. 357. Propos cité par [[Hans Robert Jauss]], ''Pour une esthétique de la réception'', édition originale allemande, 1972. Trad. fr. Gallimard, 1978, p. 167.</ref>}} ; conception que résume l'adage de [[Bernard de Chartres]], ''[[Des nains sur des épaules de géants]]'' : quiconque a une ambition intellectuelle doit ''s'appuyer sur'' les travaux des penseurs du passé. De ce désir de connaître les Anciens naîtront, au {{s-|XIII}}, les premières [[Université médiévale|universités]].


Pour beaucoup, la modernité se construit en tension avec le Moyen Âge : ne dit-on pas, souvent, que les temps modernes débutent {{Citation|à la fin}} du Moyen Âge ? C'est sur cette base que des sociologues des XIXème et XXème siècles, tels que [[Jacob Burckhardt]] (par les liens d'un individu avec le spirituel ou la communauté), [[Ferdinand Tönnies]] (par l'importance de l'argent), [[Georg Simmel]] (destruction de cercles d'intérêts), ou [[Émile Durkheim]] (absence de règles de la vie moderne), expliquent l'apparition de la modernité. Cependant cette approche se montre vite limitée : par exemple, alors que Jacob Burckhardt avait commencé à penser la modernité comme un progrès par rapport au Moyen Âge, il change radicalement d'opinion à la fin de sa vie pour considérer que la modernité est au contraire un déclin par rapport au Moyen Âge. [[Max Weber]] insiste au contraire sur la continuité qui existe entre les deux périodes, en affirmant que c'est au Moyen Âge que se construit le monde moderne. Selon lui, si l'on considère les groupes sociaux sous l'angle de la rationalité des personnes qui les constituent, on s'aperçoit qu'ils développent une qualité d'ordre, qui dépassent, dès l'origine, les supposés ordres établis de la société moyennageuse qu'étaient les religieux, les nobles et les travailleurs. En fait, pour lui, le Moyen Âge constituait, déjà, une société moderne<ref name=":0" />.
Pour beaucoup, la modernité se construit en tension avec le Moyen Âge : ne dit-on pas, souvent, que les temps modernes débutent {{Citation|à la fin}} du Moyen Âge ? C'est sur cette base que des sociologues des {{s-|XIX}} et {{s-|XX}}s, tels que [[Jacob Burckhardt]] (par les liens d'un individu avec le spirituel ou la communauté), [[Ferdinand Tönnies]] (par l'importance de l'argent), [[Georg Simmel]] (destruction de cercles d'intérêts), ou [[Émile Durkheim]] (absence de règles de la vie moderne), expliquent l'apparition de la modernité. Cependant cette approche se montre vite limitée : par exemple, alors que Jacob Burckhardt avait commencé à penser la modernité comme un progrès par rapport au Moyen Âge, il change radicalement d'opinion à la fin de sa vie pour considérer que la modernité est au contraire un déclin par rapport au Moyen Âge. [[Max Weber]] insiste au contraire sur la continuité qui existe entre les deux périodes, en affirmant que c'est au Moyen Âge que se construit le monde moderne. Selon lui, si l'on considère les groupes sociaux sous l'angle de la rationalité des personnes qui les constituent, on s'aperçoit qu'ils développent une qualité d'ordre, qui dépassent, dès l'origine, les supposés ordres établis de la société moyennageuse qu'étaient les religieux, les nobles et les travailleurs. En fait, pour lui, le Moyen Âge constituait, déjà, une société moderne<ref name=":0" />.


Estimant que toute conception du temps dépend des [[Histoire de la mesure du temps|instruments de mesure]], [[Pierre Chaunu]] situe l'émergence de la notion de modernité au début du {{s-|XIV}}, quand les premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]] sont installées en haut des clochers d'églises. Cette notion {{Citation|suppose un temps qui se déroule, qui dessine ''une sorte de flèche vers l'avenir''}}. C'est ainsi, avance Chaunu, que les humains se focalisent alors sur les faits récents ou actuels et sont amenés à se projeter dans le futur. Et, dès lors que les instruments de mesure se perfectionnent, les échelles de temps sont plus longues : on ne pense plus seulement en fonction du lendemain ou de la saison prochaine mais des années suivantes. Ainsi la conception du temps prend-elle au fil des siècles une signification plus ''concrète'' (plus matérialiste) tandis que, simultanément, les humains intègrent le sens du ''[[Longue durée|temps long]]''. Et ainsi se forge une ''[[philosophie de l'histoire]]'' ayant valeur collective : le ''[[progrès]]''.
Estimant que toute conception du temps dépend des [[Histoire de la mesure du temps|instruments de mesure]], [[Pierre Chaunu]] situe l'émergence de la notion de modernité au début du {{s-|XIV}}, quand les premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]] sont installées en haut des clochers d'églises. Cette notion {{Citation|suppose un temps qui se déroule, qui dessine ''une sorte de flèche vers l'avenir''}}. C'est ainsi, avance Chaunu, que les humains se focalisent alors sur les faits récents ou actuels et sont amenés à se projeter dans le futur. Et, dès lors que les instruments de mesure se perfectionnent, les échelles de temps sont plus longues : on ne pense plus seulement en fonction du lendemain ou de la saison prochaine mais des années suivantes. Ainsi la conception du temps prend-elle au fil des siècles une signification plus ''concrète'' (plus matérialiste) tandis que, simultanément, les humains intègrent le sens du ''[[Longue durée|temps long]]''. Et ainsi se forge une ''[[philosophie de l'histoire]]'' ayant valeur collective : le ''[[progrès]]''.


L'expression « philosophie de l'histoire » apparaît chez [[Voltaire]] en 1765 {{#tag:ref|<On doit à l'historien italien [[Giambattista Vico]] d'avoir ouvert la voie quarante ans plus tôt, en 1725, avec ses ''Principes d'une science nouvelle relative à la nature commune des nations''. L'ouvrage ne sera traduit en français qu'un siècle plus tard - en 1827 par [[Jules Michelet]] sous le titre « Principes de la philosophie de l'histoire » - et sera alors abondamment commenté.|group=n}}. Mais c'est au prussien [[Emmanuel Kant]] que revient en 1784 l'initiative de justifier cette approche (''[[Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique]]''). Considérant l'histoire comme une masse hétérogène de [[Fait|faits]] (non seulement les événements politiques mais aussi ceux qui ponctuent la vie quotidienne), il s'efforce de retirer un sens de cette hétérogénéité même. Plaçant l’homme au centre du monde, "comme [[Copernic]] avait situé le soleil au centre de l'univers"<ref>[[Dominique Pradelle]], ''Par-delà la révolution copernicienne. Sujet transcendantal et facultés chez Kant et Husserl'', Presses universitaires de France, 2012</ref>, il considère qu'il est ''libre'', « [[Autonomie|autonome]] », et qu'il puise cette liberté précisément dans l'exercice de sa [[raison]]. Mais partant de l'hypothèse que l'existence d'un individu est trop courte pour lui permettre de faire toutes les expériences nécessaires à son développement, Kant estime que le fil directeur de l’histoire est l'inscription ''progressive'' de la raison dans les institutions, grâce à la transmission du savoir d'une génération à l'autre. C'est donc sur l’humanité toute entière, plus exactement sur sa capacité à [[Capitalisation|capitaliser]] la [[rationalité]] du savoir au fil du temps, que repose selon lui le « [[progrès]] » de l'humanité.
L'expression « philosophie de l'histoire » apparaît chez [[Voltaire]] en 1765 {{#tag:ref|<On doit à l'historien italien [[Giambattista Vico]] d'avoir ouvert la voie quarante ans plus tôt, en 1725, avec ses ''Principes d'une science nouvelle relative à la nature commune des nations''. L'ouvrage ne sera traduit en français qu'un siècle plus tard - en 1827 par [[Jules Michelet]] sous le titre « Principes de la philosophie de l'histoire » - et sera alors abondamment commenté.|group=n}}. Mais c'est au prussien [[Emmanuel Kant]] que revient en 1784 l'initiative de justifier cette approche (''[[Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique]]''). Considérant l'histoire comme une masse hétérogène de [[Fait|faits]] (non seulement les événements politiques mais aussi ceux qui ponctuent la vie quotidienne), il s'efforce de retirer un sens de cette hétérogénéité même. Plaçant l’homme au centre du monde, "comme [[Nicolas Copernic|Copernic]] avait situé le soleil au centre de l'univers"<ref>[[Dominique Pradelle]], ''Par-delà la révolution copernicienne. Sujet transcendantal et facultés chez Kant et Husserl'', Presses universitaires de France, 2012</ref>, il considère qu'il est ''libre'', « [[Autonomie|autonome]] », et qu'il puise cette liberté précisément dans l'exercice de sa [[raison]]. Mais partant de l'hypothèse que l'existence d'un individu est trop courte pour lui permettre de faire toutes les expériences nécessaires à son développement, Kant estime que le fil directeur de l’histoire est l'inscription ''progressive'' de la raison dans les institutions, grâce à la transmission du savoir d'une génération à l'autre. C'est donc sur l’humanité tout entière, plus exactement sur sa capacité à [[Capitalisation|capitaliser]] la [[rationalité]] du savoir au fil du temps, que repose selon lui le « [[progrès]] » de l'humanité.


Au début du {{s-|XX}}, sous l'influence {{incise|entre autres}} des [[Futurisme|futuristes italiens]], l'accroissement de la vitesse devient un symbole de modernité, rendu possible par toutes sortes de machines. Et de fait, à la fin du siècle, de nombreux sociologues pensent que l'une des principales caractéristiques de l'époque est la mise en place de dispositifs permettant aux humains de gagner sans cesse et toujours plus de temps : les [[TGV]], les ''[[fast-foods]]'', le ''[[speed dating]]'', le ''[[Juste-à-temps (gestion)|just-in-time]]'', l'augmentation de la fréquence des cycles de production, la banalisation des procédures d'urgences<ref>Nicole Aubert, ''Le culte de l'urgence : La société malade du temps'', Flammarion, 2009</ref>{{,}}<ref>[[Gilles Finchelstein]], ''La Dictature de l'urgence'', Fayard, 2011</ref>... Ce phénomène connait une accélération foudroyante avec l'invention du [[microprocesseur]] dans les années 1970 : l'ingénieur [[Gordon Earle Moore|Gordon Moore]] prédit alors que les équipements électroniques vont devenir de plus en plus rapides bien que [[Miniaturisation|de plus en plus petits]] et de moins en moins coûteux ([[Loi de Moore]]).
Au début du {{s-|XX}}, sous l'influence {{incise|entre autres}} des [[Futurisme|futuristes italiens]], l'accroissement de la vitesse devient un symbole de modernité, rendu possible par toutes sortes de machines. Et de fait, à la fin du siècle, de nombreux sociologues pensent que l'une des principales caractéristiques de l'époque est la mise en place de dispositifs permettant aux humains de gagner sans cesse et toujours plus de temps : les [[TGV]], les ''[[fast-foods]]'', le ''[[speed dating]]'', le ''[[Juste-à-temps (gestion)|just-in-time]]'', l'augmentation de la fréquence des cycles de production, la banalisation des procédures d'urgences<ref>Nicole Aubert, ''Le culte de l'urgence : La société malade du temps'', Flammarion, 2009</ref>{{,}}<ref>[[Gilles Finchelstein]], ''La Dictature de l'urgence'', Fayard, 2011</ref> Ce phénomène connait une accélération foudroyante avec l'invention du [[microprocesseur]] dans les années 1970 : l'ingénieur [[Gordon Earle Moore|Gordon Moore]] prédit alors que les équipements électroniques vont devenir de plus en plus rapides bien que [[Miniaturisation|de plus en plus petits]] et de moins en moins coûteux ([[Loi de Moore]]).


Au début du {{s-|XXI}}, ce développement exponentiel de l'électronique, couplé à l'apparition d'[[internet]], conduit certains philosophes à reconsidérer le concept de modernité : {{Citation|ce qui est en cause, quand on parle de modernité, c'est l'accélération du temps}} (Peter Conrad)<ref>Peter Conrad, ''Modern Times, Modern Places'', New York, Knopf, 1999, p.9</ref> ; {{Citation|la modernité, c'est la vitesse}} ([[Thomas Hylland Eriksen|Thomas Eriksen]])<ref>[[Thomas Hylland Eriksen|Thomas Eriksen]], ''Tyranny of the moment'', Londres, Pluto Press, 2001, p.159</ref> ; {{Citation|[https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2010-1-page-105.htm la modernité signifie l'accélération du temps]}} ([[Hartmut Rosa]])<ref>[[Hartmut Rosa]], ''Accélération'', La Découverte, 2013, p.35</ref>...
Au début du {{s-|XXI}}, ce développement exponentiel de l'électronique, couplé à l'apparition d'[[internet]], conduit certains philosophes à reconsidérer le concept de modernité : {{Citation|ce qui est en cause, quand on parle de modernité, c'est l'accélération du temps}} (Peter Conrad)<ref>Peter Conrad, ''Modern Times, Modern Places'', New York, Knopf, 1999, {{p.|9}}</ref> ; {{Citation|la modernité, c'est la vitesse}} ([[Thomas Hylland Eriksen|Thomas Eriksen]])<ref>[[Thomas Hylland Eriksen|Thomas Eriksen]], ''Tyranny of the moment'', Londres, Pluto Press, 2001, {{p.|159}}</ref> ; {{Citation|[https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2010-1-page-105.htm la modernité signifie l'accélération du temps]}} ([[Hartmut Rosa]])<ref>[[Hartmut Rosa]], ''Accélération'', La Découverte, 2013, {{p.|35}}</ref>


=== L'État, expression de la providence ===
=== L'État, expression de la providence ===
{{Article détaillé|État|État-nation|État-providence}}
{{Article détaillé|État|État-nation|État-providence}}
Pour certains historiens {{incise|tels l'Américain [[Joseph Strayer]]<ref>[[Joseph Strayer]], ''On the Medieval Origins of the Modern State'', 1970. Trad. fr. ''Les origines médiévales de l'État moderne'', Payot, 1979</ref>}} les origines de [[État#De_l’État_féodal_à_l’État_moderne|l'État ''moderne'']] remontent à la fin du [[Moyen Âge]]<ref>[[Yves Déloye]], [https://www.cairn.info/sociologie-historique-du-politique--9782707196477-page-19.htm Genèse(s) de l’État moderne], ''Sociologie historique du politique'', 2017, p. 19-44</ref>. [[Jean-Philippe Genet]] retient principalement trois facteurs : le développement du [[féodalisme]] ; le rôle nouveau de l'[[Église catholique|Église]] dans l'Europe latine, {{citation|tel qu'il est redéfini par la [[réforme grégorienne]] (au {{s-|XI}}) avec une séparation complète du rôle des laïcs et celui des clercs}} ; l'essor de l'économie européenne et singulièrement celui des villes (au {{s-|XII}}), lequel {{citation|permettra à l'[[Occident]] de s'assurer ensuite une véritable suprématie économique et le contrôle des routes commerciales du monde}}<ref>[[Jean-Philippe Genet]], [https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1997_num_118_1_3219 La genèse de l'État moderne], ''Actes de la recherche en sciences sociales'', vol. 118, juin 1997, p. 6.</ref>. S'opposant ouvertement aux [[États pontificaux]], l'Empire germanique se fait appeler [[Saint-Empire romain germanique|''Saint'' Empire]] à la fin du {{s-|XI}} : le souverain n'est plus adoubé par le pape mais il est admis que son autorité lui vient directement de Dieu ([[monarchie de droit divin]]).
Pour certains historiens {{incise|tels l'Américain [[Joseph Strayer]]<ref>[[Joseph Strayer]], ''On the Medieval Origins of the Modern State'', 1970. Trad. fr. ''Les origines médiévales de l'État moderne'', Payot, 1979</ref>}} les origines de [[État#De_l’État_féodal_à_l’État_moderne|l'État ''moderne'']] remontent à la fin du [[Moyen Âge]]<ref>[[Yves Déloye]], [https://www.cairn.info/sociologie-historique-du-politique--9782707196477-page-19.htm Genèse(s) de l’État moderne], ''Sociologie historique du politique'', 2017, {{p.|19-44}}</ref>. [[Jean-Philippe Genet]] retient principalement trois facteurs : le développement du [[féodalisme]] ; le rôle nouveau de l'[[Église catholique|Église]] dans l'Europe latine, {{citation|tel qu'il est redéfini par la [[réforme grégorienne]] (au {{s-|XI}}) avec une séparation complète du rôle des laïcs et celui des clercs}} ; l'essor de l'économie européenne et singulièrement celui des villes (au {{s-|XII}}), lequel {{citation|permettra à l'[[Occident]] de s'assurer ensuite une véritable suprématie économique et le contrôle des routes commerciales du monde}}<ref>[[Jean-Philippe Genet]], [https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1997_num_118_1_3219 La genèse de l'État moderne], ''Actes de la recherche en sciences sociales'', vol. 118, juin 1997, {{p.|6}}.</ref>. S'opposant ouvertement aux [[États pontificaux]], l'Empire germanique se fait appeler [[Saint-Empire romain germanique|''Saint'' Empire]] à la fin du {{s-|XI}} : le souverain n'est plus adoubé par le pape mais il est admis que son autorité lui vient directement de Dieu ([[monarchie de droit divin]]).

[[File:Leviathan livre.jpg|thumb|160px|Frontispice du ''[[Léviathan (Thomas Hobbes)|Léviathan]]'', ouvrage publié par [[Thomas Hobbes]] en 1651 et qui traite de la souveraineté de l'État.]]
[[File:Leviathan livre.jpg|thumb|160px|Frontispice du ''[[Léviathan (Thomas Hobbes)|Léviathan]]'', ouvrage publié par [[Thomas Hobbes]] en 1651 et qui traite de la souveraineté de l'État.]]
Ce n'est toutefois que durant la seconde moitié du {{s-|XV}}, quand [[Louis XI]] unifie le [[royaume de France]], qu'émerge véritablement l'État ''moderne'' : l'[[État-nation]]. Au début du {{s-|XVI}} le Florentin [[Machiavel]] formule les premières théories justifiant son existence et ses modes de fonctionnement. Au milieu du {{s-|XVII}}, l'Anglais [[Thomas Hobbes]] contribue à renforcer cette légitimité (''[[Léviathan (Thomas Hobbes)|Le Léviathan]]'', 1651), inaugurant ainsi la [[philosophie politique]] comme discipline. Assimilant la religion à de la [[superstition]], il estime qu'il convient de désacraliser la personne du monarque. L'[[appareil d'État]] démontre à ses yeux la capacité des humains à administrer leurs territoires selon leur [[libre-arbitre]] et leurs intérêts propres. Le rôle de l'État est de sauvegarder leurs [[Droit naturel|droits, dits « naturels »]].


Ce n'est toutefois que durant la seconde moitié du {{s-|XV}}, quand [[Louis XI]] unifie le [[royaume de France]], qu'émerge véritablement l'État ''moderne'' : l'[[État-nation]]. Au début du {{s-|XVI}} le Florentin [[Nicolas Machiavel|Machiavel]] formule les premières théories justifiant son existence et ses modes de fonctionnement. Au milieu du {{s-|XVII}}, l'Anglais [[Thomas Hobbes]] contribue à renforcer cette légitimité (''[[Léviathan (Thomas Hobbes)|Le Léviathan]]'', 1651), inaugurant ainsi la [[philosophie politique]] comme discipline. Assimilant la religion à de la [[superstition]], il estime qu'il convient de désacraliser la personne du monarque. L'[[appareil d'État]] démontre à ses yeux la capacité des humains à administrer leurs territoires selon leur [[libre-arbitre]] et leurs intérêts propres. Le rôle de l'État est de sauvegarder leurs [[Droit naturel|droits, dits « naturels »]].
Le concept hobbesien de ''[[contractualisme|contrat social]]'' irrigue toute la [[philosophie des Lumières]], à la fin du {{s-|XVIII}}, et porte l'[[Révolution|idéal révolutionnaire]], [[Révolution française|en France]] comme [[Révolution américaine|aux États-Unis]]. Grand admirateur de la Révolution, l'Allemand [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] se livre au début du {{s-|XIX}} à une véritable [[apologie]] de l'État : plus qu'un simple organe institutionnel, il est selon lui « la forme suprême de l'[[Existence (philosophie)|existence]] », « le produit final de l'évolution de l'humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète », le « rationnel en soi et pour soi »<ref>Georg Wilhelm Friedrich Hegel, ''Principes de la philosophie du droit'', Gallimard/Tel, 1989</ref>.

Le concept hobbesien de ''[[contractualisme|contrat social]]'' irrigue toute la [[philosophie des Lumières]], à la fin du {{s-|XVIII}}, et porte l'[[Révolution|idéal révolutionnaire]], [[Révolution française|en France]] comme [[Révolution américaine|aux États-Unis]]. Grand admirateur de la Révolution, l'Allemand [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] se livre au début du {{s-|XIX}} à une véritable [[apologie]] de l'État : plus qu'un simple organe institutionnel, il est selon lui « la forme suprême de l'[[Existence (philosophie)|existence]] », « le produit final de l'évolution de l'humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète », le « rationnel en soi et pour soi »<ref>Georg Wilhelm Friedrich Hegel, ''Principes de la philosophie du droit'', Gallimard/Tel, 1989</ref>.


Quelques penseurs, dont [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], s'inquiètent de cette soudaine montée en puissance de l'État et les [[Anarchisme|anarchistes]] protestent vigoureusement mais leurs vues restent minoritaires. Lorsqu'éclate la [[Révolution russe]], en 1917, l'Allemand [[Max Weber]] voit dans l’État une structure parvenue {{citation|à imposer le [[monopole de la violence physique légitime]]<ref>Max Weber, « La politique comme profession et vocation » in ''Le savant et le politique'', trad. fr. La Découverte, 2003, p.118</ref>}}. Selon lui, ce fait constitue l'un des premiers fondements du concept de "modernité"<ref>Patrick Watier, Max Weber : analyste et critique de la modernité, ''Sociétés'', 2008/2, n° 100, p. 15-30</ref> car il {{citation|repose sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tous temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par la [[domination]]<ref>Marian Eabrasu, [https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2012-1-page-187.htm Les états de la définition wébérienne de l'État], ''Raisons politiques'', 2012/1, n° 45, p. 187-209</ref>.}}
Quelques penseurs, dont [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], s'inquiètent de cette soudaine montée en puissance de l'État et les [[Anarchisme|anarchistes]] protestent vigoureusement mais leurs vues restent minoritaires. Lorsqu'éclate la [[Révolution russe]], en 1917, l'Allemand [[Max Weber]] voit dans l’État une structure parvenue {{citation|à imposer le [[monopole de la violence physique légitime]]<ref>Max Weber, « La politique comme profession et vocation » in ''Le Savant et le Politique'', trad. fr. La Découverte, 2003, p.118</ref>}}. Selon lui, ce fait constitue l'un des premiers fondements du concept de "modernité"<ref>Patrick Watier, Max Weber : analyste et critique de la modernité, ''Sociétés'', 2008/2, {{|100}}, {{p.|15-30}}</ref> car il {{citation|repose sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tous temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par la [[domination]]}}<ref>Marian Eabrasu, [https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2012-1-page-187.htm Les états de la définition wébérienne de l'État], ''Raisons politiques'', 2012/1, {{|45}}, {{p.|187-209}}</ref>.


En [[Union soviétique]], le « [[capitalisme d'État]] » est encadré par un solide [[Bureaucratie|appareil bureaucratique]], lui-même encensé par un vaste dispositif de [[propagande]]. Le psychanalyste suisse [[C.G. Jung]] dira plus tard que {{Citation|l'État s'est mis à la place de Dieu (...), les dictatures socialistes sont des religions au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin<ref>[[C.G. Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Buchet-Chastel, 1962, p. 38</ref>{{,}}{{#tag:ref|Lire [[#De_la_laïcisation_à_la_sécularisation|plus bas]] la totalité de la citation.|group=n}}}}. Et en 1922, quelques années avant d'adhérer au [[parti nazi]], le philosophe [[Carl Schmitt]] affirme lui-même que {{Citation|tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques [[Sécularisation|sécularisés]]<ref>[[Carl Schmitt]], ''Politische Theologie'', 1922. Trad. fr. ''Théologie politique'', Gallimard, 1988</ref>.}}
En [[Union soviétique]], le communisme est encadré par un solide [[Bureaucratie|appareil bureaucratique]], lui-même encensé par un vaste dispositif de [[propagande]]. Le psychanalyste suisse [[Carl Gustav Jung|C.G. Jung]] dira plus tard que {{Citation|l'État s'est mis à la place de Dieu (), les dictatures socialistes sont des religions au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin<ref>[[Carl Gustav Jung|C.G. Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Buchet-Chastel, 1962, p. 38</ref>{{,}}{{#tag:ref|Lire [[#De_la_laïcisation_à_la_sécularisation|plus bas]] la totalité de la citation.|group=n}}}}. Et en 1922, quelques années avant d'adhérer au [[parti nazi]], le philosophe [[Carl Schmitt]] affirme lui-même que {{Citation|tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques [[Sécularisation|sécularisés]]}}<ref>[[Carl Schmitt]], ''Politische Theologie'', 1922. Trad. fr. ''Théologie politique'', Gallimard, 1988</ref>.


Même au sein des démocraties dites ''[[Libéralisme économique|libérales]]'', l'État joue un rôle majeur, notamment au travers des [[Keynésianisme|politiques keynésiennes]] à partir de la [[Seconde Guerre mondiale|Seconde Guerre]] : en 1942, le [[rapport Beveridge]] préconise la mise en place de l'''[[État-providence]]'' en Grande-Bretagne et, deux ans plus tard, le Français [[Raymond Aron]] qualifie la politique de « [[Religion politique|religion séculière]] ».
Même au sein des démocraties dites ''[[Libéralisme économique|libérales]]'', l'État joue un rôle majeur, notamment au travers des [[Keynésianisme|politiques keynésiennes]] à partir de la [[Seconde Guerre mondiale|Seconde Guerre]] : en 1942, le [[rapport Beveridge]] préconise la mise en place de l'''[[État-providence]]'' en Grande-Bretagne et, deux ans plus tard, le Français [[Raymond Aron]] qualifie la politique de « [[Religion politique|religion séculière]] ».


De fait, les états "modernes" encadrent ''toutes'' les activités humaines : non seulement ils assurent les fonctions [[régaliennes]] (défense, justice...) mais ils prennent en charge le confort matériel (santé, culture...), au point que certains évoquent ''les institutions de la modernité''<ref>[[Jean Nizet]], Les institutions de la modernité, ''La Sociologie de Anthony Giddens'', 2007, p.49-62</ref>. Un certain nombre d'intellectuels remettent en cause le caractère ''totalitaire'' de l'État, à commencer par les défenseurs du [[libéralisme économique]] et les tenants de l'[[anarchisme]]. Mais d'autres également, pour des raisons totalement étrangères à l'économie ou à la politique mais relatives à l'[[éthique]]. C'est le cas du Français [[Jacques Ellul]] : {{Citation|Les hommes, dans toutes les sociétés, même quand ils protestent contre l'ingérence du pouvoir, déclarent le haïr et réclament la liberté, ont mis leur espérance et leur foi dans l'État : c'est finalement de lui qu'ils attendent ''tout''<ref>[[Jacques Ellul]], ''[[Autopsie de la révolution]]'', 1969 ; rééd. La Table ronde, 2008, p. 196</ref>. (...) Ce n'est pas l'État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c'est sa [[Sacralisation#La_politique|transfiguration sacrale]]<ref>[[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', 1973 ; réed. Mille et une nuits/Fayard, 2003, p. 316</ref>.}}
De fait, les états "modernes" encadrent ''toutes'' les activités humaines : non seulement ils assurent les fonctions [[régaliennes]] (défense, justice…) mais ils prennent en charge le confort matériel (santé, culture…), au point que certains évoquent ''les institutions de la modernité''<ref>[[Jean Nizet]], Les institutions de la modernité, ''La Sociologie de Anthony Giddens'', 2007, {{p.|49-62}}</ref>. Un certain nombre d'intellectuels remettent en cause le caractère ''totalitaire'' de l'État, à commencer par les défenseurs du [[libéralisme économique]] et les tenants de l'[[anarchisme]]. Mais d'autres également, pour des raisons totalement étrangères à l'économie ou à la politique mais relatives à l'[[éthique]]. C'est le cas du Français [[Jacques Ellul]] : {{Citation|Les hommes, dans toutes les sociétés, même quand ils protestent contre l'ingérence du pouvoir, déclarent le haïr et réclament la liberté, ont mis leur espérance et leur foi dans l'État : c'est finalement de lui qu'ils attendent ''tout''}}<ref>[[Jacques Ellul]], ''[[Autopsie de la révolution]]'', 1969 ; rééd. La Table ronde, 2008, {{p.|196}}</ref>. () Ce n'est pas l'État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c'est sa [[Sacralisation#La_politique|transfiguration sacrale]]<ref>[[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', 1973 ; réed. Mille et une nuits/Fayard, 2003, {{p.|316}}</ref>.


=== Du Nouveau monde à la mondialisation ===
=== Du Nouveau monde à la mondialisation ===
{{Article détaillé|Grandes découvertes|Nouveau monde|migration humaine|occidentalisation|mondialisation}}
{{Article détaillé|Grandes découvertes|Nouveau monde|migration humaine|occidentalisation|mondialisation}}
L'année 1492, date de la [[découverte de l'Amérique]] par [[Christophe Colomb]], sert fréquemment de référence aux historiens comme amorce des ''[[temps modernes]]''. De fait, en explorant puis en conquérant le "[[Nouveau Monde]]", les Européens ne vont avoir de cesse de découvrir d'autres mondes puis "le" monde dans sa globalité : En 1517, l'équipage de [[Fernand de Magellan|Magellan]] effectue le premier tour de la Terre, qu'il achève en 1522, trente ans seulement après l'exploit de Colomb.
L'année 1492, date de la [[découverte de l'Amérique]] par [[Christophe Colomb]], sert fréquemment de référence aux historiens comme amorce des ''[[temps modernes]]''. De fait, en explorant puis en conquérant le "[[Nouveau Monde]]", les Européens ne vont avoir de cesse de découvrir d'autres mondes puis "le" monde dans sa globalité : En 1517, l'équipage de [[Fernand de Magellan|Magellan]] effectue le premier tour de la Terre, qu'il achève en 1522, trente ans seulement après l'exploit de Colomb.

[[File:VERMEER - El astrónomo (Museo del Louvre, 1688).jpg|thumb|150px|L'exploration du monde puis celle de l'espace constituent les premiers symboles de la modernité.<br>''[[L'Astronome (Vermeer)|L'Astronome]]'', tableau de [[Johannes Vermeer]] (1668)]]
[[File:Johannes Vermeer - The Astronomer - 1668.jpg|thumb|150px|L'exploration du monde puis celle de l'espace constituent les premiers symboles de la modernité.<br>''[[L'Astronome (Vermeer)|L'Astronome]]'', tableau de [[Johannes Vermeer]] (1668)]]
Par l'intermédiaire des [[Exploration|explorateurs]], mais également des [[Astronomie|astronomes]] {{incise|qui, suite à [[Copernic]], n'ont de cesse d'explorer des yeux le [[système solaire]] pour en comprendre la morphologie}} l'ensemble de l'humanité se forge une nouvelle ''[[Weltanschauung|conception du monde]]'' qui, elle-même, sert en retour de [[Justification (philosophie)|justification]] à l'esprit de conquête<ref>Oury Goldman, [https://journals.openedition.org/questes/4299 Finir le Moyen Âge, ouvrir le Nouveau Monde ? Humanisme et célébration de la découverte au tournant du {{s-|XV}} et du {{s-|XVI}}], ''Questes'', Revue pluridisciplinaire d'études médiévales n°33, 2016, p.63-79</ref>, voire plus tard au [[colonialisme]]<ref>Agustí Nicolau, [https://www.ledevoir.com/opinion/idees/401179/la-modernite-et-le-colonialisme La modernité et le colonialisme], ''Le Devoir'', 27 février 2014</ref> et à la "[[Histoire du vol spatial|conquête de l'espace]]", celui-ci étant désormais compris comme une ''[[Nouvelle Frontière|nouvelle frontière]]''.

Par l'intermédiaire des [[Exploration|explorateurs]], mais également des [[Astronomie|astronomes]] {{incise|qui, à la suite de [[Nicolas Copernic|Copernic]], n'ont de cesse d'explorer des yeux le [[système solaire]] pour en comprendre la morphologie}} l'ensemble de l'humanité se forge une nouvelle ''[[Weltanschauung|conception du monde]]'' qui, elle-même, sert en retour de [[Justification (philosophie)|justification]] à l'esprit de conquête<ref>Oury Goldman, [https://journals.openedition.org/questes/4299 Finir le Moyen Âge, ouvrir le Nouveau Monde ? Humanisme et célébration de la découverte au tournant du {{s-|XV}} et du {{s-|XVI}}], ''Questes'', Revue pluridisciplinaire d'études médiévales {{n°|33}}, 2016, {{p.|63-79}}</ref>, voire plus tard au [[colonialisme]]<ref>Agustí Nicolau, [https://www.ledevoir.com/opinion/idees/401179/la-modernite-et-le-colonialisme La modernité et le colonialisme], ''Le Devoir'', 27 février 2014</ref> et à la "[[Histoire du vol spatial|conquête de l'espace]]", celui-ci étant désormais compris comme une ''[[Nouvelle Frontière|nouvelle frontière]]''.


{{Citation bloc|La mondialisation, c’est-à-dire l’extension de la circulation à l’ensemble de la planète, débute à la fin du {{s-|XV}}, avec les grandes découvertes. Elle ne cesse de progresser depuis, mais à des rythmes inégaux. Rapide au {{s-|XVI}}, il faut attendre la fin du {{s-|XVIII}} pour qu’elle touche l’ensemble des littoraux du Pacifique et le {{s-|XIX}} pour qu’elle pénètre au cœur des continents. Le rail et le bateau à vapeur lui font alors faire un bond considérable<ref>[[Paul Claval]], [https://www.cairn.info/l-aventure-occidentale--9782361063863-page-71.htm La dynamique de la modernité à l’épreuve de la mondialisation], ''L'aventure occidentale'', 2016, p.71-85.<br>Du même auteur : ''L'Aventure occidentale : modernité et globalisation'', Sciences humaines, 2016</ref>.}}
{{Citation bloc|La mondialisation, c’est-à-dire l’extension de la circulation à l’ensemble de la planète, débute à la fin du {{s-|XV}}, avec les grandes découvertes. Elle ne cesse de progresser depuis, mais à des rythmes inégaux. Rapide au {{s-|XVI}}, il faut attendre la fin du {{s-|XVIII}} pour qu’elle touche l’ensemble des littoraux du Pacifique et le {{s-|XIX}} pour qu’elle pénètre au cœur des continents. Le rail et le bateau à vapeur lui font alors faire un bond considérable<ref>[[Paul Claval]], [https://www.cairn.info/l-aventure-occidentale--9782361063863-page-71.htm La dynamique de la modernité à l’épreuve de la mondialisation], ''L'aventure occidentale'', 2016, p.71-85.<br>Du même auteur : ''L'Aventure occidentale : modernité et globalisation'', Sciences humaines, 2016</ref>.}}


Pour autant que la notion de mobilité est associée à celle de modernité, faut-il y voir nécessairement la marque de l'esprit de conquête et du volontarisme ? Pas forcément, répond Bernard Vincent, directeur d'études à l'[[EHESS]] :{{Citation bloc|Avant tout autre, la première conséquence des événements de 1492 est une formidable [[migration humaine]]. Sous la pression des contraintes économiques et de l'affirmation de l'[[Intolérance religieuse|intolérance]], des milliers d'individus furent ''condamnés'' à la mobilité. Et le sont encore. Vérité d'hier, vérité d'aujourd'hui<ref>Bernard Vincent, [https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1992_num_27_1_410622 La mobilité, modernité de 1492], ''Matériaux pour l'histoire de notre temps'' n°27, 1992, p. 22</ref>.}}
Pour autant que la notion de mobilité est associée à celle de modernité, faut-il y voir nécessairement la marque de l'esprit de conquête et du volontarisme ? Pas forcément, répond Bernard Vincent, directeur d'études à l'[[École des hautes études en sciences sociales|EHESS]] :
{{Citation bloc|Avant tout autre, la première conséquence des événements de 1492 est une formidable [[migration humaine]]. Sous la pression des contraintes économiques et de l'affirmation de l'[[Intolérance religieuse|intolérance]], des milliers d'individus furent ''condamnés'' à la mobilité. Et le sont encore. Vérité d'hier, vérité d'aujourd'hui<ref>Bernard Vincent, [https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1992_num_27_1_410622 La mobilité, modernité de 1492], ''Matériaux pour l'histoire de notre temps'' n°27, 1992, p. 22</ref>.}}


Selon André-Jean Arnaud, directeur de recherche émérite au CNRS, ce qu'on entend par "[[mondialisation]]" n'est rien d'autre que l'imposition forcée à l'ensemble du monde des valeurs de "la modernité" : {{Citation|Le processus de mondialisation emporte, au nombre de ses effets, un défi aux modes traditionnels de régulation juridique dont la conception plonge ses racines dans la pensée juridique et politique occidentale<ref>André-Jean Arnaud, ''Entre modernité et mondialisation'', Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2004</ref>.}} De fait, on entend généralement par "[[occidentalisation]]" le fait que, depuis 1492 jusqu'aux [[attentats du 11 septembre 2001]], à New York, la [[société occidentale]] s'impose auprès du reste du monde comme un véritable modèle<ref>Philippe Richardot, ''Le modèle occidental. Naissance et remise en cause, 1492-2001'', Economica, 2007</ref> (lire [[#Le_mythe_de_l'Occident|plus bas]]).
Selon André-Jean Arnaud, directeur de recherche émérite au CNRS, ce qu'on entend par "[[mondialisation]]" n'est rien d'autre que l'imposition forcée à l'ensemble du monde des valeurs de "la modernité" : {{Citation|Le processus de mondialisation emporte, au nombre de ses effets, un défi aux modes traditionnels de régulation juridique dont la conception plonge ses racines dans la pensée juridique et politique occidentale<ref>André-Jean Arnaud, ''Entre modernité et mondialisation'', Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2004</ref>.}} De fait, on entend généralement par "[[occidentalisation]]" le fait que, depuis 1492 jusqu'aux [[attentats du 11 septembre 2001]], à New York, la [[société occidentale]] s'impose auprès du reste du monde comme un véritable modèle<ref>Philippe Richardot, ''Le modèle occidental. Naissance et remise en cause, 1492-2001'', Economica, 2007</ref> (lire [[#Le_mythe_de_l'Occident|plus bas]]).
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{{Article détaillé|Réforme protestante}}
{{Article détaillé|Réforme protestante}}
[[File:Martin Luther, 1529.jpg|thumb|140px|[[Martin Luther]] en 1529]]
[[File:Martin Luther, 1529.jpg|thumb|140px|[[Martin Luther]] en 1529]]
En 1517, le moine [[Martin Luther]] initie le mouvement de la [[Réforme protestante|Réforme]], dont les conséquences vont être considérables. Le [[protestantisme]], en effet, n'est pas seulement une nouveauté sur le plan [[Théologie|théologique]] :<br>- d'une part, il va modifier en profondeur le paysage politique en Europe (car en désacralisant le pouvoir de l'Église, et au prix d'affrontements meurtriers, [[Guerres de religion|notamment en France]], il va peu à peu contribuer à légitimer celui des [[État|États]] ; lire [[#L'État,_expression_de_la_providence|supra]]) ;<br>- d'autre part, du fait qu'il valorise le [[libre-arbitre]] des [[Individu|individus]] en privilégiant la relation de face-à face de l'homme avec Dieu, au détriment de la relation de médiation défendue par les catholiques, il va bouleverser les [[mentalités]] bien au delà de sa sphère d'influence directe<ref>[[Jean Baubérot]], [https://www.cairn.info/histoire-du-protestantisme--9782130625865-page-3.htm Réforme et protestantisme], ''Histoire du protestantisme'', 2013, p. 3-14</ref>.
En 1517, le moine [[Martin Luther]] initie le mouvement de la [[Réforme protestante|Réforme]], dont les conséquences vont être considérables. Le [[protestantisme]], en effet, n'est pas seulement une nouveauté sur le plan [[Théologie|théologique]] :<br>- d'une part, il va modifier en profondeur le paysage politique en Europe (car en désacralisant le pouvoir de l'Église, et au prix d'affrontements meurtriers, [[Guerres de religion|notamment en France]], il va peu à peu contribuer à légitimer celui des [[État|États]] ; lire [[#L'État,_expression_de_la_providence|supra]]) ;<br>- d'autre part, du fait qu'il valorise le [[libre-arbitre]] des [[Individu|individus]] en privilégiant la relation de face-à face de l'homme avec Dieu, au détriment de la relation de médiation défendue par les catholiques, il va bouleverser les [[mentalités]] bien au-delà de sa sphère d'influence directe<ref>[[Jean Baubérot]], [https://www.cairn.info/histoire-du-protestantisme--9782130625865-page-3.htm Réforme et protestantisme], ''Histoire du protestantisme'', 2013, {{p.|3-14}}</ref>.


De fait, les protestants contribuent ''nolens volens'' à l'émergence de l'[[individualisme]] (lire [[#La_liberté_:_l'universalisme_et_l'individualisme|infra]]), voire de l'''esprit d'entreprise''. C'est du moins la thèse du sociologue [[Max Weber]], en 1905, dans un ouvrage qui fera ensuite référence : ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]'' <ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]'', 1904-1905. Trad. fr. Plon, 1964. Réed. Pocket, 1991</ref>. Ami personnel de [[Max Weber|Weber]], le théologien [[Ernst Troeltsch]] souscrit globalement à cette thèse <ref>[[Ernst Troeltsch]], ''Protestantisme et modernité'', recueil d'articles traduits en français chez Gallimard, 1991</ref> de même que la plupart des théologiens du {{s-|XX}}<ref>[[Olivier Abel]], [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1997_num_54_1_1961 Protestantisme et modernité en crise], ''Autres Temps'' n°54, p. 71-79</ref>{{,}}<ref>Pierre-Olivier Monteil, [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1999_num_64_1_2169 Le protestantisme a-t-il quelque chose à dire à la modernité ?] ''Autres Temps'' n° 64, 1999, p. 77-86</ref>{{,}}<ref>[[André Gounelle]], [http://andregounelle.fr/histoire-des-idees/protestantisme-et-modernite.php Protestantisme et modernité], 2010</ref>, même si l'idée d'une filiation "protestantisme-modernité" est parfois contestée<ref>Adrien Boniteau, [https://philitt.fr/2017/10/27/protestantisme-et-modernite-pour-en-finir-avec-le-mythe/ Protestantisme et modernité : pour en finir avec le mythe], ''PhiLitt'', 27 octobre 2017</ref>.
De fait, les protestants contribuent ''nolens volens'' à l'émergence de l'[[individualisme]] (lire [[#La_liberté_:_l'universalisme_et_l'individualisme|infra]]), voire de l'''esprit d'entreprise''. C'est du moins la thèse du sociologue [[Max Weber]], en 1905, dans un ouvrage qui fera ensuite référence : ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]''<ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]'', 1904-1905. Trad. fr. Plon, 1964. Réed. Pocket, 1991</ref>. Ami personnel de [[Max Weber|Weber]], le théologien [[Ernst Troeltsch]] souscrit globalement à cette thèse<ref>[[Ernst Troeltsch]], ''Protestantisme et modernité'', recueil d'articles traduits en français chez Gallimard, 1991</ref> de même que la plupart des théologiens du {{s-|XX}}<ref>[[Olivier Abel]], [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1997_num_54_1_1961 Protestantisme et modernité en crise], ''Autres Temps'' {{|54}}, {{p.|71-79}}</ref>{{,}}<ref>Pierre-Olivier Monteil, [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1999_num_64_1_2169 Le protestantisme a-t-il quelque chose à dire à la modernité ?] ''Autres Temps'' {{|64}}, 1999, {{p.|77-86}}</ref>{{,}}<ref>[[André Gounelle]], [http://andregounelle.fr/histoire-des-idees/protestantisme-et-modernite.php Protestantisme et modernité], 2010</ref>, même si l'idée d'une filiation "protestantisme-modernité" est parfois contestée<ref>Adrien Boniteau, [https://philitt.fr/2017/10/27/protestantisme-et-modernite-pour-en-finir-avec-le-mythe/ Protestantisme et modernité : pour en finir avec le mythe], ''PhiLitt'', 27 octobre 2017</ref>.


Selon l'universitaire [[Michel Grandjean]], {{Citation|la [[Réforme protestante|Réforme]] constitue un acteur important de la modernité dans sa globalité, ne serait-ce que parce que les Réformateurs ont toujours défendu la responsabilité de l'individu face à Dieu et aux institutions humaines<ref>[[Michel Grandjean]], ''La Réforme et le matin du monde moderne'', Cabedita, 2016</ref>}} et, bien que {{Citation|[[Martin Luther|Luther]], [[Jean Calvin|Calvin]] ou [[Zwingli]] n’étaient en faveur ni de la [[démocratie]], ni du [[droit des femmes]], ni de la [[liberté religieuse]], leurs intuitions ont ''fécondé la modernité''. Les [[Lumières (philosophie)|Lumières]] n’auraient pas été possibles sans la Réforme : en prenant leurs distances avec l’[[Église catholique|Église]], les réformateurs ont commencé à penser la notion de [[Résistance à l'oppression|résistance au pouvoir politique]]. Calvin pensait que les [[Pouvoir temporel|autorités temporelles]] avaient toute [[légitimité]] concernant le domaine matériel, mais qu’on avait le droit de s’y opposer dans le domaine spirituel. Les idées réformatrices ont contribué à la valorisation de l’[[individu]], qui est appelé à [[Esprit critique|réfléchir par lui-même]] sur ce qui lui est bon ou pas<ref>[[Michel Grandjean]], [https://www.cath.ch/newsf/michel-grandjean-reforme-a-feconde-modernite/ « La Réforme a fécondé la modernité »], ''Écho Magazine'', 30 octobre 2017</ref>.}}
Selon l'universitaire [[Michel Grandjean]], {{Citation|la [[Réforme protestante|Réforme]] constitue un acteur important de la modernité dans sa globalité, ne serait-ce que parce que les Réformateurs ont toujours défendu la responsabilité de l'individu face à Dieu et aux institutions humaines}}<ref>[[Michel Grandjean]], ''La Réforme et le matin du monde moderne'', Cabedita, 2016</ref> et, bien que {{Citation|[[Martin Luther|Luther]], [[Jean Calvin|Calvin]] ou [[Ulrich Zwingli|Zwingli]] n’étaient en faveur ni de la [[démocratie]], ni du [[droit des femmes]], ni de la [[liberté religieuse]], leurs intuitions ont ''fécondé la modernité''. Les [[Lumières (philosophie)|Lumières]] n’auraient pas été possibles sans la Réforme : en prenant leurs distances avec l’[[Église catholique|Église]], les réformateurs ont commencé à penser la notion de [[Résistance à l'oppression|résistance au pouvoir politique]]. Calvin pensait que les [[Pouvoir temporel|autorités temporelles]] avaient toute [[légitimité]] concernant le domaine matériel, mais qu’on avait le droit de s’y opposer dans le domaine spirituel. Les idées réformatrices ont contribué à la valorisation de l’[[individu]], qui est appelé à [[Esprit critique|réfléchir par lui-même]] sur ce qui lui est bon ou pas}}<ref>[[Michel Grandjean]], [https://www.cath.ch/newsf/michel-grandjean-reforme-a-feconde-modernite/ « La Réforme a fécondé la modernité »], ''Écho Magazine'', 30 octobre 2017</ref>.


=== La liberté : l'universalisme et l'individualisme ===
=== La liberté : l'universalisme et l'individualisme ===
{{Article détaillé|universalisme|individualisme}}
{{Article détaillé|universalisme|individualisme}}
Selon le philosophe [[Vincent Citot]], « l'esprit de la modernité », c'est la [[liberté]] :
Selon le philosophe [[Vincent Citot]], « l'esprit de la modernité », c'est la [[liberté]] :{{citation bloc|La liberté à laquelle aspire la modernité doit se comprendre comme une recherche d’[[autonomie]] : elle est l’acte par lequel l’individu refuse de voir son existence, ses valeurs et ses normes déterminées par une instance extérieure, quelle qu’elle soit. Elle est donc l’affirmation par l’homme de sa position de fondement. Présomption ruineuse ? Non, [[humanisme]] et lucidité. Ne rien tenir pour vrai et pour valable que ce que j’ai moi-même vérifié et pensé, tel serait le principe de la modernité, que Descartes a explicité en son temps. Cet humanisme prométhéen est le fondement de l’esprit moderne, qui fait de l’homme un dieu, en quelque sorte, contre le poids de la religion, des traditions et des coutumes. La modernité humaniste est donc une confiance indéfectible en la capacité de l’homme à trouver en lui-même le fondement des normes et des valeurs, ainsi que l’accès aux vérités de ce monde<ref name=citot>[[Vincent Citot]], Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme), ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25, p.35-76</ref>}}Mais, poursuit Citot, la liberté {{incise|au sens moderne}} suppose d'une part l'affirmation du ''collectif'' (la société, la culture, l'État...) qui, seul, est apte à l'institutionnaliser ; d'autre part la mise en avant de l'''individuel'' qui, {{incise|également lui seul}} peut la concrétiser. Pas de liberté, par conséquent, sans [[universalisme]] et sans [[individualisme]]. Comment ses deux pôles, a priori antagonistes, peuvent-ils s'articuler ? Citot propose cette réponse :{{citation bloc|La culture apparaît comme une libération collective de l’homme par rapport aux impératifs de la nature, et la singularité individuelle entend se libérer à son tour de ce collectif, dont les normes transcendantes le placent dans une posture d’hétéronomie. ''L’affirmation de l’individualité face aux normes et aux exigences supra-individuelles sera l’une des caractéristiques de la modernité.'' L’individu entend exercer sa pensée et son [[esprit critique]], il veut exprimer sa sensibilité propre, par-delà les dogmes et canons de la société à laquelle il appartient. L’individualisme ainsi compris n’implique aucune désocialisation ou repli sur soi égoïste . L’autonomie individuelle ne vise pas l’atomisation du tissu social, mais cherche seulement une forme de socialisation compatible avec le respect de la liberté individuelle. La démocratie moderne et le droit moderne seront une figure de ce compromis<ref name=citot/>.}}
{{citation bloc|La liberté à laquelle aspire la modernité doit se comprendre comme une recherche d’[[autonomie]] : elle est l’acte par lequel l’individu refuse de voir son existence, ses valeurs et ses normes déterminées par une instance extérieure, quelle qu’elle soit. Elle est donc l’affirmation par l’homme de sa position de fondement. Présomption ruineuse ? Non, [[humanisme]] et lucidité. Ne rien tenir pour vrai et pour valable que ce que j’ai moi-même vérifié et pensé, tel serait le principe de la modernité, que Descartes a explicité en son temps. Cet humanisme prométhéen est le fondement de l’esprit moderne, qui fait de l’homme un dieu, en quelque sorte, contre le poids de la religion, des traditions et des coutumes. La modernité humaniste est donc une confiance indéfectible en la capacité de l’homme à trouver en lui-même le fondement des normes et des valeurs, ainsi que l’accès aux vérités de ce monde<ref name=citot>[[Vincent Citot]], Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme), ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25, p.35-76</ref>}}

Mais, poursuit Citot, la liberté {{incise|au sens moderne}} suppose d'une part l'affirmation du ''collectif'' (la société, la culture, l'État…) qui, seul, est apte à l'institutionnaliser ; d'autre part la mise en avant de l'''individuel'' qui, {{incise|également lui seul}} peut la concrétiser. Pas de liberté, par conséquent, sans [[universalisme]] et sans [[individualisme]]. Comment ses deux pôles, ''a priori'' antagonistes, peuvent-ils s'articuler ? Citot propose cette réponse :
{{citation bloc|La culture apparaît comme une libération collective de l’homme par rapport aux impératifs de la nature, et la singularité individuelle entend se libérer à son tour de ce collectif, dont les normes transcendantes le placent dans une posture d’hétéronomie. ''L’affirmation de l’individualité face aux normes et aux exigences supra-individuelles sera l’une des caractéristiques de la modernité.'' L’individu entend exercer sa pensée et son [[esprit critique]], il veut exprimer sa sensibilité propre, par-delà les dogmes et canons de la société à laquelle il appartient. L’individualisme ainsi compris n’implique aucune désocialisation ou repli sur soi égoïste . L’autonomie individuelle ne vise pas l’atomisation du tissu social, mais cherche seulement une forme de socialisation compatible avec le respect de la liberté individuelle. La démocratie moderne et le droit moderne seront une figure de ce compromis<ref name=citot/>.}}


=== De la rationalité à la quête d'efficacité maximale ===
=== De la rationalité à la quête d'efficacité maximale ===
{{Article détaillé|Rationalité|Rationalisation}}
{{Article détaillé|Rationalité|Rationalisation}}
[[File:Frans_Hals_-_Portret_van_René_Descartes.jpg|thumb|120px|[[René Descartes]]]]
Se référant au [[Discours de la Méthode]] de [[René Descartes|Descartes]] (publié en 1637), en particulier à la célèbre formule [[Maîtres et possesseurs de la nature|« nous pourrions nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »]], [[Thierry Ménissier]] estime qu'{{citation|on assiste (au {{s|XVII}}) à une [[rationalisation]] progressive de tous les champs de l'activité humaine {{incise|notamment en art, en pédagogie et en droit}} et par suite les conduites elles-mêmes, soumises au droit, deviennent davantage rationnelles. La science (ou [[scientificité]]) est désormais considérée comme une valeur, un moyen permettant à l'homme d'agir sur le monde<ref>[[Thierry Ménissier]], ''Op. cit''.</ref>.}}
Se référant au ''[[Discours de la Méthode]]'' de [[René Descartes|Descartes]] (publié en 1637), en particulier à la célèbre formule [[Maîtres et possesseurs de la nature|« nous pourrions nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »]], [[Thierry Ménissier]] estime qu'{{citation|on assiste (au {{s|XVII}}) à une [[rationalisation]] progressive de tous les champs de l'activité humaine {{incise|notamment en art, en pédagogie et en droit}} et par suite les conduites elles-mêmes, soumises au droit, deviennent davantage rationnelles. La science (ou [[scientificité]]) est désormais considérée comme une valeur, un moyen permettant à l'homme d'agir sur le monde}}<ref>[[Thierry Ménissier]], ''Op. cit''.</ref>.


Cet exercice intensif de la raison s'exprime essentiellement de deux façons :<br>- d'une part sur la pensée elle-même, notamment à partir de la fin du {{s|XVIII}} dans le champ de la philosophie, sous l'influence de [[Emmanuel Kant|Kant]] : c'est le [[criticisme]] ;<br>- d'autre part sur le réel objectif (l'environnement naturel), en premier lieu au cours du {{s|XIX}} suite au processus d'[[industrialisation]], c'est ''la rationalisation''.
Cet exercice intensif de la raison s'exprime essentiellement de deux façons :<br>- d'une part sur la pensée elle-même, notamment à partir de la fin du {{s|XVIII}} dans le champ de la philosophie, sous l'influence de [[Emmanuel Kant|Kant]] : c'est le [[criticisme]] ;<br>- d'autre part sur le réel objectif (l'environnement naturel), en premier lieu au cours du {{s|XIX}} à la suite du processus d'[[industrialisation]], c'est ''la rationalisation''.


* {{Citation|L’âge des Lumières est celui de la ''critique'' et la critique, conçue comme une méthode d’investigation, de création et d’action, est le trait distinctif de la modernité : critique de la religion, de la philosophie, de la morale, du droit, de l’histoire, de l’économie et de la politique. Les idées cardinales de l’âge moderne – progrès, révolution, liberté, démocratie – sont issues de la critique<ref>[[Zeev Sternhell]], La modernité et ses ennemis, introduction de ''De la révolte contre les Lumières au rejet de la démocratie'', L’éternel retour, 1994, p.9-37</ref>.}}
* {{Citation|L’âge des Lumières est celui de la ''critique'' et la critique, conçue comme une méthode d’investigation, de création et d’action, est le trait distinctif de la modernité : critique de la religion, de la philosophie, de la morale, du droit, de l’histoire, de l’économie et de la politique. Les idées cardinales de l’âge moderne – progrès, révolution, liberté, démocratie – sont issues de la critique}}<ref>[[Zeev Sternhell]], La modernité et ses ennemis, introduction de ''De la révolte contre les Lumières au rejet de la démocratie'', L’éternel retour, 1994, {{p.|9-37}}</ref>.


* {{citation|la modernité occidentale se caractérise (par ailleurs) par un processus de ''rationalisation'' des [[Action sociale|actions sociales]]. [[Max Weber]] établit une typologie des déterminants de l’action sociale : "traditionnelle", "émotionnelle", "rationnelle en valeur" et "rationnelle en finalité"<ref>[https://education.francetv.fr/matiere/economie/premiere/article/sociologie-de-la-modernite-selon-max-weber Sociologie de la modernité selon Max Weber], ''Lumni'', 2019</ref>{{,}}<ref>[[Patrick Watier]], [https://www.cairn.info/revue-societes-2008-2-page-15.htm Max Weber : analyste et critique de la modernité], ''Sociétés'', 2008/2, n° 100, p. 15-30</ref>}}.
* {{citation|la modernité occidentale se caractérise (par ailleurs) par un processus de ''rationalisation'' des [[Action sociale|actions sociales]]. [[Max Weber]] établit une typologie des déterminants de l’action sociale : "traditionnelle", "émotionnelle", "rationnelle en valeur" et "rationnelle en finalité"}}<ref>[https://education.francetv.fr/matiere/economie/premiere/article/sociologie-de-la-modernite-selon-max-weber Sociologie de la modernité selon Max Weber], ''Lumni'', 2019</ref>{{,}}<ref>[[Patrick Watier]], [https://www.cairn.info/revue-societes-2008-2-page-15.htm Max Weber : analyste et critique de la modernité], ''Sociétés'', 2008/2, {{|100}}, {{p.|15-30}}</ref>.
[[File:Max Weber 1894.jpg|thumb|120px|[[Max Weber]]]]
[[File:Max Weber 1894.jpg|thumb|120px|[[Max Weber]]]]

En 1905, dans ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]'', puis en 1919, dans ''[[Le savant et le politique]]'', Weber voit dans la rationalisation le fondement par excellence de l'idée de modernité<ref>Françoise Mazuir, [https://www.cairn.info/revue-societes-2004-4-page-119.htm Le processus de rationalisation chez Max Weber], ''Sociétés'' n°86, 2004/4, p.119-124</ref> : {{citation bloc|Le destin de notre époque, caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le [[désenchantement du monde]], a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique. Elles ont trouvé refuge soit dans le royaume transcendant de la vie mystique soit dans la fraternité des relations directes et réciproques entre individus isolés<ref>[[Max Weber]], ''[[Le savant et le politique]]''</ref>.}}Selon Weber, c'est dans le [[capitalisme|système capitaliste]] que le sens de la rationalisation se déploie de la façon la plus explicite. Mais, précise t-il, le capitalisme lui-même ne découle pas tant d'une quête de profit, comme les [[Marxisme|marxistes]] se plaisent à le penser, que d'une [[éthique]] héritière du [[protestantisme]]<ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]''</ref>. Commentant cette analyse, [[Jacques Ellul]] écrit : {{citation bloc|Weber montre bien que (...) la rationalité ne vient pas de l’influence d’une philosophie à laquelle on adhérerait par conviction intellectuelle. Il ne cite même pas [[René Descartes|Descartes]], il cherche plus profond. Quel est le soubassement ? Il faut qu’il y ait eu non pas une adhésion intellectuelle mais ''un changement de [[Weltanschauung|conception de la vie]]''. Il met alors en valeur un aspect essentiel : l’esprit du capitalisme est ''une [[éthique]]''. C’est-à-dire que le comportement économique du plus grand profit n’est pas seulement un résultat de l’appétit d’argent ou de puissance, ni une attitude [[Utilitarisme|utilitariste]] : il représente ''le bien''. (...) (En revanche) un aspect considérable n’est pas retenu par Weber, c'est celui de la désacralisation. Si l’activité technique a pu prendre l’essor qu’elle a eu à partir du {{s|XVIII}}, c’est parce que la Réforme a désacralisé la nature (...). Celle-ci est une sorte de domaine livré à l’homme pour être exploité. L’homme peut faire ce qu’il veut dans cette nature complètement laïcisée. Nous avons là aussi un [[Énantiodromie|renversement de conception]] décisif qui a préparé la possibilité d’une application sans frein des techniques<ref>[[Jacques Ellul]], Max Weber: l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ''Revue française de sociologie'', SEDEIS, 1964. [http://www.lhoumeau.com/w/Intura/www/fonds/j-ellul/maxweber-lethique.htm Texte en ligne]</ref>.}}Ellul précise que selon lui, les humains sont tellement portés par cet esprit de rationalisation qu'ils multiplient et améliorent sans cesse les techniques, au point que celles-ci constituent désormais un nouvel ''[[environnement]]'', au même titre qu'autrefois la nature. Selon lui, ce que Weber appelle « désenchantement du monde » ne correspond en réalité qu'à une "désacralisation de la nature" et c'est l'ensemble des techniques {{incise|par lesquelles les hommes ne cessent de désacraliser et [[Pollution|profaner la nature]]}} qui est désormais [[Sacralisation#La_technique|sacralisé]]. Ellul définit "la Technique" comme {{citation|la préoccupation de l'immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus [[Efficacité|efficace]]<ref>[[Jacques Ellul]], ''[[La Technique ou l'Enjeu du siècle]]'', 1954. Rééd. Economica, 2008, p. 18.</ref>}}.
En 1905, dans ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]'', puis en 1919, dans ''[[Le Savant et le Politique]]'', Weber voit dans la rationalisation le fondement par excellence de l'idée de modernité<ref>Françoise Mazuir, [https://www.cairn.info/revue-societes-2004-4-page-119.htm Le processus de rationalisation chez Max Weber], ''Sociétés'' {{n°|86}}, 2004/4, {{p.|119-124}}</ref> :
{{citation bloc|Le destin de notre époque, caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le [[désenchantement du monde]], a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique. Elles ont trouvé refuge soit dans le royaume transcendant de la vie mystique soit dans la fraternité des relations directes et réciproques entre individus isolés<ref>[[Max Weber]], ''[[Le Savant et le Politique]]''</ref>.}}

Selon Weber, c'est dans le [[capitalisme|système capitaliste]] que le sens de la rationalisation se déploie de la façon la plus explicite. Mais, précise t-il, le capitalisme lui-même ne découle pas tant d'une quête de profit, comme les [[Marxisme|marxistes]] se plaisent à le penser, que d'une [[éthique]] héritière du [[protestantisme]]<ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]''</ref>. Commentant cette analyse, [[Jacques Ellul]] écrit :
{{citation bloc|Weber montre bien que (…) la rationalité ne vient pas de l’influence d’une philosophie à laquelle on adhérerait par conviction intellectuelle. Il ne cite même pas [[René Descartes|Descartes]], il cherche plus profond. Quel est le soubassement ? Il faut qu’il y ait eu non pas une adhésion intellectuelle mais ''un changement de [[Weltanschauung|conception de la vie]]''. Il met alors en valeur un aspect essentiel : l’esprit du capitalisme est ''une [[éthique]]''. C’est-à-dire que le comportement économique du plus grand profit n’est pas seulement un résultat de l’appétit d’argent ou de puissance, ni une attitude [[Utilitarisme|utilitariste]] : il représente ''le bien''. (…) (En revanche) un aspect considérable n’est pas retenu par Weber, c'est celui de la désacralisation. Si l’activité technique a pu prendre l’essor qu’elle a eu à partir du {{s|XVIII}}, c’est parce que la Réforme a désacralisé la nature (…). Celle-ci est une sorte de domaine livré à l’homme pour être exploité. L’homme peut faire ce qu’il veut dans cette nature complètement laïcisée. Nous avons là aussi un [[Énantiodromie|renversement de conception]] décisif qui a préparé la possibilité d’une application sans frein des techniques<ref>[[Jacques Ellul]], Max Weber: l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ''Revue française de sociologie'', SEDEIS, 1964. [http://www.lhoumeau.com/w/Intura/www/fonds/j-ellul/maxweber-lethique.htm Texte en ligne]</ref>.}}

Ellul précise que selon lui, les humains sont tellement portés par cet esprit de rationalisation qu'ils multiplient et améliorent sans cesse les techniques, au point que celles-ci constituent désormais un nouvel ''[[environnement]]'', au même titre qu'autrefois la nature. Selon lui, ce que Weber appelle « désenchantement du monde » ne correspond en réalité qu'à une « désacralisation de la nature » et c'est l'ensemble des techniques {{incise|par lesquelles les hommes ne cessent de désacraliser et [[Pollution|profaner la nature]]}} qui est désormais [[Sacralisation#La_technique|sacralisé]]. Ellul définit "la Technique" comme {{citation|la préoccupation de l'immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus [[Efficacité|efficace]]}}<ref>[[Jacques Ellul]], ''[[La Technique ou l'Enjeu du siècle]]'', 1954. Rééd. Economica, 2008, {{p.|18}}.</ref>.


=== Bonheur, travail, technique : la triade du progrès ===
=== Bonheur, travail, technique : la triade du progrès ===
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=== Changement, innovation, développement, croissance ===
=== Changement, innovation, développement, croissance ===
{{Article détaillé|Changement|innovation|Développement économique et social{{!}}développement|Croissance économique}}
{{Article détaillé|Changement|innovation|Développement économique et social{{!}}développement|Croissance économique}}
En 1985, [[Jean Baudrillard]] qualifie la modernité de « morale canonique du changement<ref name="a1" />».
En 1985, [[Jean Baudrillard]] qualifie la modernité de {{citation|morale canonique du changement}}<ref name="a1" />.


De fait, dans les milieux institutionnels, le goût du changement est souvent présenté comme une ''valeur de la modernité'' : « moderniser, c'est adapter l'action publique à la société de demain », estime par exemple Laure de La Bretèche, secrétaire générale pour la [[Modernisation de l'action publique|modernisation de l’action publique]] en 2017, évoquant « l'esprit de modernité » et la nécessité {{incise|selon elle}} de le « rendre désirable »<ref>Laure de La Bretèche, [https://www.modernisation.gouv.fr/home/rendre-desirables-lesprit-de-modernite-le-changement-et-la-reforme « Rendre désirables l'esprit de modernité, le changement et la réforme »], ''Le portail de la modernisation de l'action publique'', 26 janvier 2017 </ref>.
De fait, dans les milieux institutionnels, le goût du changement est souvent présenté comme une ''valeur de la modernité'' : « moderniser, c'est adapter l'action publique à la société de demain », estime par exemple Laure de La Bretèche, secrétaire générale pour la [[Modernisation de l'action publique|modernisation de l’action publique]] en 2017, évoquant « l'esprit de modernité » et la nécessité {{incise|selon elle}} de le « rendre désirable »<ref>Laure de La Bretèche, [https://www.modernisation.gouv.fr/home/rendre-desirables-lesprit-de-modernite-le-changement-et-la-reforme « Rendre désirables l'esprit de modernité, le changement et la réforme »], ''Le portail de la modernisation de l'action publique'', 26 janvier 2017</ref>.


La même tendance s'observe dans le milieu du [[management]]. Selon certains observateurs, une entreprise, quelle que soit sa taille, est "moderne" dès lors qu'elle ''innove'' : {{citation|l’[[innovation]] est au cœur de la modernité. Dans la première phase (''proto''-''modernité''), elle est le fait d’ingénieux ; dans la seconde ([[Postmodernité|''post''-''modernité'']]), d’[[ingénieurs]]. Les [[Classement des plus grandes entreprises|hyperfirmes]] (sic) gèrent et planifient l’innovation, dissuadant le développement d’innovations radicales. La ''troisième modernité'' constitue une rupture dans la vision de l’innovation. Elle est désormais le fait de toutes petites entreprises, les [[Microentreprise|hypofirmes]] (sic), qui souhaitent rester petites, en adoptant une stratégie singulière, fondée sur une approche ressources-compétences [[idiosyncrasique]], sur un marché étroitement délimité et sur un réseau relationnel fort<ref>Michel Marchesnay, [https://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-147.htm?contenu=resume L'hypofirme, vivier et creuset de l'innovation hypermoderne], ''Innovations'', 2008/1, n° 27, p.147-161</ref>.}}
La même tendance s'observe dans le milieu du [[management]]. Selon certains observateurs, une entreprise, quelle que soit sa taille, est "moderne" dès lors qu'elle ''innove'' : {{citation|l’[[innovation]] est au cœur de la modernité. Dans la première phase (''proto''-''modernité''), elle est le fait d’ingénieux ; dans la seconde ([[Postmodernité|''post''-''modernité'']]), d’[[ingénieur]]s. Les [[Classement des plus grandes entreprises|hyperfirmes]] (sic) gèrent et planifient l’innovation, dissuadant le développement d’innovations radicales. La ''troisième modernité'' constitue une rupture dans la vision de l’innovation. Elle est désormais le fait de toutes petites entreprises, les [[Microentreprise|hypofirmes]] (sic), qui souhaitent rester petites, en adoptant une stratégie singulière, fondée sur une approche ressources-compétences [[idiosyncrasique]], sur un marché étroitement délimité et sur un réseau relationnel fort}}<ref>Michel Marchesnay, [https://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-147.htm?contenu=resume L'hypofirme, vivier et creuset de l'innovation hypermoderne], ''Innovations'', 2008/1, {{|27}}, {{p.|147-161}}</ref>.


On retrouve enfin le thème de la modernité dans la plupart des grands débats sur le thème du [[développement économique et social|développement]], parfois sous la forme de questionnements : {{citation|la modernité désigne la nouveauté et le [[progrès]]. Elle suppose une rupture avec l'ancien ou le traditionnel. Par là, elle se rapproche du développement si l'on admet que ce dernier requiert lui aussi la croissance, l'évolution, le passage de l'ancien au nouveau, le progrès. Cependant, si le développement implique l'idée de progrès et si tout progrès connote l'idée de nouveauté, doit-on pour autant réduire le développement à la nouveauté comme telle<ref>Emile Kenmogne (dir.), ''Le Développement et la question de la modernité'', L'Harmattan, 2010</ref> ?}}. Les réponses à ces questions sont partagées : alors que l'économiste Jean-Paul Karsenty n'hésite pas à associer les concepts de "modernité" et de "[[développement durable]]"<ref>Jean-Paul Karsenty, [https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-karsenty/blog/210608/un-developpement-durable-oui-mais-moderne-et-humain Un développement durable, oui, mais moderne et humain !] ''Médiapart'', 22 juin 2008</ref>, d'autres, partant de l'idée que "la modernité" est une [[idéologie]], se demandent, inquiets, si le concept de développement durable n'en est pas une nouvelle figure<ref>Xavier Arnauld de Sartre et Vincent Berdoulay, [https://www.cairn.info/des-politiques-territoriales-durables--9782759216413-page-15.htm Le développement durable : une inflexion de la modernité ?] ''Des politiques territoriales durables ?'', 2011, p. 15-31</ref>{{,}}<ref>[[Sylvie Brunel]], La fin de l'idéologie du développement, ''Le Développement durable'', 2012, p. 7-18</ref>.
On retrouve enfin le thème de la modernité dans la plupart des grands débats sur le thème du [[développement économique et social|développement]], parfois sous la forme de questionnements : {{citation|la modernité désigne la nouveauté et le [[progrès]]. Elle suppose une rupture avec l'ancien ou le traditionnel. Par là, elle se rapproche du développement si l'on admet que ce dernier requiert lui aussi la croissance, l'évolution, le passage de l'ancien au nouveau, le progrès. Cependant, si le développement implique l'idée de progrès et si tout progrès connote l'idée de nouveauté, doit-on pour autant réduire le développement à la nouveauté comme telle ?}}<ref>Emile Kenmogne (dir.), ''Le Développement et la question de la modernité'', L'Harmattan, 2010</ref>. Les réponses à ces questions sont partagées : alors que l'économiste Jean-Paul Karsenty n'hésite pas à associer les concepts de "modernité" et de "[[développement durable]]"<ref>Jean-Paul Karsenty, [https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-karsenty/blog/210608/un-developpement-durable-oui-mais-moderne-et-humain Un développement durable, oui, mais moderne et humain !] ''Médiapart'', 22 juin 2008</ref>, d'autres, partant de l'idée que "la modernité" est une [[idéologie]], se demandent, inquiets, si le concept de développement durable n'en est pas une nouvelle figure<ref>Xavier Arnauld de Sartre et Vincent Berdoulay, [https://www.cairn.info/des-politiques-territoriales-durables--9782759216413-page-15.htm Le développement durable : une inflexion de la modernité ?] ''Des politiques territoriales durables ?'', 2011, {{p.|15-31}}</ref>{{,}}<ref>[[Sylvie Brunel]], La fin de l'idéologie du développement, ''Le Développement durable'', 2012, {{p.|7-18}}</ref>.


D'un point de vue économique, le concept de modernité trouve sa justification dans les objectifs de croissance<ref>Mathieu Flonneau, [https://ehne.fr/article/civilisation-materielle/modernites-materielles-reflet-dune-europe-en-croissance/modernites-materielles-reflet-dune-europe-en-croissance Modernité(s) matérielle(s) : reflet d’une Europe en croissance, ''Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe''], non daté.</ref>.
D'un point de vue économique, le concept de modernité trouve sa justification dans les objectifs de croissance<ref>Mathieu Flonneau, [https://ehne.fr/article/civilisation-materielle/modernites-materielles-reflet-dune-europe-en-croissance/modernites-materielles-reflet-dune-europe-en-croissance Modernité(s) matérielle(s) : reflet d’une Europe en croissance, ''Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe''], non daté.</ref>.
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=== Le confort matériel : première justification du productivisme ===
=== Le confort matériel : première justification du productivisme ===
{{Article détaillé|Productivisme|Trente Glorieuses}}
{{Article détaillé|Productivisme|Trente Glorieuses}}
Le concept de modernité est très souvent associé au processus d'[[anthropisation]], transformation physique de l’environnement terrestre sous l’effet des systèmes techniques de l’humanité, résultat du processus d'[[industrialisation]] amorcé au {{s-|XVIII}}<ref>[[Dominique Bourg]], [https://esprit.presse.fr/article/dominique-bourg/modernite-et-appartenance-a-la-nature-10549 Modernité et appartenance à la nature], revue ''Esprit'', n° 222, juin 1996, p. 55-80</ref>. En vue d'analyser les soubassements éthiques de ce processus, différents intellectuels estiment que l'idéal de modernité est fondé sur l'alliance de deux termes en apparence antagonistes : le bonheur et le travail (lire [[#Bonheur,_travail,_technique_:_la_triade_du_progrès|supra]]).
Le concept de modernité est très souvent associé au processus d'[[anthropisation]], transformation physique de l’environnement terrestre sous l’effet des systèmes techniques de l’humanité, résultat du processus d'[[industrialisation]] amorcé au {{s-|XVIII}}<ref>[[Dominique Bourg]], [https://esprit.presse.fr/article/dominique-bourg/modernite-et-appartenance-a-la-nature-10549 Modernité et appartenance à la nature], revue ''Esprit'', {{|222}}, juin 1996, {{p.|55-80}}</ref>. En vue d'analyser les soubassements éthiques de ce processus, différents intellectuels estiment que l'idéal de modernité est fondé sur l'alliance de deux termes en apparence antagonistes : le bonheur et le travail (lire [[#Bonheur,_travail,_technique_:_la_triade_du_progrès|supra]]).


Mais alors que pour certains {{citation|bonheur et modernité paraissent liés avec l’idée euphorique que la ''connaissance'' des lois de la nature et des « droits naturels » des humains permet d’être heureux<ref>[[Jean Baubérot]], [https://www.cairn.info/les-laicites-dans-le-monde--9782130586159-page-45.htm Laïcité et modernité triomphante], ''Les laïcités dans le monde'', 2010</ref>}}, pour d'autres, le bonheur tel qu'il est promu par les Lumières ne s'apparente pas seulement à ''la connaissance des lois de la nature'' mais à ''l'assujettissement pur et simple de la nature'' : tout d'abord par le biais du travail humain puis, dans un second temps, au moyen de toutes sortes de techniques de production nées à la fois de l'essor du [[machinisme]] et d'un plaisir immodéré de "consommer" les produits rendus possibles par le "[[progrès technique]]" ("[[société de consommation]]").
Mais alors que pour certains {{citation|bonheur et modernité paraissent liés avec l’idée euphorique que la ''connaissance'' des lois de la nature et des « droits naturels » des humains permet d’être heureux<ref>[[Jean Baubérot]], [https://www.cairn.info/les-laicites-dans-le-monde--9782130586159-page-45.htm Laïcité et modernité triomphante], ''Les laïcités dans le monde'', 2010</ref>}}, pour d'autres, le bonheur tel qu'il est promu par les Lumières ne s'apparente pas seulement à ''la connaissance des lois de la nature'' mais à ''l'assujettissement pur et simple de la nature'' : tout d'abord par le biais du travail humain puis, dans un second temps, au moyen de toutes sortes de techniques de production nées à la fois de l'essor du [[machinisme]] et d'un plaisir immodéré de "consommer" les produits rendus possibles par le "[[progrès technique]]" ("[[société de consommation]]").


C'est ainsi qu'au milieu des années 1960 {{incise|qui correspondent à l'apogée de la période de forte [[croissance économique]] dite "[[Trente glorieuses]]"}} quelques intellectuels considèrent que, sous l'effet du [[consumérisme]], "bonheur" et "confort matériel" sont devenus des termes interchangeables.
C'est ainsi qu'au milieu des années 1960 {{incise|qui correspondent à l'apogée de la période de forte [[croissance économique]] dite "[[Trente Glorieuses]]"}} quelques intellectuels considèrent que, sous l'effet du [[consumérisme]], "bonheur" et "confort matériel" sont devenus des termes interchangeables.


* En 1965, dans son roman ''[[Les Choses]]'', l'écrivain [[Georges Pérec]] pose un regard critique sur le [[matérialisme]] porté par la [[société de consommation]]. Interrogé peu après sur ses intentions, il répond : « il y a une espèce de ''bonheur de la modernité'', même dans l’impossibilité ou la déception. Oui, c’est cela le ''bonheur dans la modernité''. »<ref>[[Georges Pérec]], « Le bonheur dans la modernité » [Entretien avec [[Jean Duvignaud]]], ''Le Nouvel Observateur'', n° 57, 15-21 décembre 1965, p. 32-33.</ref>.
* En 1965, dans son roman ''[[Les Choses]]'', l'écrivain [[Georges Perec|Georges Pérec]] pose un regard critique sur le [[matérialisme]] porté par la [[société de consommation]]. Interrogé peu après sur ses intentions, il répond : « il y a une espèce de ''bonheur de la modernité'', même dans l’impossibilité ou la déception. Oui, c’est cela le ''bonheur dans la modernité''. »<ref>[[Georges Perec|Georges Pérec]], « Le bonheur dans la modernité » [Entretien avec [[Jean Duvignaud]]], ''Le Nouvel Observateur'', {{|57}}, 15-21 décembre 1965, {{p.|32-33}}.</ref>.


* Deux ans plus tard, dans ''Métamorphose du bourgeois'', [[Jacques Ellul]] écrit : {{citation|Il y a coïncidence historique entre le moment où se formule la conception juridico-idéologique du bonheur et celui où apparaissent les possibilités d’un [[Bien-être|bien-être matériel]] pour chacun. Cette coïncidence est décisive car, dès lors, le bonheur est associé à ce bien-être. L’idéologie du bonheur implique donc le développement technique nécessaire à une production de biens allant croissant : elle ''[[Justification (philosophie)|justifie]]'' la [[croissance économique]] et la [[Société post-industrielle|civilisation technicienne]]. Par la suite, elle apparaît comme la compensation indispensable de l’immensité du travail à dépenser pour accéder au bien-être. (...) Le monde qui se fait sous nos yeux obéit à la même idéologie que celle du bourgeois du {{s-|XVIII}}, celle du bonheur. Mais le bonheur a changé de rôle et de signification : il était à l’origine une vision plus ou moins claire d’un monde souhaitable. [...] Mais depuis, la création de bien-être au moyen d'une prolifération d'utilités (est devenue réalité). Et voici que cette multiplication d’objets à consommer produit un effet singulier : elle exige de celui qui les produit un [[sacrifice]] de plus en plus accentué : le [[travail]]<ref>[[Jacques Ellul]], ''Métamorphose du bourgeois'', 1967. Réed. éd. La Table Ronde, coll. « La petite vermillon », 1998, pages 93 et 294</ref>.}}
* Deux ans plus tard, dans ''Métamorphose du bourgeois'', [[Jacques Ellul]] écrit : {{citation|Il y a coïncidence historique entre le moment où se formule la conception juridico-idéologique du bonheur et celui où apparaissent les possibilités d’un [[Bien-être|bien-être matériel]] pour chacun. Cette coïncidence est décisive car, dès lors, le bonheur est associé à ce bien-être. L’idéologie du bonheur implique donc le développement technique nécessaire à une production de biens allant croissant : elle ''[[Justification (philosophie)|justifie]]'' la [[croissance économique]] et la [[Société post-industrielle|civilisation technicienne]]. Par la suite, elle apparaît comme la compensation indispensable de l’immensité du travail à dépenser pour accéder au bien-être. () Le monde qui se fait sous nos yeux obéit à la même idéologie que celle du bourgeois du {{s-|XVIII}}, celle du bonheur. Mais le bonheur a changé de rôle et de signification : il était à l’origine une vision plus ou moins claire d’un monde souhaitable. [] Mais depuis, la création de bien-être au moyen d'une prolifération d'utilités (est devenue réalité). Et voici que cette multiplication d’objets à consommer produit un effet singulier : elle exige de celui qui les produit un [[sacrifice]] de plus en plus accentué : le [[travail]]}}<ref>[[Jacques Ellul]], ''Métamorphose du bourgeois'', 1967. Réed. éd. La Table Ronde, coll. « La petite vermillon », 1998, {{p.|93}} et 294</ref>.


Par la suite, les analyses mettant en lien "l'idéologie du bonheur" et l'exigence de [[productivité]] par des moyens techniques sont plus rarement reprises. Ainsi en 1993, le sociologue Olivier Le Goff estime que « le confort n'est plus uniquement à comprendre comme ''une valeur emblématique de la modernité'', autrement dit comme l'un de ses modes privilégiés de représentation et de légitimation, mais comme l'une de ses instances productrices de son sens<ref>Olivier Le Goff, ''L'invention du confort. Naissance d'une forme sociale'', Presses Universitaires de Lyon, 1994. Lire en particulier le chapitre 4 : « [https://books.openedition.org/pul/9494 Confort, modernité et fin de siècle] »</ref>». Selon lui, {{citation|la mise au travail d’une grande partie de la population passe par l’amélioration du confort, valeur méritoire et morale. (...) Mais c’est avant tout par la [[mécanisation]] progressive dont il est l’objet que le confort devient véritablement ce bien-être matériel qui engage un rapport nouveau au quotidien. Le confort, grâce à l’utilisation de la machine, devient synonyme de gain de temps et de moindre effort<ref>Op. cit. [https://books.openedition.org/pul/9497 pages de conclusion].</ref>.}}
Par la suite, les analyses mettant en lien "l'idéologie du bonheur" et l'exigence de [[productivité]] par des moyens techniques sont plus rarement reprises. Ainsi en 1993, le sociologue Olivier Le Goff estime que « le confort n'est plus uniquement à comprendre comme ''une valeur emblématique de la modernité'', autrement dit comme l'un de ses modes privilégiés de représentation et de légitimation, mais comme l'une de ses instances productrices de son sens<ref>Olivier Le Goff, ''L'invention du confort. Naissance d'une forme sociale'', Presses Universitaires de Lyon, 1994. Lire en particulier le chapitre 4 : « [https://books.openedition.org/pul/9494 Confort, modernité et fin de siècle] »</ref>». Selon lui, {{citation|la mise au travail d’une grande partie de la population passe par l’amélioration du confort, valeur méritoire et morale. () Mais c’est avant tout par la [[mécanisation]] progressive dont il est l’objet que le confort devient véritablement ce bien-être matériel qui engage un rapport nouveau au quotidien. Le confort, grâce à l’utilisation de la machine, devient synonyme de gain de temps et de moindre effort}}<ref>Op. cit. [https://books.openedition.org/pul/9497 pages de conclusion].</ref>.


== Les contextes de la modernité et les premières interrogations ==
== Les contextes de la modernité et les premières interrogations ==
Né au début du {{s-|XIX}} avec [[Hegel]], le concept de modernité s'est ensuite développé dans le contexte particulier d'une mutation sans précédent de la [[société occidentale]], résultant de l'[[industrialisation]] et de l'[[urbanisation]].
Né au début du {{s-|XIX}} avec [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]], le concept de modernité s'est ensuite développé dans le contexte particulier d'une mutation sans précédent de la [[société occidentale]], résultant de l'[[industrialisation]] et de l'[[urbanisation]].


Durant la seconde moitié du siècle, [[Karl Marx]] en est sans conteste le premier critique. Estimant que l'économie constitue l'élément ''[[Déterminisme historique|déterminant]]'' de la société, il estime que les principaux ingrédients en sont les structures du [[capitalisme]].
Durant la seconde moitié du siècle, [[Karl Marx]] en est sans conteste le premier critique. Estimant que l'économie constitue l'élément ''[[Déterminisme historique|déterminant]]'' de la société, il estime que les principaux ingrédients en sont les structures du [[capitalisme]].
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D'autres penseurs vont lui emboîter le pas, depuis des analyses très différentes mais avec pour point commun la dénonciation des prétentions de la raison à pouvoir penser et changer le monde : [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]] à la fin du {{s-|XIX}} et [[Sigmund Freud|Freud]] au tout début du {{s-|XX}}.
D'autres penseurs vont lui emboîter le pas, depuis des analyses très différentes mais avec pour point commun la dénonciation des prétentions de la raison à pouvoir penser et changer le monde : [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]] à la fin du {{s-|XIX}} et [[Sigmund Freud|Freud]] au tout début du {{s-|XX}}.


Également à cette époque, [[Max Weber]] considère que les valeurs de la modernité s'inscrivent directement dans le sillage de celles auxquelles elles prétendent s'opposer, à savoir celles du [[christianisme]]. Après lui, d'autres penseurs (notamment [[Carl Schmitt]] et [[Karl Löwith]]) estimeront que le discours sur la modernité constitue la transposition [[Sécularisation|sécularisée]] d'une vision de l'histoire élaborée par le christianisme, approche qui sera par la suite parfois contestée.
Également à cette époque, [[Max Weber]] considère que les valeurs de la modernité s'inscrivent directement dans le sillage de celles auxquelles elles prétendent s'opposer, à savoir celles du [[christianisme]]. Après lui, d'autres penseurs (notamment [[Carl Schmitt]] et [[Karl Löwith]]) estimeront que le discours sur la modernité constitue la transposition [[Sécularisation|sécularisée]] d'une vision de l'histoire élaborée par le christianisme, approche qui sera par la suite parfois contestée.


Si l'on a longtemps opposé l'analyse de Marx et celle de Weber, certains s'efforcent sinon de les concilier, au moins les articuler, dont Löwith lui-même<ref>[[Karl Löwith]], ''Max Weber et Karl Marx'', Payot, 2009.</ref>.
Si l'on a longtemps opposé l'analyse de Marx et celle de Weber, certains s'efforcent sinon de les concilier, au moins les articuler, dont Löwith lui-même<ref>[[Karl Löwith]], ''Max Weber et Karl Marx'', Payot, 2009.</ref>.


=== Marx, Nietzsche, Freud et la philosophie du soupçon ===
=== Marx, Nietzsche, Freud et la philosophie du soupçon ===
Selon le philosophe [[Paul Ricoeur]], [[Karl Marx|Marx]], [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]] et [[Sigmund Freud|Freud]] ont fortement contribué à remettre en question l'ensemble des discours sur la modernité car ils sont à l'origine d'une « perte de confiance » dans la capacité de la raison à interpréter le monde, contrairement à ce que l'on supposait depuis la [[Théorie de la connaissance de Kant|théorie kantienne de la connaissance]], selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du [[Sujet (philosophie)|sujet]] connaissant. Ricoeur voit en eux ''les maîtres du soupçon''<ref>[[Paul Ricoeur]], ''De l'interprétation'', Le Seuil, 1965. Réed. 1995 </ref>.
Selon le philosophe [[Paul Ricœur]], [[Karl Marx|Marx]], [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]] et [[Sigmund Freud|Freud]] ont fortement contribué à remettre en question l'ensemble des discours sur la modernité car ils sont à l'origine d'une « perte de confiance » dans la capacité de la raison à interpréter le monde, contrairement à ce que l'on supposait depuis la [[Théorie de la connaissance de Kant|théorie kantienne de la connaissance]], selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du [[Sujet (philosophie)|sujet]] connaissant. Ricoeur voit en eux ''les maîtres du soupçon''<ref>[[Paul Ricœur]], ''De l'interprétation'', Le Seuil, 1965. Réed. 1995</ref>.
* Pour Marx, il n'y a pas de ''[[nature humaine]]'' ou d'''essence de l'homme'' : l’histoire de l'humanité se résume à des [[Rapport de force|rapports de force]] entre [[classes sociales]] en fonction de leurs intérêts respectifs. Dès 1848, il écrit : « Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ? Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante<ref>Karl Marx et [[Friedrich Engels]], [[Manifeste du parti communiste]], 1848</ref>». Selon Marx, la notion de [[Sujet (philosophie)|sujet]] doit être indexée à celle du [[mode de production]] : toute [[marchandise]] est l'expression d'un [[rapport social]] entre des hommes, ce que la [[classe bourgeoise]] s'efforce d'occulter<ref>Andrés Barreda Marín, [http://revueperiode.net/karl-marx-critique-de-la-modernite-bourgeoise/ Karl Marx, critique de la modernité bourgeoise], ''Période'', 4 février 2019</ref>. Analysant en 1990 la pensée de Marx, le philosophe [[Jacques Bidet]] dépasse les considérations économiques auxquelles, dit-il, on réduit souvent les rapports marchands. Selon lui, ceux-ci sont relativement autonomes et cette autonomie caractérise précisément ce qu'on appelle "modernité", ce que Marx n'a pas perçu à son époque<ref>[[Jean-Marie Vincent (philosophe)|Jean-Marie Vincent]], [https://www.multitudes.net/marx-la-religion-du-quotidien-et/ Marx, la religion du quotidien et de la modernité], ''Multitudes'', non daté</ref>.
* Pour Marx, il n'y a pas de ''[[nature humaine]]'' ou d'''essence de l'homme'' : l’histoire de l'humanité se résume à des [[Rapport de force|rapports de force]] entre [[classes sociales]] en fonction de leurs intérêts respectifs. Dès 1848, il écrit : {{citation|Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ? Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante}}<ref>Karl Marx et [[Friedrich Engels]], [[Manifeste du parti communiste]], 1848</ref>. Selon Marx, la notion de [[Sujet (philosophie)|sujet]] doit être indexée à celle du [[mode de production]] : toute [[marchandise]] est l'expression d'un [[rapport social]] entre des hommes, ce que la [[classe bourgeoise]] s'efforce d'occulter<ref>Andrés Barreda Marín, [http://revueperiode.net/karl-marx-critique-de-la-modernite-bourgeoise/ Karl Marx, critique de la modernité bourgeoise], ''Période'', 4 février 2019</ref>. Analysant en 1990 la pensée de Marx, le philosophe [[Jacques Bidet]] dépasse les considérations économiques auxquelles, dit-il, on réduit souvent les rapports marchands. Selon lui, ceux-ci sont relativement autonomes et cette autonomie caractérise précisément ce qu'on appelle "modernité", ce que Marx n'a pas perçu à son époque<ref>[[Jean-Marie Vincent (philosophe)|Jean-Marie Vincent]], [https://www.multitudes.net/marx-la-religion-du-quotidien-et/ Marx, la religion du quotidien et de la modernité], ''Multitudes'', non daté</ref>.


* Depuis la publication en 1874 de ''[https://fr.wikisource.org/wiki/De_l’utilité_et_de_l’inconvénient_des_études_historiques_pour_la_vie De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie]'', où il posait la question « que veut et que peut l'homme moderne ? », Nietzsche est unanimement considéré comme le premier véritable critique de la modernité<ref>[[Pierre Macherey]], [https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/05-10-2005.pdf Nietzsche et la critique de la modernité], ''La philosophie au sens large'', 5 octobre 2005</ref>. Selon lui, "l'homme libre et volontaire" n'est qu'un mythe car les humains ne peuvent s'empêcher de vivre en "troupeaux" et de se conformer à des règles morales arbitraires, contraignantes et aucunement émancipatrices. {{citation|Son originalité réside dans la relation conceptuelle qu’il établit entre la [[démocratie]], définie tant au sens politique de [[démocratie libérale]] représentative ([[égalité des droits]]) qu’au sens sociologique (« égalité des conditions »), l’[[individualisme]] renforcé par la [[Réforme luthérienne]], et le [[nationalisme]], dont il montre le lien consubstantiel avec la modernité européenne<ref>Brigitte Krulic, [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-301.htm Nietzsche et la critique de la modernité démocratique], ''Archives de philosophie'', 2001/2, tome 64, p.301-321</ref>}}.
* Depuis la publication en 1874 de ''[https://fr.wikisource.org/wiki/De_l’utilité_et_de_l’inconvénient_des_études_historiques_pour_la_vie De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie]'', où il posait la question {{citation|que veut et que peut l'homme moderne ?}}, Nietzsche est unanimement considéré comme le premier véritable critique de la modernité<ref>[[Pierre Macherey]], [https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/05-10-2005.pdf Nietzsche et la critique de la modernité], ''La philosophie au sens large'', 5 octobre 2005</ref>. Selon lui, {{citation|l'homme libre et volontaire}} n'est qu'un mythe car les humains ne peuvent s'empêcher de vivre en "troupeaux" et de se conformer à des règles morales arbitraires, contraignantes et aucunement émancipatrices. {{citation|Son originalité réside dans la relation conceptuelle qu’il établit entre la [[démocratie]], définie tant au sens politique de [[démocratie libérale]] représentative ([[égalité des droits]]) qu’au sens sociologique (« égalité des conditions »), l’[[individualisme]] renforcé par la [[Réforme luthérienne]], et le [[nationalisme]], dont il montre le lien consubstantiel avec la modernité européenne}}<ref>Brigitte Krulic, [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-301.htm Nietzsche et la critique de la modernité démocratique], ''Archives de philosophie'', 2001/2, tome 64, {{p.|301-321}}</ref>.


* En 1917, en pleine [[Première Guerre mondiale]], Freud formule dans son ''[[Introduction à la psychanalyse]]'' sa [[Psychanalyse|théorie de l'inconscient]]. Son diagnostic est implacable : {{citation|le [[Moi (psychanalyse)|moi]] n'est pas maître en sa propre maison<ref>[[Sigmund Freud]], ''[[Introduction à la psychanalyse]]'', cours professés entre 1915 et 1917. Première traduction en français, 1921</ref>}} car il est sans cesse assailli de l'intérieur par les pulsions (le [[Ça (psychanalyse)|ça]]) et de l'extérieur par toutes sortes de convenances bourgeoises (le [[surmoi]]). Certains commentateurs de Freud estiment toutefois qu'en partant de ce constat, il jette les bases d'une « seconde modernité »<ref>Pierre Fossion, [https://www.cairn.info/freud-a-l-aube-du-xxie-siecle--284795029X-page-151.html La psychanalyse, corde tendue entre la modernité et la post-modernité], ''Freud à l'aube du XXIe siècle'', 2004, p.151-172</ref>{{,}}<ref>Marie-Jean Sauret, [https://www.cairn.info/revue-essaim-2010-2-page-43.htm Sujet, lien social, seconde modernité et psychanalyse], ''Essaim'', n° 25, 2010/2, p.43-56</ref>.
* En 1917, en pleine [[Première Guerre mondiale]], Freud formule dans son ''[[Introduction à la psychanalyse]]'' sa [[Psychanalyse|théorie de l'inconscient]]. Son diagnostic est implacable : {{citation|le [[Moi (psychanalyse)|moi]] n'est pas maître en sa propre maison}}<ref>[[Sigmund Freud]], ''[[Introduction à la psychanalyse]]'', cours professés entre 1915 et 1917. Première traduction en français, 1921</ref> car il est sans cesse assailli de l'intérieur par les pulsions (le [[Ça (psychanalyse)|ça]]) et de l'extérieur par toutes sortes de convenances bourgeoises (le [[surmoi]]). Certains commentateurs de Freud estiment toutefois qu'en partant de ce constat, il jette les bases d'une « seconde modernité »<ref>Pierre Fossion, [https://www.cairn.info/freud-a-l-aube-du-xxie-siecle--284795029X-page-151.html La psychanalyse, corde tendue entre la modernité et la post-modernité], ''Freud à l'aube du {{s-|XXI}}'', 2004, {{p.|151-172}}</ref>{{,}}<ref>Marie-Jean Sauret, [https://www.cairn.info/revue-essaim-2010-2-page-43.htm Sujet, lien social, seconde modernité et psychanalyse], ''Essaim'', {{|25}}, 2010/2, {{p.|43-56}}</ref>.


En France à partir de la fin des années 1960, les héritiers de ces trois penseurs seront considérés comme les fondateurs de la [[philosophie postmoderne]]. Citons [[Louis Althusser|Althusser]], [[Jacques Derrida|Derrida]], [[Gilles Deleuze|Deleuze]] et [[Félix Guattari|Guattari]] pour Marx ; [[Michel Foucault|Foucault]], pour Nietzsche ; [[Jacques Lacan|Lacan]], pour Freud.
En France à partir de la fin des années 1960, les héritiers de ces trois penseurs seront considérés comme les fondateurs de la [[philosophie postmoderne]]. Citons [[Louis Althusser|Althusser]], [[Jacques Derrida|Derrida]], [[Gilles Deleuze|Deleuze]] et [[Félix Guattari|Guattari]] pour Marx ; [[Michel Foucault|Foucault]], pour Nietzsche ; [[Jacques Lacan|Lacan]], pour Freud.


=== Urbanisation, massification et politique-spectacle ===
=== Urbanisation, massification et politique-spectacle ===
L'évolution de l'urbanisme fait partie intégrante de la problématique de la modernité<ref>Daniel Pinson, ''Architecture et modernité'', Flammarion, 1997</ref>{{,}}<ref>Daniel Pinson, [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01527675/document Ville, architecture et modernité], 1998</ref>. C'est du moins ce qu'ont affirmé deux pionniers de la sociologie : [[Georg Simmel]] au début des années 1900, avec ''Les grandes villes et la vie de l'esprit''<ref>[[Georg Simmel]], ''Les grandes villes et la vie de l'esprit'' (conférence donnée en 1902 et publiée l’année suivante), Payot/poche, 2013 ; [https://journals.openedition.org/lectures/11348 recension]. Lire également : Jean Remy, ''Georg Simmel : Ville et modernité'', L'Harmattan, 2000</ref>, puis [[Max Weber]], à la fin des années 1910, avec son essai ''La ville''<ref>[[Max Weber]], ''La ville'' (fragment non daté de ''Wirtschaft und Gesellschaft''{{incise|''[[Économie et société]]''}}, ouvrage paru en 1921, un an après la mort de Weber), Aubier/Montaigne, 1982. Nouvelle traduction : La Découverte, coll. « Politique et sociétés », 2014 ; [https://journals.openedition.org/lectures/16572 recension]</ref>.
L'évolution de l'urbanisme fait partie intégrante de la problématique de la modernité<ref>Daniel Pinson, ''Architecture et modernité'', Flammarion, 1997</ref>{{,}}<ref>Daniel Pinson, [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01527675/document Ville, architecture et modernité], 1998</ref>. C'est du moins ce qu'ont affirmé deux pionniers de la sociologie : [[Georg Simmel]] au début des années 1900, avec ''Les grandes villes et la vie de l'esprit''<ref>[[Georg Simmel]], ''Les grandes villes et la vie de l'esprit'' (conférence donnée en 1902 et publiée l’année suivante), Payot/poche, 2013 ; [https://journals.openedition.org/lectures/11348 recension]. Lire également : Jean Remy, ''Georg Simmel : Ville et modernité'', L'Harmattan, 2000</ref>, puis [[Max Weber]], à la fin des années 1910, avec son essai ''La ville''<ref>[[Max Weber]], ''La ville'' (fragment non daté de ''Wirtschaft und Gesellschaft''{{incise|''[[Économie et société]]''}}, ouvrage paru en 1921, un an après la mort de Weber), Aubier/Montaigne, 1982. Nouvelle traduction : La Découverte, coll. « Politique et sociétés », 2014 ; [https://journals.openedition.org/lectures/16572 recension]</ref>.


De nombreux débats existent quant au spectaculaire développement des villes au cours des deux derniers siècles mais les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1900, 15 % de la population mondiale habite en ville contre 3,4 % seulement en 1800. Cette progression est devenue exponentielle au {{s-|XX}} puisqu'en 2007, le seuil des 50 % a été atteint et que le chiffre continue d'évoluer depuis{{référence nécessaire}}. Retenons que le processus d'[[industrialisation]] entamé à la fin du {{s-|XVIII}} a enclenché un [[exode rural]] gigantesque et continu : l'ensemble des sociétés s'est [[Société de masse|massifié]].
De nombreux débats existent quant au spectaculaire développement des villes au cours des deux derniers siècles mais les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1900, 15 % de la population mondiale habite en ville contre 3,4 % seulement en 1800. Cette progression est devenue exponentielle au {{s-|XX}} puisqu'en 2007, le seuil des 50 % a été atteint et que le chiffre continue d'évoluer depuis{{référence nécessaire}}. Retenons que le processus d'[[industrialisation]] entamé à la fin du {{s-|XVIII}} a enclenché un [[exode rural]] gigantesque et continu : l'ensemble des sociétés s'est [[Société de masse|massifié]].


Dès la fin du {{s-|XIX}}, les premiers sociologues se sont penchés sur cette soudaine évolution. En 1893, [[Émile Durkheim]] s'est interrogé sur ses conséquences sur la [[Lien social (sociologie)|cohésion sociale]], du fait du processus croissant de la [[division du travail]] et de la [[production en série]]<ref>[[Émile Durkheim]], ''[[De la division du travail social]]'', thèse, 1893.</ref>. Deux ans plus tard, dans son livre ''[[Psychologie des foules (livre)|Psychologie des foules]]'', [[Gustave Le Bon]] (pionnier de la [[psychologie sociale]]) a observé comment le comportement d'un individu peut différer selon qu'il est isolé ou immergé dans une foule<ref>[[Gustave Le Bon]], ''[[Psychologie des foules (livre)|Psychologie des foules]]'', Alcan 1895. Rééd. Hachette Livre BNF, 2012</ref>
Dès la fin du {{s-|XIX}}, les premiers sociologues se sont penchés sur cette soudaine évolution. En 1893, [[Émile Durkheim]] s'est interrogé sur ses conséquences sur la [[Lien social (sociologie)|cohésion sociale]], du fait du processus croissant de la [[division du travail]] et de la [[production en série]]<ref>[[Émile Durkheim]], ''[[De la division du travail social]]'', thèse, 1893.</ref>. Deux ans plus tard, dans son livre ''[[Psychologie des foules (livre)|Psychologie des foules]]'', [[Gustave Le Bon]] (pionnier de la [[psychologie sociale]]) a observé comment le comportement d'un individu peut différer selon qu'il est isolé ou immergé dans une foule<ref>[[Gustave Le Bon]], ''[[Psychologie des foules (livre)|Psychologie des foules]]'', Alcan 1895. Rééd. Hachette Livre BNF, 2012</ref>.


Aux lendemains de la [[Première Guerre mondiale]], [[Technologie pendant la Première Guerre mondiale|le premier conflit où sont utilisées des armes "modernes"]] (tanks, avions, gaz asphyxiants...) mais aussi le plus meurtrier de l'histoire, une interrogation revient, récurrente : "est-il finalement bon que l'homme soit devenu ''moderne'' ?"<ref>Michel Raimond, ''Éloge et critique de la modernité. De la Première à la Deuxième Guerre mondiale'', Presses Universitaires de France, 2000</ref>{{,}}<ref>[[Emilio Gentile]], ''L'Apocalypse de la modernité. La Grande Guerre et l'homme nouveau'', Aubier, 2011</ref>
Aux lendemains de la [[Première Guerre mondiale]], [[Technologie pendant la Première Guerre mondiale|le premier conflit où sont utilisées des armes "modernes"]] (tanks, avions, gaz asphyxiants…) mais aussi le plus meurtrier de l'histoire, une interrogation revient, récurrente : "est-il finalement bon que l'homme soit devenu ''moderne'' ?"<ref>Michel Raimond, ''Éloge et critique de la modernité. De la Première à la Deuxième Guerre mondiale'', Presses Universitaires de France, 2000</ref>{{,}}<ref>[[Emilio Gentile]], ''L'Apocalypse de la modernité. La Grande Guerre et l'homme nouveau'', Aubier, 2011</ref>.


Et bien qu'infiniment moins violente en apparence, la massification de la société suscite également de vives inquiétudes de par le monde. Citons l'Autrichien [[Sigmund Freud]] (''[[Psychologie des masses et analyse du moi]]'', 1921), l'Américain [[Walter Lippmann]] (''Public Opinion'', 1922), l'Allemand [[Siegfried Kracauer]] (''L'ornement de la masse'', 1927)<ref>Lire : Nia Perivolaropoulou et Philippe Despoix (dir.), ''Culture de masse et modernité. Siegfried Kracauer sociologue, critique, écrivain'', Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2001</ref> et l'Espagnol [[José Ortega y Gasset]] (''[[La Révolte des masses]]'', 1929), lequel en vient à dénoncer les "ravages de la démocratie".
Et bien qu'infiniment moins violente en apparence, la massification de la société suscite également de vives inquiétudes de par le monde. Citons l'Autrichien [[Sigmund Freud]] (''[[Psychologie des masses et analyse du moi]]'', 1921), l'Américain [[Walter Lippmann]] (''Public Opinion'', 1922), l'Allemand [[Siegfried Kracauer]] (''L'ornement de la masse'', 1927)<ref>Lire : Nia Perivolaropoulou et Philippe Despoix (dir.), ''Culture de masse et modernité. Siegfried Kracauer sociologue, critique, écrivain'', Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2001</ref> et l'Espagnol [[José Ortega y Gasset]] (''[[La Révolte des masses]]'', 1929), lequel en vient à dénoncer les "ravages de la démocratie".


La critique de la démocratie, quoique marginale, n'est pas nouvelle : alors que les [[philosophes des Lumières]], en premier lieu [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]], avaient pensé le système de la [[démocratie représentative]] comme un fleuron de la modernité, les critiques de ce système ont afflué dès le {{s-|XIX}}, en premier lieu chez [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], qui a dénoncé en 1835 la "[[tyrannie de la majorité]]" puis surtout chez [[Nietzsche]], qui l'a associée à une "morale de troupeau" et qui, en 1886 dans ''[[Par delà le bien et le mal]]'', a raillé "l'imbécilité parlementaire" et n'a vu dans l'[[État]] qu'un "monstre froid"<ref>Brigitte Krulic, [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-301.htm Nietzsche et la critique de la modernité démocratique], ''Archives de Philosophie'', 2001/2, tome 64, p. 301-321</ref>.
La critique de la démocratie, quoique marginale, n'est pas nouvelle : alors que les [[philosophes des Lumières]], en premier lieu [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]], avaient pensé le système de la [[démocratie représentative]] comme un fleuron de la modernité, les critiques de ce système ont afflué dès le {{s-|XIX}}, en premier lieu chez [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]], qui a dénoncé en 1835 la "[[tyrannie de la majorité]]" puis surtout chez [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]], qui l'a associée à une "morale de troupeau" et qui, en 1886 dans ''[[Par delà le bien et le mal]]'', a raillé "l'imbécilité parlementaire" et n'a vu dans l'[[État]] qu'un "monstre froid"<ref>Brigitte Krulic, [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-301.htm Nietzsche et la critique de la modernité démocratique], ''Archives de Philosophie'', 2001/2, tome 64, {{p.|301-321}}</ref>.


Bon nombre commentateurs soulignent combien l'évolution de la politique constitue un paramètre essentiel du concept de "modernité"<ref>Monique Boireau-Rouillé, [https://refractions.plusloin.org/spip.php?article73 « La modernité contre la démocratie ? »] ''Réfractions'', 17 novembre 2005</ref>{{,}}<ref>Yves Couture, Stéphane Vibert et [[Marc Chevrier]] (dir.), ''Démocratie et modernité'', Presses universitaires de Rennes, 2015</ref>{{,}}<ref>
Bon nombre commentateurs soulignent combien l'évolution de la politique constitue un paramètre essentiel du concept de "modernité"<ref>Monique Boireau-Rouillé, [https://refractions.plusloin.org/spip.php?article73 « La modernité contre la démocratie ? »] ''Réfractions'', 17 novembre 2005</ref>{{,}}<ref>Yves Couture, Stéphane Vibert et [[Marc Chevrier]] (dir.), ''Démocratie et modernité'', Presses universitaires de Rennes, 2015</ref>{{,}}<ref>Jean-Pierre Bernajuzan, [https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-bernajuzan/blog/061218/quel-est-le-rapport-entre-la-democratie-et-la-modernite « Quel est le rapport entre la démocratie et la modernité ? »] ''Mediapart'', 6 décembre 2018</ref>. Dès les lendemains de la [[Seconde Guerre mondiale]], le sociologue belge [[Henri Janne]] retient essentiellement cinq dérives :
Jean-Pierre Bernajuzan, [https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-bernajuzan/blog/061218/quel-est-le-rapport-entre-la-democratie-et-la-modernite « Quel est le rapport entre la démocratie et la modernité ? »] ''Mediapart'', 6 décembre 2018</ref>. Dès les lendemains de la [[Seconde Guerre mondiale]], le sociologue belge [[Henri Janne]] retient essentiellement cinq dérives : {{citation bloc|Dans les grandes nations modernes, le peuple ne pouvant gouverner lui-même, délègue ses pouvoirs à des hommes qu’il choisit. Théoriquement, il devrait désigner les candidats les plus ''capables'', ceux qui possèdent la conscience la plus élevée de leurs devoirs envers la collectivité et envers leurs mandants. Or, d’une manière générale, est élu le candidat qui ''parle'' le mieux au peuple.
{{citation bloc|Dans les grandes nations modernes, le peuple ne pouvant gouverner lui-même, délègue ses pouvoirs à des hommes qu’il choisit. Théoriquement, il devrait désigner les candidats les plus ''capables'', ceux qui possèdent la conscience la plus élevée de leurs devoirs envers la collectivité et envers leurs mandants. Or, d’une manière générale, est élu le candidat qui ''parle'' le mieux au peuple.


Le deuxième défaut de la démocratie réside dans le jeu des [[Parti politique|partis]]. Composés, à l’origine, d’hommes désintéressés et soutenus seulement par leur attachement profond à quelques idées, les partis deviennent bientôt le centre de ralliement de tous les ambitieux qui veulent faire une « carrière politique », ou, ce qui est plus grave, obtenir par la politique, grâce à l’influence du parti et de ses chefs – leurs « amis » – des « places » ou des avantages économiques d’ordre divers.
Le deuxième défaut de la démocratie réside dans le jeu des [[Parti politique|partis]]. Composés, à l’origine, d’hommes désintéressés et soutenus seulement par leur attachement profond à quelques idées, les partis deviennent bientôt le centre de ralliement de tous les ambitieux qui veulent faire une « carrière politique », ou, ce qui est plus grave, obtenir par la politique, grâce à l’influence du parti et de ses chefs – leurs « amis » – des « places » ou des avantages économiques d’ordre divers.
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Passons à la presse, souvent qualifiée de « [[quatrième pouvoir]] ». La presse démocratique est ''libre'', c’est-à-dire qu’elle peut, dans des buts politiques, répandre les inventions les plus machiavéliques, les mensonges les plus éhontés quant aux intentions et aux actions du Gouvernement, sans que celui-ci ait d’autre moyen de remettre les choses au point que d’user des journaux qui le soutiennent et des moyens de [[propagande]] dont il dispose. Et il arrive que les trusts de la grande presse constituent des puissances politiques autonomes, jouent le rôle de véritables ''[[Condottière|condottieri]]'' formant, professionnellement, des courants d’opinion comme leurs prédécesseurs de la Renaissance formaient des armées de métier.
Passons à la presse, souvent qualifiée de « [[quatrième pouvoir]] ». La presse démocratique est ''libre'', c’est-à-dire qu’elle peut, dans des buts politiques, répandre les inventions les plus machiavéliques, les mensonges les plus éhontés quant aux intentions et aux actions du Gouvernement, sans que celui-ci ait d’autre moyen de remettre les choses au point que d’user des journaux qui le soutiennent et des moyens de [[propagande]] dont il dispose. Et il arrive que les trusts de la grande presse constituent des puissances politiques autonomes, jouent le rôle de véritables ''[[Condottière|condottieri]]'' formant, professionnellement, des courants d’opinion comme leurs prédécesseurs de la Renaissance formaient des armées de métier.


L’un des aspects les plus étonnants de la démocratie, c’est l’insuffisance de l’éducation politique qu’elle donne à la jeunesse. (...) Or, c’est précisément dans les États démocratiques que le manque de sens politique, l’indifférence à l’égard des institutions, l’esprit d’irresponsabilité en matière de vote, l’absence d’une morale politique qui dicte des devoirs, ouvrent le champ à des conséquences catastrophiques qui se résument toutes en une seule : la masse populaire incapable de défendre ses droits est, en même temps, ignorante de ses devoirs<ref>[[Henri Janne]], « Critique de la démocratie », ''L’Antialcibiade'', Bruxelles, 1946, p. 32-44.</ref>.}} Ces différentes critiques seront par la suite maintes fois développées, donnant lieu à l'émergence d'un nouveau concept : la « [[politique spectacle]] ».
L’un des aspects les plus étonnants de la démocratie, c’est l’insuffisance de l’éducation politique qu’elle donne à la jeunesse. () Or, c’est précisément dans les États démocratiques que le manque de sens politique, l’indifférence à l’égard des institutions, l’esprit d’irresponsabilité en matière de vote, l’absence d’une morale politique qui dicte des devoirs, ouvrent le champ à des conséquences catastrophiques qui se résument toutes en une seule : la masse populaire incapable de défendre ses droits est, en même temps, ignorante de ses devoirs<ref>[[Henri Janne]], « Critique de la démocratie », ''L’Antialcibiade'', Bruxelles, 1946, p. 32-44.</ref>.}}
Ces différentes critiques seront par la suite maintes fois développées, donnant lieu à l'émergence d'un nouveau concept : la « [[politique spectacle]] ».


=== Laïcisation, sécularisation, désenchantement ===
=== Laïcisation, sécularisation, désenchantement ===
A la fin du {{s-|XVIII}}, les [[philosophes des Lumières]] ont largement axé leurs discours sur un affranchissement de la pensée vis-à-vis de toutes les doctrines d'ordre ou d'origine [[Théologie|théologique]]. Toutes les prises de position qui s'en inspirent ensuite se réclament ouvertement d'un esprit de [[laïcité]].
À la fin du {{s-|XVIII}}, les [[philosophes des Lumières]] ont largement axé leurs discours sur un affranchissement de la pensée vis-à-vis de toutes les doctrines d'ordre ou d'origine [[Théologie|théologique]]. Toutes les prises de position qui s'en inspirent ensuite se réclament ouvertement d'un esprit de [[laïcité]].


Différents signes toutefois laissent penser que celui-ci n'est pas exempt de [[religiosité]]. Ainsi, en 1793, pendant la [[Révolution française]], les [[hébertistes]] transforment différentes églises en "[[Temple de la Raison|Temples de la Raison]]" et célèbrent le [[Culte de la Raison]] en la [[cathédrale Notre-Dame de Paris]]. Trente ans plus tard [[Hegel]] (pourtant considéré comme un inspirateur de l'idée de modernité<ref>[[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]], ''Hegel and modern Society'', Cambridge University Press, 1979. Tr. fr. ''Hegel et la société moderne'', Éditions du Cerf, 1998</ref>) affirme que « l’État, c’est la marche de Dieu dans le monde »<ref>[[Georg Wilhelm Friedrich Hegel]], ''Principes de la philosophie du droit'' (publiés en 1820), Gallimard/Tel, 1989</ref>. Également durant la seconde moitié du {{s-|XIX}} émerge l'idée d'[[État-providence]]...
Différents signes toutefois laissent penser que celui-ci n'est pas exempt de [[religiosité]]. Ainsi, en 1793, pendant la [[Révolution française]], les [[hébertistes]] transforment différentes églises en "[[Temple de la Raison|temples de la Raison]]" et célèbrent le [[culte de la Raison]] en la [[cathédrale Notre-Dame de Paris]]. Trente ans plus tard [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] (pourtant considéré comme un inspirateur de l'idée de modernité<ref>[[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]], ''Hegel and modern Society'', Cambridge University Press, 1979. Tr. fr. ''Hegel et la société moderne'', Éditions du Cerf, 1998</ref>) affirme que « l’État, c’est la marche de Dieu dans le monde »<ref>[[Georg Wilhelm Friedrich Hegel]], ''Principes de la philosophie du droit'' (publiés en 1820), Gallimard/Tel, 1989</ref>. Également durant la seconde moitié du {{s-|XIX}} émerge l'idée d'[[État-providence]]


Le premier à émettre la thèse d'un transfert de religiosité dans le "monde moderne" est le sociologue [[Max Weber]], en 1904-1905, dans un essai depuis devenu célèbre, ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]''<ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme]]'', Plon, 1964; Gallimard, 2004 ; Pocket/Plon, collection Agora, 2010</ref>. Tout en reconnaissant que le [[capitalisme]] se concrétise par une recherche de profit, il considère que celle-ci n'est pas portée par un esprit d'avidité mais au contraire par une éthique. Le capitalisme étant principalement l'oeuvre de protestants pratiquant une forme d'ascétisme, "l'Esprit du capitalisme", selon Weber est d'origine religieuse.
Le premier à émettre la thèse d'un transfert de religiosité dans le "monde moderne" est le sociologue [[Max Weber]], en 1904-1905, dans un essai depuis devenu célèbre, ''[[L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme]]''<ref>[[Max Weber]], ''[[L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme]]'', Plon, 1964; Gallimard, 2004 ; Pocket/Plon, collection Agora, 2010</ref>. Tout en reconnaissant que le [[capitalisme]] se concrétise par une recherche de profit, il considère que celle-ci n'est pas portée par un esprit d'avidité mais au contraire par une éthique. Le capitalisme étant principalement l’œuvre de protestants pratiquant une forme d'ascétisme, "l'Esprit du capitalisme", selon Weber est d'origine religieuse.


Cette thèse sera d'autant plus commentée par la suite que Weber lui-même défend par ailleurs l'idée que le concept de modernité s'appuie tout entier sur celui de "[[désenchantement du monde]]" et sur la relativisation de tous les récits religieux. Or différents auteurs vont {{incise|au cours du {{s-|XX}} et chacun à sa manière}} accréditer la théorie selon laquelle toutes les prises de position visant à relativiser, voire discréditer les religions traditionnelles sont elles-mêmes empreintes de [[religiosité]].
Cette thèse sera d'autant plus commentée par la suite que Weber lui-même défend par ailleurs l'idée que le concept de modernité s'appuie tout entier sur celui de "[[désenchantement du monde]]" et sur la relativisation de tous les récits religieux. Or différents auteurs vont {{incise|au cours du {{s-|XX}} et chacun à sa manière}} accréditer la théorie selon laquelle toutes les prises de position visant à relativiser, voire discréditer les religions traditionnelles sont elles-mêmes empreintes de [[religiosité]].


On doit au philosophe [[Carl Schmitt]] d'ouvrir en 1922 le débat sur la [[sécularisation]] par cette petite phrase : {{citation|Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'[[État]] sont des concepts théologiques sécularisés}}<ref>[[Carl Schmitt]], ''Politische Theologie'', 1922. Trad. fr. ''Théologie politique'', Gallimard/NRF, 1988</ref>{{,}}<ref>Catherine Halpern, [https://www.scienceshumaines.com/la-modernite-fille-de-la-theologie_fr_4493.html La modernité, fille de la théologie ?] ''Sciences humaines'', décembre 2004</ref>. En 1938, [[Eric Voegelin]] introduit la notion de "religion politique"<ref>[[Eric Voegelin]], ''Die politischen Religionen'', 1938 ; trad. fr. ''Les religions politiques'', Le Cerf, 1994.</ref> et en 1944, c'est au tour du Français [[Raymond Aron]], fervent lecteur de philosophie allemande, de formuler le concept de « religion séculière », en deux articles parus dans ''[[La France libre (journal socialiste)|La France libre]]''.
On doit au philosophe [[Carl Schmitt]] d'ouvrir en 1922 le débat sur la [[sécularisation]] par cette petite phrase : {{citation|Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'[[État]] sont des concepts théologiques sécularisés}}<ref>[[Carl Schmitt]], ''Politische Theologie'', 1922. Trad. fr. ''Théologie politique'', Gallimard/NRF, 1988</ref>{{,}}<ref>Catherine Halpern, [https://www.scienceshumaines.com/la-modernite-fille-de-la-theologie_fr_4493.html La modernité, fille de la théologie ?] ''Sciences humaines'', décembre 2004</ref>. En 1938, [[Eric Voegelin]] introduit la notion de "religion politique"<ref>[[Eric Voegelin]], ''Die politischen Religionen'', 1938 ; trad. fr. ''Les religions politiques'', Le Cerf, 1994.</ref> et en 1944, c'est au tour du Français [[Raymond Aron]], fervent lecteur de philosophie allemande, de formuler le concept de « religion séculière », en deux articles parus dans ''[[La France libre (journal socialiste)|La France libre]]''.


En 1949, [[Karl Löwith]] avance la thèse selon laquelle « la [[philosophie de l'histoire]] est une transposition de la [[Doctrine du salut|doctrine chrétienne du salut]] ([[eschatologie]]) »<ref>[[Karl Löwith]], ''Meaning in History: The Theological Implications of the Philosophy of History'', University of Chicago Press., 1949. Trad. fr. ''Histoire et salut. Les Présupposés théologiques de la philosophie de l'histoire'', Gallimard, 2002</ref>.
En 1949, [[Karl Löwith]] avance la thèse selon laquelle « la [[philosophie de l'histoire]] est une transposition de la [[Doctrine du salut|doctrine chrétienne du salut]] ([[eschatologie]]) »<ref>[[Karl Löwith]], ''Meaning in History: The Theological Implications of the Philosophy of History'', University of Chicago Press., 1949. Trad. fr. ''Histoire et salut. Les Présupposés théologiques de la philosophie de l'histoire'', Gallimard, 2002</ref>.


Commentant en 1957 le phénomène de la [[société de masse]] et les prises de position selon lesquelles celle-ci deviendrait "[[Individualisme|individualiste]]" et "non-religieuse", [[Carl Gustav Jung]] écrit : {{citation bloc|L'[[individu]] se voit privé de plus en plus des décisions morales, de la conduite et de la responsabilité de sa vie. En contrepartie, il est {{incise|en tant qu'unité sociale}} régenté, administré, nourri, vêtu, éduqué, logé dans des unités d'habitation confortables et conformes, amusé selon une organisation des loisirs préfabriquée... l'ensemble culminant dans une satisfaction et un bien-être des masses, qui constitue le critère idéal.
Commentant en 1957 le phénomène de la [[société de masse]] et les prises de position selon lesquelles celle-ci deviendrait "[[Individualisme|individualiste]]" et "non-religieuse", [[Carl Gustav Jung]] écrit :
{{citation bloc|L'[[individu]] se voit privé de plus en plus des décisions morales, de la conduite et de la responsabilité de sa vie. En contrepartie, il est {{incise|en tant qu'unité sociale}} régenté, administré, nourri, vêtu, éduqué, logé dans des unités d'habitation confortables et conformes, amusé selon une organisation des loisirs préfabriquée… l'ensemble culminant dans une satisfaction et un bien-être des masses, qui constitue le critère idéal.


''L'[[État]] s'est mis à la place de Dieu'' et c'est pourquoi, dans cette optique, les dictatures socialistes sont des ''religions'' au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin. (...) Le but religieux, libération du mal, réconciliation avec Dieu et récompense dans l'au-delà, se transforme sur le plan étatique en promesses d'ici-bas : libération des soucis du pain quotidien, répartition équitable des biens matériels, bien-être général dans un futur pas trop lointain, réduction des heures de travail<ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Denoël-Gonthier, 1962, pages 24, 38 et 42</ref>...}}
''L'[[État]] s'est mis à la place de Dieu'' et c'est pourquoi, dans cette optique, les dictatures socialistes sont des ''religions'' au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin. () Le but religieux, libération du mal, réconciliation avec Dieu et récompense dans l'au-delà, se transforme sur le plan étatique en promesses d'ici-bas : libération des soucis du pain quotidien, répartition équitable des biens matériels, bien-être général dans un futur pas trop lointain, réduction des heures de travail<ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Denoël-Gonthier, 1962, p. 24, 38 et 42</ref>}}


En France, l'analyse selon laquelle le discours moderniste serait empreint de religiosité n'est guère relayée. En 1973, toutefois, [[Jacques Ellul]] consacre tout un ouvrage à ce sujet, ''Les nouveaux possédés'' : {{citation bloc|C’est devenu un lieu commun, que l’on tient pour une évidence vérifiée : le ''monde moderne'' est un monde séculier, [[Sécularisation|sécularisé]], [[Athéisme|athée]], [[Laïcité|laïcisé]], [[désacralisation|désacralisé]], démythisé. Et dans la plupart des écrits contemporains, on considère tous ces termes comme équivalents sans prendre en compte les différences considérables qu’il peut y avoir par exemple entre laïcisation et sécularisation ou entre désacralisation et démythisation. On veut en gros exprimer l’idée que le monde moderne est devenu adulte ou majeur parce qu’il ne croit plus, il veut des preuves, il obéit à la raison et non aux croyances, surtout religieuses, il s'est débarrassé de Dieu, et lui parler de religion n'a plus de sens. Il est entré dans un nouveau mode de pensée, qui n’est plus la pensée traditionnelle s'exprimant dans les mythes.
En France, l'analyse selon laquelle le discours moderniste serait empreint de religiosité n'est guère relayée. En 1973, toutefois, [[Jacques Ellul]] consacre tout un ouvrage à ce sujet, ''Les nouveaux possédés'' :
{{citation bloc|C’est devenu un lieu commun, que l’on tient pour une évidence vérifiée : le ''monde moderne'' est un monde séculier, [[Sécularisation|sécularisé]], [[Athéisme|athée]], [[Laïcité|laïcisé]], [[désacralisation|désacralisé]], démythisé. Et dans la plupart des écrits contemporains, on considère tous ces termes comme équivalents sans prendre en compte les différences considérables qu’il peut y avoir par exemple entre laïcisation et sécularisation ou entre désacralisation et démythisation. On veut en gros exprimer l’idée que le monde moderne est devenu adulte ou majeur parce qu’il ne croit plus, il veut des preuves, il obéit à la raison et non aux croyances, surtout religieuses, il s'est débarrassé de Dieu, et lui parler de religion n'a plus de sens. Il est entré dans un nouveau mode de pensée, qui n’est plus la pensée traditionnelle s'exprimant dans les mythes.


Il est difficile de discerner si, dans ce genre de propos, il s’agit d’un constat de fait, d'un souhait, d’une constatation sociologique ou d’une construction imaginaire, élaborée à partir de l’idée qu’on peut se faire d’un homme imbu de la science. En réalité, si l’on examine les textes qui reposent sur ces affirmations, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une explication a posteriori. On part de l'évidence : « l’homme moderne ne veut plus entendre parler du christianisme, il a perdu la foi, l’Église ne mord plus sur la société, elle n’a plus d’audience, le message chrétien ne veut rien plus dire ». Mais comme l’on constate en même temps que l’homme moderne reçoit plus ou moins une éducation technicienne sinon scientifique, on en conclut implicitement : « c’est parce que cet homme est imbu de science qu’il est non religieux » et l’on assimile alors le rejet du christianisme avec l’abandon de toute posture religieuse<ref>[[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', 1973. Réed. Mille et une nuits/Fayard, 2003, p. 35-37</ref>.
Il est difficile de discerner si, dans ce genre de propos, il s’agit d’un constat de fait, d'un souhait, d’une constatation sociologique ou d’une construction imaginaire, élaborée à partir de l’idée qu’on peut se faire d’un homme imbu de la science. En réalité, si l’on examine les textes qui reposent sur ces affirmations, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une explication a posteriori. On part de l'évidence : « l’homme moderne ne veut plus entendre parler du christianisme, il a perdu la foi, l’Église ne mord plus sur la société, elle n’a plus d’audience, le message chrétien ne veut rien plus dire ». Mais comme l’on constate en même temps que l’homme moderne reçoit plus ou moins une éducation technicienne sinon scientifique, on en conclut implicitement : « c’est parce que cet homme est imbu de science qu’il est non religieux » et l’on assimile alors le rejet du christianisme avec l’abandon de toute posture religieuse<ref>[[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', 1973. Réed. Mille et une nuits/Fayard, 2003, p. 35-37</ref>.


On proclame que l’homme moderne n’est plus religieux mais on se garde bien de dire ce qu'est la religion, et de même le sacré ou le mythe… et si parfois on s'y hasarde, c'est toujours une définition ad hoc, faite après coup, dans un but de légitimation. Il y a là une complète obéissance à des présupposés non critiqués, formulés sans discernement<ref>Op. cit. p. 73</ref>.}}En {{date-|octobre 2004}}, [[Myriam Revault d'Allonnes]] et [[Michaël Fœssel]] organisent à la [[Sorbonne]] un colloque intitulé « Modernité et sécularisation ». Professeur de philosophie à Ottawa et spécialiste de [[Carl Schmitt|Schmitt]], Daniel Tanguay indique que, selon lui, l'épuisement du concept de modernité par le [[post-modernisme]] est à l'origine du [[présentisme]] contemporain et que celui-ci, « en vidant le futur de tout sens, ne permet plus de nourrir d'espoir au présent et laisse en partage un certain désespoir<ref>Propos cité par Catherine Halpern, « La modernité, fille de la théologie ? », ''Sciences humaines'', décembre 2004</ref>».
On proclame que l’homme moderne n’est plus religieux mais on se garde bien de dire ce qu'est la religion, et de même le sacré ou le mythe… et si parfois on s'y hasarde, c'est toujours une définition ad hoc, faite après coup, dans un but de légitimation. Il y a là une complète obéissance à des présupposés non critiqués, formulés sans discernement<ref>Op. cit. p. 73</ref>.}}
En {{date-|octobre 2004}}, [[Myriam Revault d'Allonnes]] et [[Michaël Fœssel]] organisent à la [[Sorbonne]] un colloque intitulé « Modernité et sécularisation ». Professeur de philosophie à Ottawa et spécialiste de [[Carl Schmitt|Schmitt]], Daniel Tanguay indique que, selon lui, l'épuisement du concept de modernité par le [[post-modernisme]] est à l'origine du [[présentisme]] contemporain et que celui-ci, {{citation|en vidant le futur de tout sens, ne permet plus de nourrir d'espoir au présent et laisse en partage un certain désespoir}}<ref>Propos cité par Catherine Halpern, « La modernité, fille de la théologie ? », ''Sciences humaines'', décembre 2004</ref>.


=== De l'individualisme au narcissisme ===
=== De l'individualisme au narcissisme ===
On a vu que le concept de modernité s'est développé dans le sillage de la [[Théorie de la connaissance de Kant|théorie kantienne de la connaissance]], selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du [[Sujet (philosophie)|sujet]] connaissant : l'[[individu]]. Et l'[[#La_liberté_:_l'universalisme_et_l'individualisme|on a vu également]] que l'[[individualisme]] {{incise|plus exactement l'idée que les [[Individu|individus]] peuvent s'émanciper de toutes les croyances en faisant l'exercice de leur raison}} a été [[#Marx,_Nietzsche,_Freud_et_le_soupçon|remis en cause par Freud]], selon qui {{citation|le moi n'est pas maître en sa maison}}, car étant la proie d'une part de toutes sortes de pulsions (le [[Ça (psychanalyse)|ça]]), d'autre part d'un grand nombre de contraintes sociales (le [[surmoi]]).
On a vu que le concept de modernité s'est développé dans le sillage de la [[Théorie de la connaissance de Kant|théorie kantienne de la connaissance]], selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du [[Sujet (philosophie)|sujet]] connaissant : l'[[individu]]. Et l'[[#La_liberté_:_l'universalisme_et_l'individualisme|on a vu également]] que l'[[individualisme]] {{incise|plus exactement l'idée que les [[Individu|individus]] peuvent s'émanciper de toutes les croyances en faisant l'exercice de leur raison}} a été [[#Marx,_Nietzsche,_Freud_et_le_soupçon|remis en cause par Freud]], selon qui {{citation|le moi n'est pas maître en sa maison}}, car étant la proie d'une part de toutes sortes de pulsions (le [[Ça (psychanalyse)|ça]]), d'autre part d'un grand nombre de contraintes sociales (le [[surmoi]]).


Disciple dissident de Freud, [[Carl Gustav Jung]] affirme que l'on ne ''naît'' pas individu, on le ''devient'' : l'[[Individuation (psychologie analytique)|individuation]] est {{citation|un processus par lequel un être devient une unité autonome et indivisible <ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Ma Vie'', p.457</ref>}} mais ce processus lui-même n'a cours qu'au prix d'une longue et difficile ''dialectique du moi et de l'inconscient'' : faute de s'y consacrer, un grand nombre d'humains succombent au ''[[Zeitgeist]]'' et aux lieux communs véhiculés par la [[société de masse]] : {{citation|seul peut résister à une masse organisée le sujet qui est tout aussi organisé dans son individualité que l'est une masse<ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Buchet-Chastel, 1962 {{p.|88}}</ref>}}.
Disciple dissident de Freud, [[Carl Gustav Jung]] affirme que l'on ne ''naît'' pas individu, on le ''devient'' : l'[[Individuation (psychologie analytique)|individuation]] est {{citation|un processus par lequel un être devient une unité autonome et indivisible}}<ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Ma Vie'', {{p.|457}}</ref> mais ce processus lui-même n'a cours qu'au prix d'une longue et difficile ''dialectique du moi et de l'inconscient'' : faute de s'y consacrer, un grand nombre d'humains succombent au ''[[Zeitgeist]]'' et aux lieux communs véhiculés par la [[société de masse]] : {{citation|seul peut résister à une masse organisée le sujet qui est tout aussi organisé dans son individualité que l'est une masse}}<ref>[[Carl Gustav Jung]], ''Gegenwart und Zukunft'', 1957. Trad. fr. ''[[Présent et avenir]]'', Buchet-Chastel, 1962 {{p.|88}}</ref>.


Inspiré à la fois par les théories de Jung<ref>[[Christopher Lasch]], ''La Révolte des élites et la trahison de la démocratie'', troisième partie, « L'âme dans sa nuit obscure », Champs/Essais, 1996</ref> et par celles, plus récentes, du Français [[Guy Debord]] (''[[La Société du spectacle (livre)|La Société du spectacle]]'', 1967), l'Américain [[Christopher Lasch]] affirme en 1979 que, confrontés à la [[culture de masse]] et faute d'un [[capital culturel]] minimal, un grand nombre de sujets sont incapables de mener la moindre [[introspection]], faire preuve du moindre [[esprit critique]] réflexif ; ils ne peuvent se supporter eux-mêmes qu'en se mentant constamment, en (se) donnant une image d'eux-mêmes à la fois superficielle et fausse. En définitive, affirme t-il, ce que l'on appelle "[[individualisme]] contemporain" doit être qualifié de "[[narcissisme]]"<ref>[[Christopher Lasch]], ''The Culture of narcissism'', 1979. Trad. fr. ''[[La Culture du narcissisme|La culture du narcissisme]]'', Climats, 2008 ; ''The Minimal Self'', 1984. Trad. fr. ''Le moi assiégé. Essai sur l'érosion de la personnalité'', Climats, 2008.</ref>. {{citation|En instaurant un monde d'objets éphémères, l'ère industrielle plonge (l'humain) dans un nouveau rapport à lui-même. Devant l'instabilité et le caractère fondamentalement éphémère de tout ce qui l'entoure, il a dorénavant le sentiment que rien ne lui survit<ref>Anne-Claude Thériault, [https://www.erudit.org/fr/revues/spirale/2010-n230-spirale1503125/61785ac/ Survivre à la modernité] (commentaire du Moi assiégé), ''Spirale'' n°230, janvier-février 2010</ref>.}}
Inspiré à la fois par les théories de Jung<ref>[[Christopher Lasch]], ''La Révolte des élites et la trahison de la démocratie'', troisième partie, « L'âme dans sa nuit obscure », Champs/Essais, 1996</ref> et par celles, plus récentes, du Français [[Guy Debord]] (''[[La Société du spectacle (livre)|La Société du spectacle]]'', 1967), l'Américain [[Christopher Lasch]] affirme en 1979 que, confrontés à la [[culture de masse]] et faute d'un [[capital culturel]] minimal, un grand nombre de sujets sont incapables de mener la moindre [[introspection]], faire preuve du moindre [[esprit critique]] réflexif ; ils ne peuvent se supporter eux-mêmes qu'en se mentant constamment, en (se) donnant une image d'eux-mêmes à la fois superficielle et fausse. En définitive, affirme t-il, ce que l'on appelle "[[individualisme]] contemporain" doit être qualifié de "[[narcissisme]]"<ref>[[Christopher Lasch]], ''The Culture of narcissism'', 1979. Trad. fr. ''[[La Culture du narcissisme|La culture du narcissisme]]'', Climats, 2008 ; ''The Minimal Self'', 1984. Trad. fr. ''Le moi assiégé. Essai sur l'érosion de la personnalité'', Climats, 2008.</ref>. {{citation|En instaurant un monde d'objets éphémères, l'ère industrielle plonge (l'humain) dans un nouveau rapport à lui-même. Devant l'instabilité et le caractère fondamentalement éphémère de tout ce qui l'entoure, il a dorénavant le sentiment que rien ne lui survit}}<ref>Anne-Claude Thériault, [https://www.erudit.org/fr/revues/spirale/2010-n230-spirale1503125/61785ac/ Survivre à la modernité] (commentaire du Moi assiégé), ''Spirale'' {{|230}}, janvier-février 2010</ref>.


Après Lasch, d'autres penseurs étudient la modernité sous le prisme de l'homme centré sur lui-même<ref>[https://www.franceculture.fr/philosophie/le-narcissisme-et-la-culture-moderne Le narcissisme et la culture moderne], ''France Culture'', 6 décembre 2013</ref> ; citons [[Gilles Lipovetsky]] en 1983<ref>[[Gilles Lipovetsky]], ''[[L'Ère du vide|L'Ère du vide : essais sur l'individualisme contemporain]]'', Gallimard, 1983 ; rééd. 1989, « NRF Essais</ref>, [[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]] en 1989<ref>[[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]], ''Sources of the Self: The Making of the Modern Identity'', 1989. Trad. fr. ''Les sources du moi : La formation de l'identité moderne'', Le Seuil, 1998 </ref>, [[Alain Ehrenberg]] en 1998<ref>[[Alain Ehrenberg]], ''La Fatigue d'être soi'', Odile Jacob, 1998. Fiches de lecture : [https://www.philippefabry.eu/fiche.php?livre=8 Philippe Fabry] ; [https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_4_5225 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot]</ref> et les cercles psychanalytiques<ref>''Grandeur et misère du narcissisme'', ouvrage collectif, Cahiers de l'Association lacanienne internationale, 2004</ref>.
Après Lasch, d'autres penseurs étudient la modernité sous le prisme de l'homme centré sur lui-même<ref>[https://www.franceculture.fr/philosophie/le-narcissisme-et-la-culture-moderne Le narcissisme et la culture moderne], ''France Culture'', 6 décembre 2013</ref> ; citons [[Gilles Lipovetsky]] en 1983<ref>[[Gilles Lipovetsky]], ''[[L'Ère du vide|L'Ère du vide : essais sur l'individualisme contemporain]]'', Gallimard, 1983 ; rééd. 1989, « NRF Essais</ref>, [[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]] en 1989<ref>[[Charles Taylor (philosophe)|Charles Taylor]], ''Sources of the Self: The Making of the Modern Identity'', 1989. Trad. fr. ''Les sources du moi : La formation de l'identité moderne'', Le Seuil, 1998 </ref>, [[Alain Ehrenberg]] en 1998<ref>[[Alain Ehrenberg]], ''La Fatigue d'être soi'', Odile Jacob, 1998. Fiches de lecture : [https://www.philippefabry.eu/fiche.php?livre=8 Philippe Fabry] ; [https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_4_5225 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot]</ref> et les cercles psychanalytiques<ref>''Grandeur et misère du narcissisme'', ouvrage collectif, Cahiers de l'Association lacanienne internationale, 2004</ref>.
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=== Littérature et poésie ===
=== Littérature et poésie ===
{{Article détaillé|Littérature moderniste|modernité en poésie}}
{{Article détaillé|Littérature moderniste|modernité en poésie}}
À la fin du {{s-|XVII}} est née au sein de l’[[Académie française]] une [[polémique]] connue sous l'appellation ''[[Querelle des Anciens et des Modernes]]'' qui connaîtra des prolongements au siècle suivant, quand [[Marivaux]] inaugurera un genre tout à fait nouveau de théâtre et que [[Diderot]] définira le genre du [[drame bourgeois]]. Et c'est un poète du {{s-|XIX}}, [[Charles Baudelaire]], qui ouvre le débat sur "la modernité" bien au delà des cercles littéraires<ref>[https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1986_num_63_3_1398 Modernisme et modernité. Baudelaire face à son époque], Gérald Froidevaux, ''Littérature'' n°63, 1986, p. 90-103</ref>, quand, en 1863, il publie dans ''[[Le Figaro]]'' un article qui sera par la suite très largement commenté : ''[[Le Peintre de la vie moderne]]''. Dix ans plus tard, dans ''[[Une saison en enfer]]'', [[Arthur Rimbaud]] lance cette injonction : "il faut être absolument moderne".
À la fin du {{s-|XVII}} est née au sein de l’[[Académie française]] une [[polémique]] connue sous l'appellation ''[[Querelle des Anciens et des Modernes]]'' qui connaîtra des prolongements au siècle suivant, quand [[Marivaux]] inaugurera un genre tout à fait nouveau de théâtre et que [[Diderot]] définira le genre du [[drame bourgeois]]. Et c'est un poète du {{s-|XIX}}, [[Charles Baudelaire]], qui ouvre le débat sur "la modernité" bien au-delà des cercles littéraires<ref>[https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1986_num_63_3_1398 Modernisme et modernité. Baudelaire face à son époque], Gérald Froidevaux, ''Littérature'' {{|63}}, 1986, {{p.|90-103}}</ref>, quand, en 1863, il publie dans ''[[Le Figaro]]'' un article qui sera par la suite très largement commenté : ''[[Le Peintre de la vie moderne]]''. Dix ans plus tard, dans ''[[Une saison en enfer]]'', [[Arthur Rimbaud]] lance cette injonction : "il faut être absolument moderne".


=== Art et architecture ===
=== Art et architecture ===
{{Article détaillé|Art moderne|architecture moderne}}
{{Article détaillé|Art moderne|architecture moderne}}


Au milieu du {{s-|XVI}}, le tout premier historien de l'art, [[Giorgio Vasari]], qualifie de ''[[maniera moderna]]'' la manière de peindre de [[Leonard de Vinci]].
Au milieu du {{s-|XVI}}, le tout premier historien de l'art, [[Giorgio Vasari]], qualifie de ''[[maniera moderna]]'' la manière de peindre de [[Léonard de Vinci]].


L'adjectif "moderne" revient ensuite régulièrement dans les domaines de l'art et de la littérature pour désigner la capacité des artistes et des écrivains de s'émanciper des codes esthétiques en vigueur, voire à les [[Transgression|transgresser]] de façon plus ou moins radicale.
L'adjectif "moderne" revient ensuite régulièrement dans les domaines de l'art et de la littérature pour désigner la capacité des artistes et des écrivains de s'émanciper des codes esthétiques en vigueur, voire à les [[Transgression|transgresser]] de façon plus ou moins radicale.
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Comme il est signalé [[#Rationalité,_scientificité,_efficacité,_performance|plus haut]], [[René Descartes|Descartes]] introduit explicitement le concept de modernité en philosophie par son ''[[Discours de la méthode]]'' en 1637, en affirmant qu'un individu ne peut se dire "homme" que dès lors qu'il procède à un [[Rationalisme|usage systématique de sa raison]] : c'est le fameux "[[Cogito ergo sum|Je pense, donc je suis]]". Au fil de [[XVIIe_siècle|son siècle]], le premier champ d'application de cette approche est celui des sciences. Mais à la fin du siècle suivant, dit "[[Siècle des Lumières]]", plus précisément durant sa seconde moitié, l'ensemble des philosophes européens se mobilisent pour appliquer le principe de la [[rationalité]] à ''tous'' les champs de l'existence.
Comme il est signalé [[#Rationalité,_scientificité,_efficacité,_performance|plus haut]], [[René Descartes|Descartes]] introduit explicitement le concept de modernité en philosophie par son ''[[Discours de la méthode]]'' en 1637, en affirmant qu'un individu ne peut se dire "homme" que dès lors qu'il procède à un [[Rationalisme|usage systématique de sa raison]] : c'est le fameux "[[Cogito ergo sum|Je pense, donc je suis]]". Au fil de [[XVIIe_siècle|son siècle]], le premier champ d'application de cette approche est celui des sciences. Mais à la fin du siècle suivant, dit "[[Siècle des Lumières]]", plus précisément durant sa seconde moitié, l'ensemble des philosophes européens se mobilisent pour appliquer le principe de la [[rationalité]] à ''tous'' les champs de l'existence.


Sous l'impulsion de deux d'entre eux, [[Denis Diderot|Diderot]] et [[d'Alembert]], ils élaborent durant plusieurs années un corpus dont l'objectif est de recenser l'ensemble sur des connaissances dans tous les domaines : l'[[Encyclopédie]]. Cette entreprise les conduit à prendre conscience du caractère relatif des connaissances : leurs contenus et les méthodes pour les acquérir varient sensiblement non seulement selon les régions du globe mais aussi, pour ce qui concerne la leur {{incise|l'Europe}} au fil du [[temps]]. C'est ainsi que "le sens de l'histoire", l'historicité, va constituer peu à peu l'axe premier du concept de modernité et que va prendre son essor ce que l'on appelle la "[[philosophie de l'histoire]]".
Sous l'impulsion de deux d'entre eux, [[Denis Diderot|Diderot]] et [[Jean Le Rond d'Alembert|d'Alembert]], ils élaborent durant plusieurs années un corpus dont l'objectif est de recenser l'ensemble sur des connaissances dans tous les domaines : l'[[Encyclopédie]]. Cette entreprise les conduit à prendre conscience du caractère relatif des connaissances : leurs contenus et les méthodes pour les acquérir varient sensiblement non seulement selon les régions du globe mais aussi, pour ce qui concerne la leur {{incise|l'Europe}} au fil du [[temps]]. C'est ainsi que "le sens de l'histoire", l'historicité, va constituer peu à peu l'axe premier du concept de modernité et que va prendre son essor ce que l'on appelle la "[[philosophie de l'histoire]]".

Un des postulats des théoriciens de la modernité et du progrès repose sur l'idée que les individus sont non seulement « [[Autonomie|autonomes]] » par rapport au processus historique mais que chacun d'eux dispose de la capacité d'en infléchir le cours en exerçant ses [[Responsabilité|responsabilités]]. C'est pourquoi une certaine « [[philosophie de l'action]] » va peu à peu se retrouver au cœur même du concept de modernité{{référence nécessaire}}.


Un des postulats des théoriciens de la modernité et du progrès repose sur l'idée que les individus sont non seulement « [[Autonomie|autonomes]] » par rapport au processus historique mais que chacun d'eux dispose de la capacité d'en infléchir le cours en exerçant ses [[Responsabilité|responsabilités]]. C'est pourquoi une certaine « [[philosophie de l'action]] » va peu à peu se retrouver au coeur même du concept de modernité {{référence nécessaire}}.
=== Histoire ===
=== Histoire ===
{{Article détaillé|Histoire moderne}}
{{Article détaillé|Histoire moderne}}
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=== Technique ===
=== Technique ===
{{Article détaillé|Progrès technique}}
{{Article détaillé|Progrès technique}}
Comme déjà précisé [[#Philosophie,_temps_et_histoire|plus haut]], [[Pierre Chaunu]] associe l'idée de modernité avec [[Histoire de la mesure du temps|l'histoire des instruments de mesure du temps]]. Et selon lui, cette histoire remonte au début du {{s-|XIV}}, quand se développent les premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]]. Déjà en 1934, l'historien américain [[Lewis Mumford]] écrivait :{{citation bloc|L’horloge n’est pas seulement un moyen de suivre la marche des heures ; c’est aussi un moyen de synchroniser les actions des hommes. […] C’est l’horloge, non la [[machine à vapeur]], qui est la machine vitale de l’[[ère industrielle]] moderne... Dans sa relation à des quantités d’énergie déterminables, à la [[standardisation]], à l’[[Automatisation|action automatique]], et finalement à son produit propre et spécial, l’heure exacte, l’horloge a été la machine la plus avancée de la technique moderne ; et à chaque période elle est restée en tête : elle marque une perfection à laquelle les autres machines aspirent<ref>[[Lewis Mumford]], ''Technics and Civilization'', 1934. Trad. fr. ''Technique et civilisation'', Marseille, Parenthèse, 2016</ref>.}}
Comme déjà précisé [[#Philosophie,_temps_et_histoire|plus haut]], [[Pierre Chaunu]] associe l'idée de modernité avec [[Histoire de la mesure du temps|l'histoire des instruments de mesure du temps]]. Et selon lui, cette histoire remonte au début du {{s-|XIV}}, quand se développent les premières [[Horloge mécanique|horloges mécaniques]]. Déjà en 1934, l'historien américain [[Lewis Mumford]] écrivait :
{{citation bloc|L’horloge n’est pas seulement un moyen de suivre la marche des heures ; c’est aussi un moyen de synchroniser les actions des hommes. […] C’est l’horloge, non la [[machine à vapeur]], qui est la machine vitale de l’[[ère industrielle]] moderne… Dans sa relation à des quantités d’énergie déterminables, à la [[standardisation]], à l’[[Automatisation|action automatique]], et finalement à son produit propre et spécial, l’heure exacte, l’horloge a été la machine la plus avancée de la technique moderne ; et à chaque période elle est restée en tête : elle marque une perfection à laquelle les autres machines aspirent<ref>[[Lewis Mumford]], ''Technics and Civilization'', 1934. Trad. fr. ''Technique et civilisation'', Marseille, Parenthèse, 2016</ref>.}}


Selon Chaunu, l'idée de modernité s'inscrit vraiment dans les esprits au début du {{s-|XVII}}, en 1609 exactement, quand [[Galilée (savant)|Galilée]] utilise une [[Lunette astronomique|lunette]] {{incise|utilisée jusqu'alors dans les situations de guerres}} pour observer le ciel et quand, l'année suivante, il écrit : {{citation|J'ai vu en un an vingt fois plus de choses que tous les hommes n'en ont vu en 5 600 ans{{#tag:ref|Ce nombre se réfère à la chronologie biblique traditionnelle.|group=n}}.}}
Selon Chaunu, l'idée de modernité s'inscrit vraiment dans les esprits au début du {{s-|XVII}}, en 1609 exactement, quand [[Galilée (savant)|Galilée]] utilise une [[Lunette astronomique|lunette]] {{incise|utilisée jusqu'alors dans les situations de guerres}} pour observer le ciel et quand, l'année suivante, il écrit : {{citation|J'ai vu en un an vingt fois plus de choses que tous les hommes n'en ont vu en 5 600 ans{{#tag:ref|Ce nombre se réfère à la chronologie biblique traditionnelle.|group=n}}.}}


A l'époque, Galilée ignorait ce que la [[théorie de la relativité]] permettrait de comprendre, trois siècles plus tard, que plus on regarde loin ''dans l'espace'', grâce à un [[télescope]], et plus on regarde l'univers tel qu'il était ''dans le passé''. Selon Chaunu, l'idée de modernité devient prégnante au fur et à mesure que se développent les instruments de mesure, qu'il appelle "multiplicateurs sensoriels". Grâce à eux, dit-il, et grâce aux nouvelles techniques en navigation, autorisant la découverte des continents lointains, les humains accèdent à une approche de leur géographie et de leur histoire qui, non seulement dépasse les limites de leur échelle d'individus (ce qu'ils pouvaient déjà ressentir auparavant avec le sentiment d'[[éternité]]) mais qu'ils sont cette fois en mesure d'''analyser, mesurer, dater, quantifier, objectiver''<ref name=chaunu/>.
À l'époque, Galilée ignorait ce que la [[théorie de la relativité]] permettrait de comprendre, trois siècles plus tard, que plus on regarde loin ''dans l'espace'', grâce à un [[télescope]], et plus on regarde l'univers tel qu'il était ''dans le passé''. Selon Chaunu, l'idée de modernité devient prégnante au fur et à mesure que se développent les instruments de mesure, qu'il appelle "multiplicateurs sensoriels". Grâce à eux, dit-il, et grâce aux nouvelles techniques en navigation, autorisant la découverte des continents lointains, les humains accèdent à une approche de leur géographie et de leur histoire qui, non seulement dépasse les limites de leur échelle d'individus (ce qu'ils pouvaient déjà ressentir auparavant avec le sentiment d'[[éternité]]) mais qu'ils sont cette fois en mesure d'''analyser, mesurer, dater, quantifier, objectiver''<ref name=chaunu/>.


=== Économie ===
=== Économie ===
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=== Vie politique ===
=== Vie politique ===
Les [[Philosophie des lumières|discours des Lumières]], au fil du {{s-|XVIII}} {{incise|en premier lieu ceux de [[Jean-Jacques Rousseau]]}} ont constitué le socle idéologique de la [[Révolution française]] et fondé ce que le politologue Maurice Barbier appelle la « modernité politique » :
Les [[Philosophie des lumières|discours des Lumières]], au fil du {{s-|XVIII}} {{incise|en premier lieu ceux de [[Jean-Jacques Rousseau]]}} ont constitué le socle idéologique de la [[Révolution française]] et fondé ce que le politologue Maurice Barbier appelle la « modernité politique » :
{{citation bloc|La modernité politique consiste essentiellement dans la séparation entre l'[[État]] et la [[société civile]], entre la sphère publique et le [[Sphère privée|domaine privé]]. Elle résulte d'un long processus historique qui conduit de ''l'État ancien'' à ''l'État moderne'', devenu distinct et séparé de la société. Elle n'apparaît qu'à la fin du {{s-|XVIII}}, presque simultanément aux Etats-Unis et en France. Elle se répand ensuite progressivement en Europe où elle trouve ses théoriciens et ses critiques. Mais elle se heurte aussi à de sérieux obstacles, notamment le [[Nationalisme|fait national]], les divers [[Totalitarisme|totalitarismes]] et l'[[Intégrisme|intégrisme religieux]]<ref>Maurice Barbier, ''La Modernité politique'', PUF, collection « Thémis », 2000</ref>.}}Le débat sur la question de la modernité se focalise sur la figure sur de l'État<ref>Laurent Cournarie, [http://www.philopsis.fr/IMG/pdf/l_etat_ou_la_modernite_politique_en_question-lcournarie-2.pdf L’Etat ou la modernité politique en question], ''Philopsis'', 17 juillet 2016 </ref>.
{{citation bloc|La modernité politique consiste essentiellement dans la séparation entre l'[[État]] et la [[société civile]], entre la sphère publique et le [[Sphère privée|domaine privé]]. Elle résulte d'un long processus historique qui conduit de ''l'État ancien'' à ''l'État moderne'', devenu distinct et séparé de la société. Elle n'apparaît qu'à la fin du {{s-|XVIII}}, presque simultanément aux États-Unis et en France. Elle se répand ensuite progressivement en Europe où elle trouve ses théoriciens et ses critiques. Mais elle se heurte aussi à de sérieux obstacles, notamment le [[Nationalisme|fait national]], les divers [[Totalitarisme|totalitarismes]] et l'[[Intégrisme|intégrisme religieux]]<ref>Maurice Barbier, ''La Modernité politique'', PUF, collection « Thémis », 2000</ref>.}}
Le débat sur la question de la modernité se focalise sur la figure sur de l'État<ref>Laurent Cournarie, [http://www.philopsis.fr/IMG/pdf/l_etat_ou_la_modernite_politique_en_question-lcournarie-2.pdf L’État ou la modernité politique en question], ''Philopsis'', 17 juillet 2016</ref>.


=== Vie quotidienne ===
=== Vie quotidienne ===
{{Section vide ou incomplète}}
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{{citation|Par sa description des détails de la [[vie sociale]], [[Georg Simmel]] dessine au début du {{s-|XX}} le portrait d’''une modernité à la fois libératrice et aliénante''<ref>Xavier Molénat, Georg Simmel : L'ambivalence de la modernité, revue ''Sciences humaines'', n° 217, juillet 2010</ref>.}}
{{citation|Par sa description des détails de la [[vie sociale]], [[Georg Simmel]] dessine au début du {{s-|XX}} le portrait d’''une modernité à la fois libératrice et aliénante''}}<ref>Xavier Molénat, Georg Simmel : L'ambivalence de la modernité, revue ''Sciences humaines'', {{|217}}, juillet 2010</ref>.


== Les lieux de la modernité ==
== Les lieux de la modernité ==
=== Europe et Occident ===
=== Europe et Occident ===
{{Article détaillé|Société occidentale}}
{{Article détaillé|Société occidentale}}
Le capitalisme est né en Europe au {{s|XII}}, précisément au moment où le mot ''capital'' entrait en usage pour désigner une quantité d'argent à faire fructifier<ref>[[Fernand Braudel]], ''La Dynamique du capitalisme'', 1985, p.232</ref>. C'est donc à cette époque et à cet endroit que s'est développé le discours [[Justification (philosophie)|justifiant]] les principes et les méthodes du capitalisme. Et dès lors que celui-ci s'incarnait dans la figure de ''l'entrepreneur'' et qu'il allait sans cesse prendre de l'ascendant par rapport à l'homme d'Église et l'homme d'État, le concept de modernité ne pouvait qu'être exporté dans l'ensemble du monde.
Le capitalisme est né en Europe au {{s|XII}}, précisément au moment où le mot ''capital'' entrait en usage pour désigner une quantité d'argent à faire fructifier<ref>[[Fernand Braudel]], ''La Dynamique du capitalisme'', 1985, {{p.|232}}</ref>. C'est donc à cette époque et à cet endroit que s'est développé le discours [[Justification (philosophie)|justifiant]] les principes et les méthodes du capitalisme. Et dès lors que celui-ci s'incarnait dans la figure de ''l'entrepreneur'' et qu'il allait sans cesse prendre de l'ascendant par rapport à l'homme d'Église et l'homme d'État, le concept de modernité ne pouvait qu'être exporté dans l'ensemble du monde.


De fait, au début du {{s|XVI}}, l'image la plus connue de l'entrepreneur est celle du ''[[conquistador]]'' : l'homme qui, précisément quitte l'Europe pour découvrir et annexer, [[Colonisation|coloniser]], de nouveaux territoires ; et qui, ce faisant, va y exporter ses propres valeurs et références : le christianisme et l'esprit d'entreprendre. C'est ainsi que peu à peu, le monde entier s'est "européanisé" et que l'on parle alors d'[[occidentalisation]] du monde. Comme l'avance en 1985 l'ethnologue [[Georges Balandier]], {{Citation|la modernité occidentale est conquérante et elle se donne comme exclusive<ref>[[Georges Balandier]], ''Le Détour. Pouvoir et modernité'', Paris, Fayard, 1985, p. 220</ref>.}}
De fait, au début du {{s|XVI}}, l'image la plus connue de l'entrepreneur est celle du ''[[conquistador]]'' : l'homme qui, précisément quitte l'Europe pour découvrir et annexer, [[Colonisation|coloniser]], de nouveaux territoires ; et qui, ce faisant, va y exporter ses propres valeurs et références : le christianisme et l'esprit d'entreprendre. C'est ainsi que peu à peu, le monde entier s'est "européanisé" et que l'on parle alors d'[[occidentalisation]] du monde. Comme l'avance en 1985 l'ethnologue [[Georges Balandier]], {{Citation|la modernité occidentale est conquérante et elle se donne comme exclusive}}<ref>[[Georges Balandier]], ''Le Détour. Pouvoir et modernité'', Paris, Fayard, 1985, {{p.|220}}</ref>.


Sur l'aspect du capital qui représente une certaine quantité d'argent, le sociologue [[Ferdinand Tönnies]], à la fin du XIXème siècle, soutient que l'argent est le marqueur le plus significatif de la modernité. Par lui, l'humanité découvrirait la réalité, le concret, l'historique. L'argent représente le mouvement de l'univers aussi bien que l'instantané. Avec lui, les lois propres des choses s'imposent, et les dégagent des d'opinions personnelles des uns et des autres. Ainsi, de l'argent, découlerait, à cette époque, une relation nouvelle entre la liberté et la dépendance. L'argent donnerait tout à la fois une indépendance à chaque personne, mais dans le même mouvement leur égalisation, leur nivellement, leur inclusion dans des cercles sociaux toujours plus grand<ref name=":0">{{Article |prénom1=Otto |nom1=Oexle |prénom2=Florence |nom2=Chaix |titre=Les groupes sociaux du Moyen Âge et les débuts de la sociologie contemporaine |périodique=Annales |volume=47 |numéro=3 |date=1992 |doi=10.3406/ahess.1992.279071 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1992_num_47_3_279071 |consulté le=2020-01-19 |pages=751–765 }}</ref>.
Sur l'aspect du capital qui représente une certaine quantité d'argent, le sociologue [[Ferdinand Tönnies]], à la fin du {{s-|XIX}}, soutient que l'argent est le marqueur le plus significatif de la modernité. Par lui, l'humanité découvrirait la réalité, le concret, l'historique. L'argent représente le mouvement de l'univers aussi bien que l'instantané. Avec lui, les lois propres des choses s'imposent, et les dégagent des d'opinions personnelles des uns et des autres. Ainsi, de l'argent, découlerait, à cette époque, une relation nouvelle entre la liberté et la dépendance. L'argent donnerait tout à la fois une indépendance à chaque personne, mais dans le même mouvement leur égalisation, leur nivellement, leur inclusion dans des cercles sociaux toujours plus grand<ref name=":0">{{Article |prénom1=Otto |nom1=Oexle |prénom2=Florence |nom2=Chaix |titre=Les groupes sociaux du Moyen Âge et les débuts de la sociologie contemporaine |périodique=Annales |volume=47 |numéro=3 |date=1992 |doi=10.3406/ahess.1992.279071 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1992_num_47_3_279071 |consulté le=2020-01-19 |pages=751–765 }}</ref>.


=== Le mythe de l'Occident ===
=== Le mythe de l'Occident ===
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=== De la ville à la masse ===
=== De la ville à la masse ===
[[Jacques Attali]] avance que c'est d'abord parce qu'ils sont les "inventeurs de la ville", ou plus exactement de la [[Cité-État]], que les Grecs figurent parmi les premiers grands "modernes" européens<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', op. cit. p. 27</ref> : pas de modernité sans contradiction, sans débat ''démocratique'', sans [[agora]], voire sans multitude.
[[Jacques Attali]] avance que c'est d'abord parce qu'ils sont les "inventeurs de la ville", ou plus exactement de la [[Cité-État]], que les Grecs figurent parmi les premiers grands "modernes" européens<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', op. cit. {{p.|27}}</ref> : pas de modernité sans contradiction, sans débat ''démocratique'', sans [[agora]], voire sans multitude.


Ainsi, Londres, Paris, Berlin, Vienne... les capitales européennes les plus peuplées durant la fin du {{s-|XIX}} colportent la réputation d'être les principaux "foyers de modernité", ainsi que le soulignent dès cette époque les premiers grands sociologues, notamment [[Georg Simmel]]<ref>[[Georg Simmel]], « Die Großstädte und das Geistesleben », 1903. Trad. Jean-Louis Vieillard-Baron, « Les grandes villes et la vie de l’esprit », in Geog Simmel, ''Philosophie de la modernité'', Paris, Payot, 1989, p. 233-264.</ref>{{,}}<ref>Céline Bonicco, [https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2009-2-page-48.htm#no71 La ville comme forme de la vie moderne], ''Cahiers philosophiques'', 2009/2, n° 118, p.48-58</ref>car, de par kleur dimension [[cosmopolitique]], ils constituent les lieux de confrontation d'idées par excellence.
Ainsi, Londres, Paris, Berlin, Vienne… les capitales européennes les plus peuplées durant la fin du {{s-|XIX}} colportent la réputation d'être les principaux "foyers de modernité", ainsi que le soulignent dès cette époque les premiers grands sociologues, notamment [[Georg Simmel]]<ref>[[Georg Simmel]], « Die Großstädte und das Geistesleben », 1903. Trad. Jean-Louis Vieillard-Baron, « Les grandes villes et la vie de l’esprit », in Geog Simmel, ''Philosophie de la modernité'', Paris, Payot, 1989, {{p.|233-264}}.</ref>{{,}}<ref>Céline Bonicco, [https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2009-2-page-48.htm#no71 La ville comme forme de la vie moderne], ''Cahiers philosophiques'', 2009/2, {{|118}}, {{p.|48-58}}</ref>car, de par leur dimension [[cosmopolitique]], ils constituent les lieux de confrontation d'idées par excellence.


{{Citation|Mais la modernité n'est pas seulement la ville précise [[Henri Meschonnic]], elle est "les masses". L'ère des masses<ref>[[Henri Meschonnic]], ''Modernité, modernité'', Verdier, 1988. Réed. Gallimard, coll. « Folio-essais », 1994</ref>.}}
{{Citation|Mais la modernité n'est pas seulement la ville précise [[Henri Meschonnic]], elle est "les masses". L'ère des masses<ref>[[Henri Meschonnic]], ''Modernité, modernité'', Verdier, 1988. Réed. Gallimard, {{coll.|Folio essais}}, 1994</ref>.}}


== Les époques de la modernité ==
== Les époques de la modernité ==
=== L'épineuse question des origines ===
=== L'épineuse question des origines ===
Il est parfois d'usage de qualifier l'[[homo sapiens]] (apparu il y a 200 000 ans) d'''homme moderne''<ref>[https://www.universalis.fr/encyclopedie/homo-sapiens-sapiens/ Encyclopedia Universalis]</ref>{{,}}<ref>[https://www.pourlascience.fr/sd/paleontologie-humaine/le-dernier-ancetre-de-lhomme-moderne-2006.php Pour la science], 30 novembre 1999</ref> et par conséquent de faire remonter la question de la modernité aux origines mêmes de l'humanité<ref>[https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-modernite-une-notion-qui-fait-debat La modernité, une notion qui fait débat], Léa Galanopoulo, CNRS, 20 novembre 2018</ref>. Selon l'essayiste [[Jacques Attali]], il est toutefois préférable de réserver le qualificatif de "moderne" aux moments où les humains se montrent sensiblement plus ouverts au changement que par le passé : {{citation bloc|Pendant des millénaires, les sociétés [[Préhistoire|préhistoriques]] se sont voulues ''répétitives'', de peur que tout changement soit porteur de mort. Les hommes espéraient, sans en être assurés, le retour du soleil chaque matin, de la pluie chaque automne, des premières pousses chaque printemps. Rien ne les inquiétait plus que le changement. La modernité, c'était donc pour eux ''le retour au même''. Puis le neuf au service de l'individu est devenu une valeur positive, avec les premiers [[progrès techniques]] : le feu, la pierre taillée, puis polie, le levier, la roue et le passage du nomade au sédentaire, de la campagne à la ville. C'est d'abord le monde des nomades du Proche-Orient et des marins de la Méditerranée, inventeurs de l'agriculture et de la ville. En particulier le monde hébraïque puis le monde grec font l'apologie du nouveau. Le monde romain reprend à son compte une partie de l'héritage des mondes juifs et grec. Puis le christianisme. Cette modernité durera plus de mille ans...<br>À partir du {{s-|XII}} débute en Italie et en Europe du Nord une [[Renaissance du XIIe siècle|révolution économique et culturelle]]. Les marchands commencent à produire autrement. Le salariat voit le jour. Les bourgeois veulent un autre art : ils financent des beffrois, qui concurrencent les clochers. L'architecture, la musique et la littérature s'intéressent à ''d'autres sujets que le religieux''. À partir du {{s-|XV}}, l'invention de l'imprimerie (dans les années 1450), la découverte des Amériques (1492) et la comptabilité engendrent en Europe ce que l'on appellera plus tard "l'Europe des temps modernes". Peu à peu se forme une nouvelle idée de la modernité qui n'est ni grecque ni chrétienne : ce n'est plus la modernité de l'Être ni de la Foi mais celle de la [[raison]]<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', Robert Laffont, 2013. Rééd. Champs/Essais, 2015, p. 10-11</ref>.}}Les origines du concept de modernité sont donc extrêmement floues dans la mesure où les critères pour le définir sont variables :
Il est parfois d'usage de qualifier l'[[homo sapiens]] (apparu il y a {{nombre|200000|ans}}) d'''homme moderne''<ref>[https://www.universalis.fr/encyclopedie/homo-sapiens-sapiens/ Encyclopedia Universalis]</ref>{{,}}<ref>[https://www.pourlascience.fr/sd/paleontologie-humaine/le-dernier-ancetre-de-lhomme-moderne-2006.php Pour la science], 30 novembre 1999</ref> et par conséquent de faire remonter la question de la modernité aux origines mêmes de l'humanité<ref>[https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-modernite-une-notion-qui-fait-debat La modernité, une notion qui fait débat], Léa Galanopoulo, CNRS, 20 novembre 2018</ref>. Selon l'essayiste [[Jacques Attali]], il est toutefois préférable de réserver le qualificatif de "moderne" aux moments où les humains se montrent sensiblement plus ouverts au changement que par le passé : {{citation bloc|Pendant des millénaires, les sociétés [[Préhistoire|préhistoriques]] se sont voulues ''répétitives'', de peur que tout changement soit porteur de mort. Les hommes espéraient, sans en être assurés, le retour du soleil chaque matin, de la pluie chaque automne, des premières pousses chaque printemps. Rien ne les inquiétait plus que le changement. La modernité, c'était donc pour eux ''le retour au même''. Puis le neuf au service de l'individu est devenu une valeur positive, avec les premiers [[progrès techniques]] : le feu, la pierre taillée, puis polie, le levier, la roue et le passage du nomade au sédentaire, de la campagne à la ville. C'est d'abord le monde des nomades du Proche-Orient et des marins de la Méditerranée, inventeurs de l'agriculture et de la ville. En particulier le monde hébraïque puis le monde grec font l'apologie du nouveau. Le monde romain reprend à son compte une partie de l'héritage des mondes juifs et grec. Puis le christianisme. Cette modernité durera plus de mille ans…<br>À partir du {{s-|XII}} débute en Italie et en Europe du Nord une [[Renaissance du XIIe siècle|révolution économique et culturelle]]. Les marchands commencent à produire autrement. Le salariat voit le jour. Les bourgeois veulent un autre art : ils financent des beffrois, qui concurrencent les clochers. L'architecture, la musique et la littérature s'intéressent à ''d'autres sujets que le religieux''. À partir du {{s-|XV}}, l'invention de l'imprimerie (dans les années 1450), la découverte des Amériques (1492) et la comptabilité engendrent en Europe ce que l'on appellera plus tard "l'Europe des temps modernes". Peu à peu se forme une nouvelle idée de la modernité qui n'est ni grecque ni chrétienne : ce n'est plus la modernité de l'Être ni de la Foi mais celle de la [[raison]]<ref>[[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité'', Robert Laffont, 2013. Rééd. Champs/Essais, 2015, p. 10-11</ref>.}}Les origines du concept de modernité sont donc extrêmement floues dans la mesure où les critères pour le définir sont variables :
* grandes mutations biologiques puis psychosociales survenues durant la '''préhistoire''' : capacité de se tenir debout et de manipuler des objets ; structuration du langage ; capacité de concevoir et fabriquer des objets (le feu, les vêtements, la roue, autres ''techniques''...) ; domestication de l'environnement (agriculture, élevage d'animaux, création de routes et de ponts...) ; développement de la "pensée magique" (proto-religions)...
* grandes mutations biologiques puis psychosociales survenues durant la '''préhistoire''' : capacité de se tenir debout et de manipuler des objets ; structuration du langage ; capacité de concevoir et fabriquer des objets (le feu, les vêtements, la roue, autres ''techniques'') ; domestication de l'environnement (agriculture, élevage d'animaux, création de routes et de ponts…) ; développement de la "pensée magique" (proto-religions)
* débuts de l''''histoire''' : invention de l'écriture, premières villes, premières civilisations...
* débuts de l''''histoire''' : invention de l'écriture, premières villes, premières civilisations…
* débuts de la '''réflexivité''' : [[judaïsme]] et [[christianisme]], premières "[[religions du livre]]" ; naissance de la [[philosophie]] en Grèce (capacité à penser la [[condition humaine]] par l'usage exclusif de la [[raison]]) ; naissance des sciences (approches théoriques du réel, là encore au moyen exclusif de la raison) ; invention de la [[démocratie]] ; naissance de l'[[histoire]] en tant que science ([[Hérodote]], {{-s-|V}}), donc de l'''historicité'' (conscience du temps qui passe et des rapports de causalité entre les faits, qu'ils soient provoqués par la nature ou par les hommes, conduisant à l'émergence d'un véritable sens "[[Philosophie de l'histoire|sens de l'histoire]]" (le mot "sens" étant pris dans sa double acception : "déroulement" et "signification").
* débuts de la '''réflexivité''' : [[judaïsme]] et [[christianisme]], premières "[[religions du livre]]" ; naissance de la [[philosophie]] en Grèce (capacité à penser la [[condition humaine]] par l'usage exclusif de la [[raison]]) ; naissance des sciences (approches théoriques du réel, là encore au moyen exclusif de la raison) ; invention de la [[démocratie]] ; naissance de l'[[histoire]] en tant que science ([[Hérodote]], {{-s-|V}}), donc de l'''historicité'' (conscience du temps qui passe et des rapports de causalité entre les faits, qu'ils soient provoqués par la nature ou par les hommes, conduisant à l'émergence d'un véritable sens "[[Philosophie de l'histoire|sens de l'histoire]]" (le mot "sens" étant pris dans sa double acception : "déroulement" et "signification").


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=== L'émancipation humaniste ({{s-|XVI}}) ===
=== L'émancipation humaniste ({{s-|XVI}}) ===
Comme bon nombre d'intellectuels, [[Jürgen Habermas]] estime que les véritables origines du concept de modernité se situent autour de 1500, soit aux moments de la découverte du [[nouveau monde]], de la [[Renaissance italienne]] et de la [[Réforme protestante|Réforme]], premier grand mouvement de contestation de l'Église catholique<ref>[[Jürgen Habermas]], ''Discours philosophique de la modernité'', Gallimard, 1988. Page 6</ref>.
Comme bon nombre d'intellectuels, [[Jürgen Habermas]] estime que les véritables origines du concept de modernité se situent autour de 1500, soit aux moments de la découverte du [[nouveau monde]], de la [[Renaissance italienne]] et de la [[Réforme protestante|Réforme]], premier grand mouvement de contestation de l'Église catholique<ref>[[Jürgen Habermas]], ''Discours philosophique de la modernité'', Gallimard, 1988, {{p.|6}}</ref>.


Célèbre pour son ouvrage ''[[Le Prince]]'', paru en 1532 et qui constitue une première ébauche de la [[philosophie politique]], le Florentin [[Nicolas Machiavel]] est fréquemment considéré comme l'un des initiateurs du concept de modernité en Europe<ref>[https://www.universalis.fr/encyclopedie/machiavel/6-machiavel-et-la-modernite/ Machiavel et la modernité], Encyclopedia Universalis</ref>.
Célèbre pour son ouvrage ''[[Le Prince]]'', paru en 1532 et qui constitue une première ébauche de la [[philosophie politique]], le Florentin [[Nicolas Machiavel]] est fréquemment considéré comme l'un des initiateurs du concept de modernité en Europe<ref>[https://www.universalis.fr/encyclopedie/machiavel/6-machiavel-et-la-modernite/ Machiavel et la modernité], Encyclopedia Universalis</ref>.


Dans un essai intitulé ''Les Trois Vagues de la modernité'' et paru en 1975 {{incise|soit deux ans après sa mort}} le philosophe [[Leo Strauss]] voit en lui "la première vague de la modernité" : {{citation bloc|Qui donc est le premier philosophe politique à avoir explicitement rejeté toute la philosophie politique antérieure comme fondamentalement insuffisante, voire erronée ? Il n’est pas difficile de répondre : il s’agit de [[Thomas Hobbes|Hobbes]]. Pourtant, un examen plus minutieux montre que, quoique très originale, la rupture radicale de Hobbes avec la tradition de la philosophie politique ne fait que prolonger le travail entrepris en premier lieu par Machiavel. Machiavel, de fait, ne mettait pas moins radicalement en question que Hobbes la valeur de la philosophie politique traditionnelle ; il ne prétendait pas moins clairement que Hobbes se situer à l’origine de la véritable philosophie politique, même s’il exprimait cette prétention plus discrètement que Hobbes n’allait le faire<ref name=strauss>[[Leo Strauss]], "The Three Waves of Modernity" in ''Political Philosophy: Six Essays'', Hilail Gildin, Pegasus-Bobbs-Merrill, 1975.<br>Trad. fr. [https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PHOIR_025_0167 "Les trois vagues de la modernité"], ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25, p. 167-180.<br>Lire aussi : ''Thoughts on Machiavelli'', 1958, trad. fr. ''Pensées sur Machiavel'', Payot, 1982</ref>.}}
Dans un essai intitulé ''Les Trois Vagues de la modernité'' et paru en 1975 {{incise|soit deux ans après sa mort}} le philosophe [[Leo Strauss]] voit en lui "la première vague de la modernité" :
{{citation bloc|Qui donc est le premier philosophe politique à avoir explicitement rejeté toute la philosophie politique antérieure comme fondamentalement insuffisante, voire erronée ? Il n’est pas difficile de répondre : il s’agit de [[Thomas Hobbes|Hobbes]]. Pourtant, un examen plus minutieux montre que, quoique très originale, la rupture radicale de Hobbes avec la tradition de la philosophie politique ne fait que prolonger le travail entrepris en premier lieu par Machiavel. Machiavel, de fait, ne mettait pas moins radicalement en question que Hobbes la valeur de la philosophie politique traditionnelle ; il ne prétendait pas moins clairement que Hobbes se situer à l’origine de la véritable philosophie politique, même s’il exprimait cette prétention plus discrètement que Hobbes n’allait le faire<ref name=strauss>[[Leo Strauss]], "The Three Waves of Modernity" in ''Political Philosophy: Six Essays'', Hilail Gildin, Pegasus-Bobbs-Merrill, 1975.<br>Trad. fr. [https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PHOIR_025_0167 "Les trois vagues de la modernité"], ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25, p. 167-180.<br>Lire aussi : ''Thoughts on Machiavelli'', 1958, trad. fr. ''Pensées sur Machiavel'', Payot, 1982</ref>.}}


=== L'essor des sciences et du rationalisme ({{s-|XVII}}) ===
=== L'essor des sciences et du rationalisme ({{s-|XVII}}) ===
Vers 1620, l'Anglais [[Francis Bacon (philosophe)|Francis Bacon]] développe une [[théorie de la connaissance]] basée sur l'[[expérience]]<ref>{{Ouvrage|titre=Initiation à la philosophie|sous-titre=2500 ans de philosophie occidentale|auteur=Roger Caratini|éditeur=Éditions Archipoche|année=2012|passage=624|url =https://play.google.com/store/books/details/Roger_Caratini_Initiation_à_la_philosophie?id=VSeLIX-8WQcC&feature=search_result#?t=W251bGwsMSwyLDEsImJvb2stVlNlTElYLThXUWNDIl0. Version google books.}}</ref>. En fondant la [[pensée scientifique]] sur l'[[Empirisme#L'empirisme_moderne|empirisme]], il inaugure une toute nouvelle [[Weltanschauung|façon de penser le monde]].
Vers 1620, l'Anglais [[Francis Bacon (philosophe)|Francis Bacon]] développe une [[théorie de la connaissance]] basée sur l'[[expérience]]<ref>{{Ouvrage|titre=Initiation à la philosophie|sous-titre=2500 ans de philosophie occidentale|auteur=Roger Caratini|éditeur=Éditions Archipoche|année=2012|passage=624|url =https://play.google.com/store/books/details/Roger_Caratini_Initiation_à_la_philosophie?id=VSeLIX-8WQcC&feature=search_result#?t=W251bGwsMSwyLDEsImJvb2stVlNlTElYLThXUWNDIl0. Version google books.}}</ref>. En fondant la [[pensée scientifique]] sur l'[[Empirisme#L'empirisme_moderne|empirisme]], il inaugure une toute nouvelle [[Weltanschauung|façon de penser le monde]].


Quelques années plus tard, en 1637, le Français [[René Descartes]] se fait l'apologue du [[rationalisme]] dans son célèbre ''[[Discours de la Méthode]]''. Son célèbre "[[Cogito ergo sum]]" introduit le [[subjectivisme]] dans le champ de la philosophie et c'est à ce titre qu'il est régulièrement considéré comme un "fondateur de la modernité"<ref>Alexis Bertel, [https://philitt.fr/2015/04/20/fondation-du-cogito-cartesien-subjectivisme-et-entree-en-modernite/ Fondation du cogito cartésien : subjectivisme et entrée en modernité], ''PhiLitt'', 20 avril 2015</ref>{{,}}<ref>[[Bertrand Vergely]], ''Descartes ou l'héroïsme de la modernité'', Éditions Milan, 2008</ref>.
Quelques années plus tard, en 1637, le Français [[René Descartes]] se fait l'apologue du [[rationalisme]] dans son célèbre ''[[Discours de la Méthode]]''. Son célèbre "[[Cogito ergo sum]]" introduit le [[subjectivisme]] dans le champ de la philosophie et c'est à ce titre qu'il est régulièrement considéré comme un "fondateur de la modernité"<ref>Alexis Bertel, [https://philitt.fr/2015/04/20/fondation-du-cogito-cartesien-subjectivisme-et-entree-en-modernite/ Fondation du cogito cartésien : subjectivisme et entrée en modernité], ''PhiLitt'', 20 avril 2015</ref>{{,}}<ref>[[Bertrand Vergely]], ''Descartes ou l'héroïsme de la modernité'', Éditions Milan, 2008</ref>.


Rompant l'un et l'autre avec la pensée [[scolastique]], qui a irrigué tout le [[Moyen Âge]], ces deux philosophes contribuent à répandre un nouveau [[paradigme]] en Europe : le [[matérialisme]]. Du moins contribuent-ils à diffuser l'idée que l'homme est désormais apte à penser ''par lui-même'' le monde et sa propre condition, et non plus dans une optique religieuse, ni même aristotélicienne<ref>Élodie Cassan (dir.), ''Bacon et Descartes. Genèse de la modernité philosophique'', Ecole Normale Supérieure, 2014. [http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/27/09/2016/Élodie-Cassan%2C-Descartes-et-Bacon%2C-Genèses-de-la-modernité-philosophique%2CParis%2C-2014%2C-lu-par-Max-Hardt Recension]</ref>.
Rompant l'un et l'autre avec la pensée [[scolastique]], qui a irrigué tout le [[Moyen Âge]], ces deux philosophes contribuent à répandre un nouveau [[paradigme]] en Europe : le [[matérialisme]]. Du moins contribuent-ils à diffuser l'idée que l'homme est désormais apte à penser ''par lui-même'' le monde et sa propre condition, et non plus dans une optique religieuse, ni même aristotélicienne<ref>Élodie Cassan (dir.), ''Bacon et Descartes. Genèse de la modernité philosophique'', École Normale Supérieure, 2014. [http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/27/09/2016/Élodie-Cassan%2C-Descartes-et-Bacon%2C-Genèses-de-la-modernité-philosophique%2CParis%2C-2014%2C-lu-par-Max-Hardt Recension]</ref>.


=== Les libertés politiques et économiques (fin {{s-|XVIII}}) ===
=== Les libertés politiques et économiques (fin {{s-|XVIII}}) ===
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Selon [[Leo Strauss|Strauss]], {{citation |la seconde vague de la modernité apparaît avec [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]]. Ce penseur a transformé le climat moral de l’Occident aussi profondément que Machiavel<ref name=strauss/>.}}
Selon [[Leo Strauss|Strauss]], {{citation |la seconde vague de la modernité apparaît avec [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]]. Ce penseur a transformé le climat moral de l’Occident aussi profondément que Machiavel<ref name=strauss/>.}}

=== Le capitalisme et l'idéologie du progrès ({{s-|XIX}}) ===
=== Le capitalisme et l'idéologie du progrès ({{s-|XIX}}) ===
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=== La ''crise de la modernité'' (fin {{s-|XIX}} - {{s-|XX}}) ===
=== La ''crise de la modernité'' (fin {{s-|XIX}} - {{s-|XX}}) ===
Non seulement le thème de la « crise de la modernité » est devenu récurrent dans les sciences humaines tout au long du {{s-|XX}} mais aussi, plus largement, celui de « crise ». Selon [[Edgar Morin]], {{citation|la notion de crise s’est (alors) répandue à tous les horizons de la conscience contemporaine. Il n’est pas de domaine qui ne soit hanté par la notion de crise : le capitalisme, le droit, la civilisation, l’humanité... Mais cette notion en se généralisant s’est vidée de l’intérieur<ref>[[Edgar Morin]], [https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1976_num_25_1_1388 « Pour une crisologie »], ''Communications'', n° 25, 1976, p. 149-163.</ref>.}})
Non seulement le thème de la « crise de la modernité » est devenu récurrent dans les sciences humaines tout au long du {{s-|XX}} mais aussi, plus largement, celui de « crise ». Selon [[Edgar Morin]], {{citation|la notion de crise s’est (alors) répandue à tous les horizons de la conscience contemporaine. Il n’est pas de domaine qui ne soit hanté par la notion de crise : le capitalisme, le droit, la civilisation, l’humanité… Mais cette notion en se généralisant s’est vidée de l’intérieur}}<ref>[[Edgar Morin]], [https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1976_num_25_1_1388 « Pour une crisologie »], ''Communications'', {{|25}}, 1976, {{p.|149-163}}.</ref>.)


En entend par « crise de la modernité » l'ensemble des interrogations, voire le désarroi, d'un grand nombre de philosophes, constatant dès la fin {{s-|XIX}} que leurs idées non seulement sont sans effet sur le ''contrôle'' du réel (projet des Lumières) mais sur sa ''compréhension''<ref>Léo Freuler, ''La crise de la philosophie au {{s-|XIX}}'', Vrin, 1997</ref>.
En entend par « crise de la modernité » l'ensemble des interrogations, voire le désarroi, d'un grand nombre de philosophes, constatant dès la fin {{s-|XIX}} que leurs idées non seulement sont sans effet sur le ''contrôle'' du réel (projet des Lumières) mais sur sa ''compréhension''<ref>Léo Freuler, ''La crise de la philosophie au {{s-|XIX}}'', Vrin, 1997</ref>.
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[[Leo Strauss|Strauss]] situe l'amorce de cette crise à la pensée de [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]]<ref name=strauss/>.
[[Leo Strauss|Strauss]] situe l'amorce de cette crise à la pensée de [[Friedrich Nietzsche|Nietzsche]]<ref name=strauss/>.


=== Le regain via la libéralisation des moeurs ({{s-|XX}}) ===
=== Le regain via la libéralisation des mœurs ({{s-|XX}}) ===
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=== Progressisme et modernisme : un même paradigme ===
=== Progressisme et modernisme : un même paradigme ===
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=== Désenchantement du monde ou sacralisation de la technique ===
=== Désenchantement du monde ou sacralisation de la technique ===
{{Article détaillé|Désenchantement du monde|Technocritique}}
{{Article détaillé|Désenchantement du monde|Technocritique}}
Le perfectionnement des techniques de guerre constitue une cause principale de l'étendue du désastre de la [[Première Guerre mondiale]] (plus de 40 millions de morts). à la même époque, le [[taylorisme]] et le [[fordisme]] se répandent de plus en plus dans les usines aux États-Unis. Le thème de la machine entre alors dans les préoccupations d'un certain nombre de philosophes et de sociologues mais aussi d'auteurs de fiction tels le Tchèque [[Karel Čapek]] qui, en 1920, dans son [[roman d'anticipation]] ''[[R. U. R.]]'', imagine un monde façonné par des machines [[androïdes]] qui, dénuées de toute sensibilité, finissent par anéantir l'humanité (le mot « [[robot]] » est à cette occasion utilisé pour la première fois).
Le perfectionnement des techniques de guerre constitue une cause principale de l'étendue du désastre de la [[Première Guerre mondiale]] (plus de 40 millions de morts). à la même époque, le [[taylorisme]] et le [[fordisme]] se répandent de plus en plus dans les usines aux États-Unis. Le thème de la machine entre alors dans les préoccupations d'un certain nombre de philosophes et de sociologues mais aussi d'auteurs de fiction tels le Tchèque [[Karel Čapek]] qui, en 1920, dans son [[roman d'anticipation]] ''[[R. U. R.]]'', imagine un monde façonné par des machines [[androïdes]] qui, dénuées de toute sensibilité, finissent par anéantir l'humanité (le mot « [[robot]] » est à cette occasion utilisé pour la première fois).


Différents questionnements émergent durant l'[[entre-deux-guerres]] : les humains ne sont-ils pas sur le point de ''[[Sacrifice|sacrifier]]'' leurs vies aux machines ? Consciemment ou pas, n'en viennent-ils pas à les valoriser à l'excès ? Si tel est le cas, la thèse weberienne du désenchantement du monde est-elle vraiment pertinente ? Et si ce n'est pas le cas, le désenchantement du monde ne s'accompagne t-il d'un "désenchantement de l'humanité" dans sa globalité, une déperdition de sens ?
Différents questionnements émergent durant l'[[entre-deux-guerres]] : les humains ne sont-ils pas sur le point de ''[[Sacrifice|sacrifier]]'' leurs vies aux machines ? Consciemment ou pas, n'en viennent-ils pas à les valoriser à l'excès ? Si tel est le cas, la thèse weberienne du désenchantement du monde est-elle vraiment pertinente ? Et si ce n'est pas le cas, le désenchantement du monde ne s'accompagne t-il d'un "désenchantement de l'humanité" dans sa globalité, une déperdition de sens ?


Recevant en 1927 le [[prix Nobel de littérature]], le philosophe [[Henri Bergson]] prononce ces mots : {{citation|on avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd'hui qu'il n’en est rien, et que les antagonismes, loin de disparaître, risqueront de s’aggraver s’il ne s’accomplit pas aussi un progrès spirituel, un effort plus grand vers la fraternité<ref>Propos cité par Caterina Zanzi, « La machine dans la philosophie de Bergson », in ''Annales bergsonniennes, VI'', PUF, 2014, page 292. [https://www.academia.edu/3531091/La_machine_dans_la_philosophie_de_Bergson Texte accessible en ligne]</ref>}}.
Recevant en 1927 le [[prix Nobel de littérature]], le philosophe [[Henri Bergson]] prononce ces mots : {{citation|on avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd'hui qu'il n’en est rien, et que les antagonismes, loin de disparaître, risqueront de s’aggraver s’il ne s’accomplit pas aussi un progrès spirituel, un effort plus grand vers la fraternité}}<ref>Propos cité par Caterina Zanzi, « La machine dans la philosophie de Bergson », in ''Annales bergsonniennes, VI'', PUF, 2014, {{p.|292}}. [https://www.academia.edu/3531091/La_machine_dans_la_philosophie_de_Bergson Texte accessible en ligne]</ref>.


De même, en 1930, dans ''La rançon du machinisme'', l'écrivaine italienne [[Gina Lombroso]] voit dans l’industrialisation « un symptôme de décadence intellectuelle et morale ». L'année suivante, le philosophe [[Oswald Spengler]] estime que {{citation|la mécanisation du monde est entrée dans une phase d'hyper tension périlleuse à l'extrême. [...] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l'empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine, faisant ou essayant de tout faire mécaniquement »<ref>[[Oswald Spengler]], ''L'homme et la technique'', 1931</ref>}}. Toujours en 1931, dans ''De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale'', [[Nicolas Berdiaev]] écrit : {{citation|si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. (...) La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine. Elle scinde, en quelque sorte, l’esprit de la chair organique et mécanise la vie matérielle. Elle modifie l’attitude de l’homme à l’égard du temps, modifie ce dernier lui-même qui subit alors une accélération précipitée. »<ref>Nicolas Berdiaev, ''De la destination de l'homme. Essai d’éthique paradoxale''. Édition originale : 1931. Dernière édition en français : L'Âge d'homme, 2010</ref>{{,}}<ref>[http://elkorg-projects.blogspot.fr/2006/05/nicolae-berdiaev-la-technique.html Elkorg projects]</ref>}}
De même, en 1930, dans ''La rançon du machinisme'', l'écrivaine italienne [[Gina Lombroso]] voit dans l’industrialisation {{citation|un symptôme de décadence intellectuelle et morale}}. L'année suivante, le philosophe [[Oswald Spengler]] estime que {{citation|la mécanisation du monde est entrée dans une phase d'hyper tension périlleuse à l'extrême. [] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l'empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine, faisant ou essayant de tout faire mécaniquement}}<ref>[[Oswald Spengler]], ''L'homme et la technique'', 1931</ref>. Toujours en 1931, dans ''De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale'', [[Nicolas Berdiaev]] écrit : {{citation|si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. () La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine. Elle scinde, en quelque sorte, l’esprit de la chair organique et mécanise la vie matérielle. Elle modifie l’attitude de l’homme à l’égard du temps, modifie ce dernier lui-même qui subit alors une accélération précipitée}}<ref>Nicolas Berdiaev, ''De la destination de l'homme. Essai d’éthique paradoxale''. Édition originale : 1931. Dernière édition en français : L'Âge d'homme, 2010</ref>{{,}}<ref>[http://elkorg-projects.blogspot.fr/2006/05/nicolae-berdiaev-la-technique.html Elkorg projects]</ref>.


Introduite dès la fin du {{s-|XIX}} (lire [[#La_«_crise_de_la_modernité_»_(fin_du_XIXe_siècle)|plus haut]]), l'idée de "crise de la modernité" se généralise au point que le terme "crise" se répand dans l'ensemble des sciences humaines. En 1935, deux ans après l'accession au pouvoir d'[[Hitler]] en Allemagne et quatre ans avant que n'éclate la [[Seconde Guerre mondiale]], [[Edmund Husserl]] rédige une série d'essais qui ne seront publiés qu'après sa mort, en 1954, sous le titre ''[[La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale]]'' et connus sous le diminutif ''Krisis''<ref>[[Edmund Husserl]], ''Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendantale Phaenomenologie'', La Haye, 1954. Trad. fr. ''[[La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale]]'', Gallimard, 1989. [https://www.les-philosophes.fr/penseurs/la-krisis/Page-2.html Résumé : Les Philosophes].</ref>. Dans ces textes, il formule l'idée que toute l'Europe de l'Ouest traverse une gigantesque crise morale et que celle-ci repose sur l’abandon progressif de l’idéal grec de la philosophie au profit d’une science étroitement objectiviste et matérialiste.
Introduite dès la fin du {{s-|XIX}} (lire [[#La_«_crise_de_la_modernité_»_(fin_du_XIXe_siècle)|plus haut]]), l'idée de « crise de la modernité » se généralise au point que le terme « crise » se répand dans l'ensemble des sciences humaines. En 1935, deux ans après l'accession au pouvoir d'[[Adolf Hitler|Hitler]] en Allemagne et quatre ans avant que n'éclate la [[Seconde Guerre mondiale]], [[Edmund Husserl]] rédige une série d'essais qui ne seront publiés qu'après sa mort, en 1954, sous le titre ''[[La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale]]'' et connus sous le diminutif ''Krisis''<ref>[[Edmund Husserl]], ''Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendantale Phaenomenologie'', La Haye, 1954. Trad. fr. ''[[La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale]]'', Gallimard, 1989. [https://www.les-philosophes.fr/penseurs/la-krisis/Page-2.html Résumé : Les Philosophes].</ref>. Dans ces textes, il formule l'idée que toute l'Europe de l'Ouest traverse une gigantesque crise morale et que celle-ci repose sur l’abandon progressif de l’idéal grec de la philosophie au profit d’une science étroitement objectiviste et matérialiste.


=== « Post-modernité » et « hypermodernité », avatars de la modernité ===
=== « Post-modernité » et « hypermodernité », avatars de la modernité ===
{{Article détaillé|Post-modernité|hypermodernité}}
{{Article détaillé|Post-modernité|hypermodernité}}
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=== La collapsologie, « fuite en avant » de la modernité ===
=== La collapsologie, « fuite en avant » de la modernité ===
{{Article détaillé|Collapsologie}}
{{Article détaillé|Collapsologie}}
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=== L'individualisme confinitaire ===
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== Voir aussi ==
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=== Bibliographie ===
=== Bibliographie ===
==== XVIe - XIXe siècles ====
==== {{sp-|XVI| - |XIX|s}} ====
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* [[Nicolas Machiavel]], ''[[Nicolas_Machiavel#Discours_sur_la_première_décade_de_Tite-Live|Discours sur la première décade de Tite-Live]]'' (1513-1520)
* [[Nicolas Machiavel]], ''[[Nicolas_Machiavel#Discours_sur_la_première_décade_de_Tite-Live|Discours sur la première décade de Tite-Live]]'' (1513-1520)
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==== XXe siècle ====
==== {{s-|XX}} ====
'''Avant 1960'''
'''Avant 1960'''
* [[Georg Simmel]], ''Philosophie de la modernité'' (compilation de textes datant du début du {{s-|XX}}), Payot, 1989
* [[Georg Simmel]], ''Philosophie de la modernité'' (compilation de textes datant du début du {{s-|XX}}), Payot, 1989
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* [[Hannah Arendt]], ''[[La Crise de la culture]]'' (éditions originales : 1961 et 1968), Gallimard, 1989
* [[Hannah Arendt]], ''[[La Crise de la culture]]'' (éditions originales : 1961 et 1968), Gallimard, 1989
* [[Henri Lefebvre]], ''Introduction à la modernité'', Editions de Minuit, 1962
* [[Henri Lefebvre]], ''Introduction à la modernité'', Editions de Minuit, 1962
* [[Georges Perec]], « Le Bonheur de la modernité », entretien avec [[Jean Duvignaud]], ''Le Nouvel Observateur'' n°57, 15-{{date-|21 décembre 1965}}
* [[Georges Perec]], « Le Bonheur de la modernité », entretien avec [[Jean Duvignaud]], ''Le Nouvel Observateur'' {{|57}}, 15-{{date-|21 décembre 1965}}
* [[Hans Blumenberg]], ''La Légitimité des temps modernes'' (édition originale : 1966), Gallimard, 1999 {{ISBN|978-2-07073-147-3}}
* [[Hans Blumenberg]], ''La Légitimité des temps modernes'' (édition originale : 1966), Gallimard, 1999 {{ISBN|978-2-07073-147-3}}
'''Années 1970'''
'''Années 1970'''
* [[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', Fayard, 1973 ; rééd. Les Mille et une nuit, 2003 {{ISBN|978-2-842-05782-4}}
* [[Jacques Ellul]], ''Les Nouveaux Possédés'', Fayard, 1973 ; rééd. Les Mille et une nuit, 2003 {{ISBN|978-2-842-05782-4}}
* [[Paul Valadier]], ''Essais sur la modernité. Nietzsche et Marx'', Paris, Cerf-Desclée, 1974 ([https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1976_num_7_3_1499_t1_0384_0000_5 commentaire])
* [[Paul Valadier]], ''Essais sur la modernité. Nietzsche et Marx'', Paris, Cerf-Desclée, 1974 ([https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1976_num_7_3_1499_t1_0384_0000_5 commentaire])
* Collectif, ''La Notion de moderne, modernité, modernisme'' (actes du colloque du {{date-|8 mars 1975}}), Université Paris-Sorbonne, 1975
* Collectif, ''La Notion de moderne, modernité, modernisme'' (actes du colloque du {{date-|8 mars 1975}}), Université Paris-Sorbonne, 1975
* [[Jean-François Lyotard]], ''[[La Condition postmoderne]]'', Les éditions de minuit, 1979
* [[Jean-François Lyotard]], ''[[La Condition postmoderne]]'', Les éditions de minuit, 1979
'''Années 1980'''
'''Années 1980'''
* [[Henri Lefebvre]], ''Critique de la vie quotidienne'', III. ''De la modernité au modernisme'', L'Arche, 1981
* [[Henri Lefebvre]], ''Critique de la vie quotidienne'', III. ''De la modernité au modernisme'', L'Arche, 1981
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* [[Yves Michaud (philosophe)|Yves Michaud]] (dir.), ''Moderne, modernité, modernisme'', Cahiers du MNAM, {{date-|juin 1987}}
* [[Yves Michaud (philosophe)|Yves Michaud]] (dir.), ''Moderne, modernité, modernisme'', Cahiers du MNAM, {{date-|juin 1987}}
* [[Yves Michaud (philosophe)|Yves Michaud]] (dir.), ''Après le modernisme'', Cahiers du MNAM, {{date-|décembre 1987}}
* [[Yves Michaud (philosophe)|Yves Michaud]] (dir.), ''Après le modernisme'', Cahiers du MNAM, {{date-|décembre 1987}}
* [[Henri Meschonnic]], ''Modernité modernité'', Verdier, 1988 ; réed. Gallimard, Folio-essais, 1994 {{ISBN|978-2-070-32778-2}}
* [[Henri Meschonnic]], ''Modernité modernité'', Verdier, 1988 ; réed. Gallimard, {{coll.|Folio essais}}, 1994 {{ISBN|978-2-070-32778-2}}
* [[Jean Chesneaux]], ''Modernité-monde'', La Découverte, 1989
* [[Jean Chesneaux]], ''Modernité-monde'', La Découverte, 1989
* [[Zygmunt Bauman]], ''Modernité et holocauste'' (édition originale : 1989), La Fabrique, 2002 ; rééd. Complexe, 2009.
* [[Zygmunt Bauman]], ''Modernité et holocauste'' (édition originale : 1989), La Fabrique, 2002 ; rééd. Complexe, 2009.
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* [[Zygmunt Bauman]], ''Modernity and Ambivalence'', Ithaca, New York, Cornell University Press, 1991 (non traduit)
* [[Zygmunt Bauman]], ''Modernity and Ambivalence'', Ithaca, New York, Cornell University Press, 1991 (non traduit)
* Alain Gauthier, ''La Trajectoire de la modernité'', PUF, 1992
* Alain Gauthier, ''La Trajectoire de la modernité'', PUF, 1992
* [[Maurice de Gandillac]], ''Genèses de la modernité : De la "Cité de Dieu" à la "Nouvelle Atlantide''", Éditions du cerf, 1992
* [[Maurice de Gandillac]], ''Genèses de la modernité : De la "Cité de Dieu" à la "Nouvelle Atlantide''", Éditions du cerf, 1992
* [[Alain Touraine]], ''Critique de la modernité'', Fayard, 1992 {{ISBN|2-213-03005-7}}
* [[Alain Touraine]], ''Critique de la modernité'', Fayard, 1992 {{ISBN|2-213-03005-7}}
* [[Charles Larmore]], ''Modernité et morale'', Presses Universitaires de France, 1993
* [[Charles Larmore]], ''Modernité et morale'', Presses Universitaires de France, 1993
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* Collectif, ''La Modernité en question'', Éditions du cerf, 1998
* Collectif, ''La Modernité en question'', Éditions du cerf, 1998
* [[Danilo Martuccelli]], ''Sociologies de la modernité : l'itinéraire du {{s-|XX}}'', Gallimard, 1999. [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_65_1_2190_t1_0106_0000_4 Recension (Persée)]
* [[Danilo Martuccelli]], ''Sociologies de la modernité : l'itinéraire du {{s-|XX}}'', Gallimard, 1999. [https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_65_1_2190_t1_0106_0000_4 Recension (Persée)]
* [[Alain Renaut]] (dir.), ''Histoire de la philosophie politique'', tome 2 : ''Naissances de la modernité'', Calmann-Lévy, 1999
* [[Alain Renaut]] (dir.), ''Histoire de la philosophie politique'', tome 2 : ''Naissances de la modernité'', Calmann-Lévy, 1999
* Etienne Ganty, ''Penser la modernité : Essai sur Heidegger Habermas et Eric Weil'', Presses universitaires de Namur et Multilingual, 2002
* Étienne Ganty, ''Penser la modernité : Essai sur Heidegger Habermas et Eric Weil'', Presses universitaires de Namur et Multilingual, 2002


==== XXIe siècle ====
==== {{s-|XXI}} ====
'''Années 2000'''
'''Années 2000'''
* Michel Raimond, ''Éloge et critique de la modernité. De la Première à la Deuxième Guerre mondiale'', Presses universitaires de France, 2000
* Michel Raimond, ''Éloge et critique de la modernité. De la Première à la Deuxième Guerre mondiale'', Presses universitaires de France, 2000
* Maurice Barbier, ''La Modernité politique'', PUF, coll. « Thémis », 2000
* Maurice Barbier, ''La Modernité politique'', PUF, coll. « Thémis », 2000
* [[Jean-Marc Piotte]], ''[[Les Neuf Clés de la modernité]]'', Québec Amérique, 2001. Réed. 2007
* [[Jean-Marc Piotte]], ''[[Les Neuf Clés de la modernité]]'', Québec Amérique, 2001. Réed. 2007
* [[Robert Kurz]], « Der Knall der Moderne », ''JungleWorld'', {{date-|9 janvier 2002}}<br>(trad. fr. [http://www.palim-psao.fr/2018/04/le-boom-de-la-modernite-les-armes-a-feu-comme-moteur-du-progres-technique-la-guerre-comme-moteur-de-l-expansion-retour-sur-les-origi La modernité à explosion], Palim-psao, 2018)
* [[Robert Kurz]], « Der Knall der Moderne », ''JungleWorld'', {{date-|9 janvier 2002}}<br>(trad. fr. [http://www.palim-psao.fr/2018/04/le-boom-de-la-modernite-les-armes-a-feu-comme-moteur-du-progres-technique-la-guerre-comme-moteur-de-l-expansion-retour-sur-les-origi La modernité à explosion], Palim-psao, 2018)
* [[Henri Meschonnic]] et Hasumi Shigehiko, ''La modernité après le post moderne'', Maisonneuve et Larose, 2002
* [[Henri Meschonnic]] et Hasumi Shigehiko, ''La modernité après le post moderne'', Maisonneuve et Larose, 2002
* Collectif, ''Modernités. Culture et pensée jungienne'', La Vouivre n°12, Georg, 2002
* Collectif, ''Modernités. Culture et pensée jungienne'', La Vouivre {{|12}}, Georg, 2002
* [[David Harvey]], ''Paris, Capital of Modernity'', New York/Londres, Routledge, 2003.<br>Trad. fr. ''Paris, capitale de la modernité'', Paris, Les Prairies ordinaires, 2012. Recension : [https://journals.openedition.org/critiquedart/5592 ''Critique d'Art'', 2012]
* [[David Harvey]], ''Paris, Capital of Modernity'', New York/Londres, Routledge, 2003.<br>Trad. fr. ''Paris, capitale de la modernité'', Paris, Les Prairies ordinaires, 2012. Recension : [https://journals.openedition.org/critiquedart/5592 ''Critique d'Art'', 2012]
* Yves Bonny, ''Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ?'', Armand Colin, coll. « U sociologie », 2004
* Yves Bonny, ''Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ?'', Armand Colin, coll. « U sociologie », 2004
* [[Gilles Lipovetsky]] (avec Sébastien Charles), ''Les Temps hypermodernes'', Grasset, 2004
* [[Gilles Lipovetsky]] (avec Sébastien Charles), ''Les Temps hypermodernes'', Grasset, 2004
* Levent Yilmaz, ''Le Temps moderne. Variations sur les Anciens et les contemporains'', Gallimard, coll. « Nrf/Essais », 2004
* Levent Yilmaz, ''Le Temps moderne. Variations sur les Anciens et les contemporains'', Gallimard, coll. « Nrf/Essais », 2004
* Nicole Aubert (dir.), ''L’Individu hypermoderne'', Érès, 2005
* Nicole Aubert (dir.), ''L’Individu hypermoderne'', Érès, 2005
* [[Émile Perreau-Saussine|Emile Perreau-Saussine]], ''Les libéraux face aux révolutions : 1688, 1789, 1917, 1933'', Commentaire, printemps 2005, {{p.|181-193}}. {{pdf}} [http://www.polis.cam.ac.uk/contacts/staff/eperreausaussine/libAraux_et_rAvolutions.pdf Lire en ligne]
* [[Émile Perreau-Saussine|Emile Perreau-Saussine]], ''Les libéraux face aux révolutions : 1688, 1789, 1917, 1933'', Commentaire, printemps 2005, {{p.|181-193}}. {{pdf}} [http://www.polis.cam.ac.uk/contacts/staff/eperreausaussine/libAraux_et_rAvolutions.pdf Lire en ligne]
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* [[Pierre Manent]], ''Les Métamorphoses de la Cité'', Flammarion, 2010
* [[Pierre Manent]], ''Les Métamorphoses de la Cité'', Flammarion, 2010
* Emile Kenmogne (dir.), ''Le Développement et la question de la modernité'', L'Harmattan, 2010
* Emile Kenmogne (dir.), ''Le Développement et la question de la modernité'', L'Harmattan, 2010
* [[Christophe Charle]], ''Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité,'' Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2011.<br>Recensions : [https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/11/17/discordance-des-temps-une-breve-histoire-de-la-modernite-de-christophe-charle_1604913_3260.html ''Le Monde''] ; [https://journals.openedition.org/rh19/4578 ''Revue d’histoire du {{s-|XIX}}''] ; [https://laviedesidees.fr/Les-temps-desaccordes-de-la.html ''La vie des idées'']
* [[Christophe Charle]], ''Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité'', Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2011.<br>Recensions : [https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/11/17/discordance-des-temps-une-breve-histoire-de-la-modernite-de-christophe-charle_1604913_3260.html ''Le Monde''] ; [https://journals.openedition.org/rh19/4578 ''Revue d’histoire du {{s-|XIX}}''] ; [https://laviedesidees.fr/Les-temps-desaccordes-de-la.html ''La vie des idées'']
* Bernard Dumont, Gilles Dumont, Christophe Réveillard, ''La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété'', Artège, coll. « Philosophie politique », 2012 {{ISBN|978-2-36040-072-0}}
* Bernard Dumont, Gilles Dumont, Christophe Réveillard, ''La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété'', Artège, coll. « Philosophie politique », 2012 {{ISBN|978-2-36040-072-0}}
* Pierre-Antoine Chardel, ''Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité'', Cnrs, 2013
* Pierre-Antoine Chardel, ''Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité'', Cnrs, 2013
* [[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité : comment l'humanité pense son avenir'', Robert Laffont, 2013. Réed. Champs/Essais, 2015
* [[René Girard]] et [[Gianni Vattimo]], ''Christianisme et modernité'' (livre d'entretiens), Flammarion, coll. « Champs Essais », 2014
* [[René Girard]] et [[Gianni Vattimo]], ''Christianisme et modernité'' (livre d'entretiens), Flammarion, coll. « Champs Essais », 2014
* Élodie Cassan (dir.), ''Descartes et Bacon, Genèses de la modernité philosophique'', ENS éditions, Paris 2014
* Élodie Cassan (dir.), ''Descartes et Bacon, Genèses de la modernité philosophique'', ENS éditions, Paris 2014
* [[Jacques Attali]], ''Histoire de la modernité : comment l'humanité pense son avenir'', Robert Laffont, 2013. Réed. Champs/Essais, 2015
* [[Rémi Brague]], ''Le règne de l'homme, genèse et échec du projet moderne'', Gallimard, collection « L'esprit de la cité », 2015, 416 p.
* Louis Côte, ''L'inscription des sociétés non occidentales dans la modernité'', Presses de l'Université du Québec, 2015
* Louis Côte, ''L'inscription des sociétés non occidentales dans la modernité'', Presses de l'Université du Québec, 2015
* Emmanuel Fureix et François Jarrige ''La modernité désenchantée'', La Découverte, 2015 {{ISBN|978-2-70717-157-3}}
* Emmanuel Fureix et François Jarrige ''La modernité désenchantée'', La Découverte, 2015 {{ISBN|978-2-70717-157-3}}
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* Christophe Longbois-Canil, ''De moderne à modernité'', Klincksieck, 2015
* Christophe Longbois-Canil, ''De moderne à modernité'', Klincksieck, 2015
* [[Jack Goody]], ''Capitalisme et modernité : Le grand débat'', Les Presses de Calisto, 2016
* [[Jack Goody]], ''Capitalisme et modernité : Le grand débat'', Les Presses de Calisto, 2016
* [[Carole Talon-Hugon]], ''La Modernité'', PUF, 2016
* [[Carole Talon-Hugon]], ''La Modernité'', PUF, 2016
* Collectif, ''Modernité ?'', Krisis {{n°|44}}, 2016 {{ISSN|0994-2440}}
* Collectif, ''Modernité ?'', Krisis {{n°|44}}, 2016 {{ISSN|0994-2440}}
* [[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident'', Les Belles Lettres, 2016
* [[Jean-Marc Narbonne]], ''Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident'', Les Belles Lettres, 2016
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=== Articles ===
=== Articles ===
* [[Jürgen Habermas]], « La modernité : un projet inachevé », ''Critique'', n° 413 (Vingt ans de pensée allemande), Éditions de Minuit, {{date-|octobre 1981}}
* [[Jürgen Habermas]], « La modernité : un projet inachevé », ''Critique'', {{|413}} (Vingt ans de pensée allemande), Éditions de Minuit, {{date-|octobre 1981}}
* [[Richard Rorty]], « Habermas, Lyotard et la postmodernité », ''Critique'', n° 442, Éditions de Minuit, p. 195-197, {{date-|mars 1984}}
* [[Richard Rorty]], « Habermas, Lyotard et la postmodernité », ''Critique'', {{|442}}, Éditions de Minuit, {{p.|195-197}}, {{date-|mars 1984}}
* [[Jean Baudrillard]], « Modernité », ''Encyclopedia Universalis'', 1985
* [[Jean Baudrillard]], « Modernité », ''Encyclopedia Universalis'', 1985
* Yves-Jean Harder, « Le sujet de la modernité », in René Heyer (dir.), ''L'ancien et le nouveau'', Presses universitaires de Strasbourg, 1996
* Yves-Jean Harder, « Le sujet de la modernité », in René Heyer (dir.), ''L'ancien et le nouveau'', Presses universitaires de Strasbourg, 1996
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* [[Georges Balandier]], « Tradition et modernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), ''Le dictionnaire des sciences humaines'', PUF, 2007
* [[Georges Balandier]], « Tradition et modernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), ''Le dictionnaire des sciences humaines'', PUF, 2007
* [[Stéphane Haber]], « Modernité, postmodernité et surmodernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), ''Le dictionnaire des sciences humaines'', PUF, 2007
* [[Stéphane Haber]], « Modernité, postmodernité et surmodernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), ''Le dictionnaire des sciences humaines'', PUF, 2007
* Joël Decarsin, « Entre modernité fluide et modernité rigide » in ''Étudier en liberté les mondes méditerranéens'', Leyla Dakhli et Vincent Lemire (dir.), Publications de la Sorbonne, 2016, pp. 461-473
* Joël Decarsin, « Entre modernité fluide et modernité rigide » in ''Étudier en liberté les mondes méditerranéens'', Leyla Dakhli et Vincent Lemire (dir.), Publications de la Sorbonne, 2016, {{p.|461-473}}


=== Colloques et séminaires ===
=== Colloques et séminaires ===
* L'individu hypermoderne, École supérieure de commerce de Paris et Laboratoire de changement social de l'université Paris-VII, 8-{{date-|11 septembre 2003}}
* L'individu hypermoderne, École supérieure de commerce de Paris et Laboratoire de changement social de l'université Paris-VII, 8-{{date-|11 septembre 2003}}
* Modernité et sécularisation (colloque organisé par [[Myriam Revault d'Allonnes]] et [[Michaël Fœssel]]), Université Paris-I-Sorbonne, 8-{{date-|9 octobre 2004}}. [https://www.scienceshumaines.com/la-modernite-fille-de-la-theologie_fr_4493.html Compte rendu].
* Modernité et sécularisation (colloque organisé par [[Myriam Revault d'Allonnes]] et [[Michaël Fœssel]]), Université Paris-I-Sorbonne, 8-{{date-|9 octobre 2004}}. [https://www.scienceshumaines.com/la-modernite-fille-de-la-theologie_fr_4493.html Compte rendu].
* [http://lechoixdeslibraires.com/livre-24077-habiter-la-modernite-actes-du-colloque-vivre-au-3e-millenaire-dans-un-immeuble-emblematique-de-la-modernite.htm Vivre au 3e millénaire dans un immeuble emblématique de la modernité] (également sur le concept de modernité en architecture), Université de Saint-Etienne, 2006
* [http://lechoixdeslibraires.com/livre-24077-habiter-la-modernite-actes-du-colloque-vivre-au-3e-millenaire-dans-un-immeuble-emblematique-de-la-modernite.htm Vivre au {{3e}} millénaire dans un immeuble emblématique de la modernité] (également sur le concept de modernité en architecture), Université de Saint-Étienne, 2006
* [https://calenda.org/194326 Penser la modernité politique], Séminaire Cerphi-Sophiapo, février-{{date-|mai 2008}}
* [https://calenda.org/194326 Penser la modernité politique], Séminaire Cerphi-Sophiapo, février-{{date-|mai 2008}}
* [http://www.ens-lyon.fr/evenement/recherche/moderne-modernisme-quest-ce-que-la-modernite-en-art Moderne / modernisme. Qu'est ce que la modernité en art ?] École Nationale Supérieure de Lyon, 25-{{date-|26 septembre 2019}}
* [http://www.ens-lyon.fr/evenement/recherche/moderne-modernisme-quest-ce-que-la-modernite-en-art Moderne / modernisme. Qu'est ce que la modernité en art ?] École Nationale Supérieure de Lyon, 25-{{date-|26 septembre 2019}}
* [http://ihrim.ens-lyon.fr/evenement/les-fondements-d-une-autre-modernite-les-philosophies-alternatives-du-xviie-s Les fondements d’une autre modernité. Les philosophies alternatives du {{s-|XVII}}], École nationale smupérieure de Lyon, 17-{{date-|18 mai 2019}}
* [http://ihrim.ens-lyon.fr/evenement/les-fondements-d-une-autre-modernite-les-philosophies-alternatives-du-xviie-s Les fondements d’une autre modernité. Les philosophies alternatives du {{s-|XVII}}], École nationale smupérieure de Lyon, 17-{{date-|18 mai 2019}}
* [http://www.rouen.archi.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=648%3Acolloque-conjuguer-la-modernite&catid=61%3Aactualites-scientifique&Itemid=161&lang=en Conjuguer la modernité] (sur le concept de modernité en architecture), ENSA Normandie, 21-{{date-|22 mars 2019}}
* [http://www.rouen.archi.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=648%3Acolloque-conjuguer-la-modernite&catid=61%3Aactualites-scientifique&Itemid=161&lang=en Conjuguer la modernité] (sur le concept de modernité en architecture), ENSA Normandie, 21-{{date-|22 mars 2019}}
* [https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/lobservatoire-de-la-modernite L'Observatoire de la modernité / "Qu’est-ce que le peuple ?"], ''Collège des Bernardins'', série de sept conférences, du {{date-|7 octobre 2019}} au {{date-|18 mai 2020}}
* [https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/lobservatoire-de-la-modernite L'Observatoire de la modernité / "Qu’est-ce que le peuple ?"], ''Collège des Bernardins'', série de sept conférences, du {{date-|7 octobre 2019}} au {{date-|18 mai 2020}}
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* {{Autorité}}
* {{Dictionnaires}}
* [https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1958_num_6_1_958 Culture et Modernité], Georges Bastide, ''Littératures'', 1958, n°6, p. 7-20
* {{Bases}}
* [https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1984_num_73_1_2167 Modernité et révolution], [[Perry Anderson]], ''L'Homme et la société'', 1984, n°73-74, p. 117-138
* [https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1986_num_61_1_2388 Rationalisation, modernité et avenir de la religion chez Max Weber], [[Jean Séguy (sociologue)|Jean Séguy]], ''Archives de Sciences Sociales des Religions'', 1986 61-1 p. 127-138
* [https://www.erudit.org/fr/revues/vi/1986-v11-n3-vi1387/200584ar.pdf L’idéologie de la modernité ou le fantasme du nouveau], Michel Coutu, ''Université de Québec'', Montréal, 1986
* [https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1988_num_90_4_2369 Le temps de la modernité], [[Jean Chesneaux]], ''L'Homme et la société'', 1988, n°90, p. 92-104
* [https://www.cairn.info/modernite-monde--9782707118769-page-86.htm La modernité comme culture et idéologie], Jean Chesneaux, ''Modernité-monde'', 1989, p. 86-102
* [https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1990_num_95_1_2882 À propos de « Modernité publique »], Frederik Mispelblom et Richard Roche, ''Raison présente'', 1990, n°95, p. 83-99
* [https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1991_num_89_81_6673 Modernité et postmodernité: un enjeu politique ?] André Berten, ''Revue Philosophique de Louvain'' n°81, 1991, p. 84-112
* [https://www.cairn.info/vers-une-anthropologie-generale--9782600041294-page-77.htm La modernité : vérité universelle ?] Gérald Berthoud, ''Vers une anthropologie générale'', 1992, p. 77-89
* [https://www.cairn.info/revue-etudes-1992-11-page-503.htm Les « Thèses de Walter Benjamin. Une critique moderne de la modernité], [[Michael Löwy]], ''Études'', 1992/11 (tome 377), p. 503-514
* [https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1992_num_9_1_1134 Trois idéologies ou une seule ? La problématique de la modernité], [[Immanuel Wallerstein]], Genèses. Sciences sociales et histoire, 1992/9 p. 7-24
* [https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1996_num_38_1_2246 La modernité en question], Yves Bonny, ''Sociologie du travail'' 38-1, 1996, p. 101-108
* [https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1996_num_27_2_2821 Théologie et modernité], [[Jean Ladrière]], ''Revue Théologique de Louvain'', 1996, n°27-2, p. 174-199
* [https://www.jstor.org/stable/40370192?seq=1 Sociologie religieuse et modernité politique chez Max Weber], Jean Martin Ouédraogo, ''Revue européenne des sciences sociales'', tome 34, n° 106, 1996, p. 25-49
* [http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article224 "Modernité" et "modernisation" (définitions)], [[Dominique Wolton]], ''CNRS'', 1997
* [https://www.cairn.info/le-cadre-d-une-nouvelle-ethique--9782865866472-page-11.htm La modernité, chaotique et inévitable], Alain B. L. Gérard, ''Le cadre d’une nouvelle éthique'', 1998, p. 11-44
* [https://journals.openedition.org/leportique/344 Des lieux communs de la modernité], Jean-Paul Resweber, ''Le Portique'', 1998
* [https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1998_num_38_145_370420 La modernité maintenant], René Ménil, ''Homme'', 1998, n°145, p. 137-142
* [https://www.humanite.fr/node/190329 Max Weber et la modernité] (recension du livre "Max Weber ou la démocratie inachevée", de [[Jean-Marie Vincent (philosophe)|Jean-Marie Vincent]]), ''L'Humanité'', {{date-|2 septembre}}, 1998
* [https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1998_num_30_1_2237 Crise des Lumières, crise de la modernité ?] David J. Denby, ''Dix-Huitième Siècle'', 1998, n°30, p. 257-270

'''{{s-|XXI}}'''
* [https://www.cairn.info/revue-le-debat-2001-3-page-177.htm Modernité. Un poncif de notre temps], Christian Wasselin, ''Le Débat'', 2001/3 (n° 115), p. 177-181
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* [http://www.cvm.qc.ca/encephi/CONTENU/ARTICLES/modernité.htm La modernité philosophique et le projet moderne], Martin Godon, ''Cégep du Vieux Montréal'', 2003
* [https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2003-4-page-196.htm La modernité faite mythe], Margaret Manale, ''Les Temps modernes'' 2003/4 (n° 625), p. 196-215
* [https://www.cairn.info/la-violence-politique--9782749201184-page-47.htm La fin de la modernité ?], [[Patrick Schmoll]], ''La violence politique'', 2003, p. 47-53
* [https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2004-2-page-189.htm La modernité multiple comme défi à la sociologie], [[Shmuel Eisenstadt]], Revue du MAUSS, 2004/2, n° 24, p. 189-204
* [https://www.scienceshumaines.com/la-modernite-fille-de-la-theologie_fr_4493.html La modernité, fille de la théologie ?] Catherine Halpern, ''Sciences humaines'', {{date-|décembre 2004}}
* [https://journals.openedition.org/lhomme/24826 La face obscure de la modernité], Jackie Assayag, ''L'homme, Revue française d’anthropologie'', 2004
* [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2.htm Revue ''Le Philosophoire'', 2005/2, n° 25]
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-35.htm?contenu=resume Le processus historique de la Modernité], Vincent Citot, p. 35-76
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-77.htm La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ?] Frédéric Guillaud, p. 77-88
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-89.htm?contenu=sujetproche Le « public » contre le « peuple » : une structure de la modernité], Christian Ruby, p. 89-104
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-135.htm Les grammaires de la modernité], Nicolas Duvoux, p. 135-152
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-167.htm Les trois vagues de la modernité], [[Léo Strauss]] (traduit de l'anglais par Michael Nafi), p. 167-180
** [https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-2-page-153.htm La modernité et son devenir contemporain. Notices bibliographiques sur quelques parutions récentes], Vincent Citot, p. 153-162
* [https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/03-05-2006_balibar.pdf Première modernité, seconde modernité : de Rousseau à Hegel], [[Étienne Balibar]], Université de Paris X Nanterre, 2006
* [https://www.cairn.info/revue-poesie-2006-1-page-34.htm Heidegger, penseur de la modernité, de la technique et de l’éthique], [[Françoise Dastur]], Poésie, 2006/1, n°115, p.34-41
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* [https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2012-4-page-629.htm La modernité n'est plus ce qu'elle était], Jean-François Simon et Laurent Le Gall, ''Ethnologie française'', 2012/4 (vol. 42), p. 629-634
* [https://www.cairn.info/revue-connexions-2012-1-page-15.htm Modernité, postmodernité, hypermodernité], Claude Tapia, ''Connexions'', 2012/1, n° 97, p. 15-25
* [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2013-4-page-553.htm L'avènement de la modernité], Florence Hulak, ''Archives de Philosophie'', 2013/4 (tome 76), p. 553-569
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* [https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2013-4-page-547.htm Sociologie, philosophie : la modernité en question], [[Bruno Karsenti]], ''Archives de philosophie'', 2013/4, tome 76, p. 547-551
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* [https://philitt.fr/2014/11/12/rene-guenon-le-monde-moderne-et-le-choc-des-civilisations/ René Guénon : le monde moderne et le choc des civilisations], Hyppolithe Doyen, ''PhiLitt'', {{date-|12 novembre 2014}}
* [https://www.larevuedesressources.org/la-postmodernite-selon-milan-kundera-et-witold-gombrowicz,327.html La postmodernité selon Milan Kundera et Witold Gombrowicz], Annelliese Salin, ''La Revue des ressources'', 2014
* [https://www.cairn.info/revue-societes-2015-1-page-41.htm La modernité dans le rétroviseur], [[Patrick Tacussel]], ''Sociétés'', 2015/1 (n° 127), p. 41-48
* Makram Abbès, [https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2015-2-page-160.htm Islam et modernité : le faux débat], ''Les Temps Modernes'', 2015/2, n° 683, p. 160-177
* [[Paul Claval]], [https://www.cairn.info/l-aventure-occidentale--9782361063863-page-71.htm La dynamique de la modernité à l’épreuve de la mondialisation], ''L'aventure occidentale'', 2016, p. 71-85
* [http://www.lemondedesreligions.fr/une/marcel-gauchet-la-modernite-occidentale-est-incapable-de-penser-ce-qui-n-est-pas-elle-27-09-2017-6678_115.php La modernité occidentale est incapable de penser ce qui n’est pas elle] (propos de [[Marcel Gauchet]] recueillis par [[Martin Brésis]]), ''Le Monde des religions'', {{date-|27 septembre 2017}}
* [https://philitt.fr/2017/11/29/la-modernite-tragique-de-michel-foucault/#_ftn4 La modernité tragique de Michel Foucault], Robin Touillon, ''PhiLitt'', {{date-|29 novembre 2017}}
* [https://www.cairn.info/revue-politix-2018-3-page-7.htm Comment rouvrir la question de la modernité ?] Pablo Blitstein et Cyril Lemieux, ''Politix'', 2018/3, n° 123, p. 7-3
* [https://laviedesidees.fr/L-ideologie-de-la-modernite.html L’idéologie de la modernité] (commentaire d'un livre de [[Marcel Gauchet]]), Stéphane Habert, ''La Vie des idées'', {{date-|28 février 2018}}
* [https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-modernite-une-notion-qui-fait-debat La modernité, une notion qui fait débat], Léa Galanopoulo, ''[[CNRS]]'', {{date-|20 novembre 2018}}
* [https://www.cairn.info/revue-cites-2019-2-page-89.html Habermas et Derrida : modernité, justice et religion], [[Peter Dews]], (traduit par Jean-Marc Durand-Gasselin), ''Cités'', 2019/2, n° 78, p. 89-101


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Dernière version du 28 avril 2024 à 18:20

Formulé pour la première fois au début du XIXe siècle, le concept de modernité trouve l'une de ses premières origines dans la référence à la philosophie antique durant la Renaissance, et singulièrement dans les premières années du XVIe siècle, en même temps que l'humanisme.
L'École d'Athènes, fresque réalisée au Vatican par Raphaël entre 1508 et 1512.

La modernité est un concept désignant l’idée d'agir en conformité avec son temps et non plus en fonction de valeurs, considérées de facto comme « dépassées ». Les philosophes, anthropologues et sociologues traitent principalement de ce concept[1] mais aussi les historiens, quand ils qualifient de « moderne » une des époques qu'ils étudient. Si bien que l'adjectif « moderne » est entré dans le langage usuel.

Très liée aux idées d'émancipation, de croissance, d'évolution, de progrès et d'innovation, le concept de modernité constitue l’opposé non seulement des idées d'immobilisme et de stagnation mais des idées d'attachement au passé (tradition, conservatisme…) : « être moderne », c'est d'abord « être tourné vers l'avenir ». En cela, le concept de modernité constitue ce que le sociologue Max Weber appelle un idéal-type, voire la base d'une idéologie[2].

En France, le mot n'émerge qu'au début du XIXe siècle mais certains philosophes — notamment Leo Strauss — font remonter le concept au début du XVIe siècle autour de la figure de Machiavel, pour exprimer l’idée que les humains conçoivent la politique en fonction de critères rationnels (économiques, démographiques…) et non plus, comme par le passé, en fonction de considérations religieuses ou théologiques. D'autres intellectuels, plus rares, font remonter les origines du concept de modernité à l'Antiquité grecque[3]. Le thème de la modernité, comme celui du progrès, constitue l'un des principaux fondements de la pensée dite "humaniste".

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, ce concept est de plus en plus fréquemment remis en cause par les intellectuels, considéré comme arbitraire, car indexé à l'idéologie du progrès. Mais le débat reste confus, les tenants d'une « post-modernité » s'opposant notamment à ceux d'une « non-modernité ». Au début du XXIe siècle, les avis demeurent partagés mais tous évoquent l'idée d'une « crise de la modernité »[4] : le philosophe Marc Halévy, conclut à « l'échec de la modernité »[5], le sociologue Olivier Bobineau estime que « nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la modernité »[6] et son confrère allemand Hartmut Rosa parle d'une « fuite en avant de la modernité »[7].

Autre sujet de débat : alors que la question de la modernité est le plus souvent circonscrite à l'Occident, certains intellectuels estiment que l'on peut considérer que l'Extrême-Orient a été "plus moderne" que l'Occident ou "plus tôt". Les publications se multiplient également quant au rapport de l'islam à la modernité.

Le thème de la modernité traverse plusieurs siècles et il est abordé dans de nombreux domaines (philosophie, sociologie, histoire ; mais aussi art, science, technique…). De nombreux livres et de nombreux articles lui sont consacrés. De surcroît, il ne cesse d'être ponctué de controverses, voire de polémiques. Différents penseurs recommandent d'éviter de l'hypostasier et d'engager en revanche une approche à la fois diachronique et transversale : réexaminer son sens en fonction des contextes tout en croisant les approches (philosophie, sociologie, histoire, histoire de l'art…). En France, une des analyses les plus significatives de cette approche transversale est celle du philosophe Jacques Bidet. Il voit dans la modernité, une « métastructure », une « matrice abstraite », au sens d'un présupposé à la fois économique, juridique, politique et idéologique, dont le point de départ serait le marché ; celui-ci étant considéré sous toutes ses formes : au sein du capitalisme mais aussi — et tout autant — au sein du « capitalisme d'État » qu'est le communisme[8],[9].

Origines[modifier | modifier le code]

Le mot[modifier | modifier le code]

Le mot "modernité" vient de l'adjectif "moderne", lui-même issu du latin tardif modernus — qui signifie "récent" ou "actuel" — et de l'adverbe modo - qui signifie "à l'instant" ou "il y a peu"[10],[11]. Selon Jürgen Habermas, ce serait à la fin du Ve siècle que le terme « moderne » aurait été utilisé pour la première fois[12].

L’adjectif modernus commence à être employé systématiquement à la fin du XIVe siècle, pour désigner à la fois une nouvelle forme de dévotion et une nouvelle manière de philosopher : la devotio moderna et la via moderna[13]. D'après l'Oxford Encyclopedia Dictionnary, le terme modernity entre dans la langue anglaise en 1627 pour signifier "temps présent". Et en 1782, l'écrivain anglais Horace Walpole l'emploie dans sa Lettre sur la poésie de Thomas Chatterton.

En France, "modernité" apparait pour la première fois en 1822 dans un article de critique littéraire de Balzac[14],[15], dans lequel celui-ci entend indiquer "ce qui est moderne en littérature"[11]. Baudelaire l'emploie en 1859 dans sa critique du peintre Constantin Guys, intitulée Le Peintre de la vie moderne, qui sera publiée dans Le Figaro en 1863. En Allemagne, le mot "modernité" apparaît en 1886 quand Eugen Wolff prononce une conférence sur la littérature où il affirme : « Notre idéal suprême en art n’est plus le modèle antique mais le modèle moderne ». Et en 1889, on retrouve "modernisme" avec le sens de "goût prononcé pour les idées rompant avec la tradition et la recherche de tout ce qui est moderne"[16].

Le concept[modifier | modifier le code]

Si le mot "modernité" n'émerge qu'au XIXe siècle, le concept qu'il recouvre est plus ancien.

Selon l'historien Pierre Chaunu, il remonte au début du XIVe siècle à travers deux expressions nouvelles — la devotio moderna et la via moderna — et renvoie à un nouveau type de relation de l'homme avec le temps, consécutivement à l'apparition des premières horloges mécaniques à la fin du siècle précédent : cette relation n'est plus exclusivement qualitative, elle est aussi quantitative et elle va le devenir de plus en plus : « à la question : qu'est-ce-que l'homme moderne ?, j'irai jusqu'à répondre en forme de boutade : c'est celui qui vit en regardant sa montre »[17].

L'usage de l'adjectif "moderne", tel qu'on l'entend habituellement aujourd'hui — "novateur" ou "innovant" —, remonte au milieu du XVIe siècle. Ainsi par exemple quand le tout premier historien de l'art, Giorgio Vasari, qualifie de maniera moderna la manière de peindre de Léonard de Vinci[18]. On doit également à Vasari, un peu plus tard (en 1568) le terme « Rinascita » (Renaissance), pour décrire l'ensemble de la rupture stylistique qui s'opère à l'époque sous ses yeux dans le domaine artistique.

Ce n'est toutefois qu'à la fin du XIXe siècle que la sociologie, science alors naissante, s'empare véritablement du concept pour en faire un objet de recherche à part entière. On mentionne alors généralement les écrits d'Émile Durkheim, Georg Simmel et Max Weber[19].

La principale idée véhiculée et promue par le concept de modernité est l'idée d'autodétermination :

« le principe essentiel de la modernité est la liberté (ou plutôt) la faculté de s’autodéterminer. Il ne s’agit pas seulement du libre-arbitre, qui est la faculté de faire un choix libre (qui n’a rien de spécifiquement moderne), mais de la possibilité de définir par soi-même les normes de son existence. (…). La modernité va plus loin que la philosophie grecque, qui constitue la première rupture organisée avec l’idée de tradition : car si Socrate mettait en suspens la tradition, les coutumes et les mœurs établies, c’était pour scruter les véritables fins objectives de l’homme, la véritable norme éternelle, incréée : la nature. (…) (Or) la modernité n’accepte pas l’idée de nature humaine ; car pour elle, c’est l’homme qui invente sa propre nature au cours de l’histoire[13]. »

En 1983, l'historien Jean Chesneaux estime que « la modernité à laquelle se réfèrent (aujourd'hui) docilement économistes et urbanistes, dirigeants agricoles et gestionnaires socio-culturels, celle dont nous avons l'expérience et dans laquelle nous nous débattons, n'a plus grand chose à voir avec la modernité comme référence culturelle, celle qui fascinait Baudelaire, celle dont se réclamèrent Rimbaud, Mirbeau, Cocteau et tant d'autres, celle que Benjamin saluait sous les traits de l'Angelus Novus de Paul Klee »[20]. Commentant ce propos, le théoricien du langage, Henri Meschonnic s'en démarque vigoureusement et met en garde contre la tentation de « diviser la modernité, ce qui arrive quand on prend pour une évidence que l’urbanisme et l’économie, dans leurs conséquences quotidiennes, n’ont rien à voir » avec ce que célébraient les artistes et les intellectuels du XIXe siècle. Considérer ainsi la modernité, c’est se retrancher dans « des discours de spécialistes » et perdre ainsi de vue la globalité de tout un processus[21].

La pertinence[modifier | modifier le code]

Régulièrement, des intellectuels de disciplines différentes contestent la pertinence du terme « modernité » car ils objectent que, pris au sens littéral, il ne veut pas dire grand chose. Citons deux exemples.

En 1928, le psychiatre suisse Carl Gustav Jung affirme que la question essentielle n'est pas le concept de modernité mais la psychologie des humains quand ils se prétendent "modernes" :

« Des hommes modernes (en définitive), il n'en est pas beaucoup car leur existence exige la plus haute conscience de soi, une conscience intensive et extensive l'extrême, avec un minimum d'inconscience. (…) Ce n'est pas l'homme vivant actuellement qui est moderne, car alors tout ce qui vit aujourd'hui le serait ; c'est seulement celui qui a la plus profonde conscience du présent. (…) L'homme véritablement moderne se trouve souvent parmi ceux qui se donnent pour des gens vieillots[22]. »

En 1974, l'historien de la littérature Hans Robert Jauss écrit :

« La prétention qu'implique le concept de modernité selon laquelle le temps présent ou bien notre époque aurait le privilège de la nouveauté et pourrait donc s'affirmer en progrès par rapport au passé est totalement illusoire. En effet, presque tout au long de l'histoire de la culture grecque et romaine, d'Homère à Tacite, on voit le débat entre les "modernes", les tenants de cette prétention, et les zélateurs des "anciens", se ranimer à tout moment, pour être chaque fois dépassé de nouveau en dernière instance par la simple marche de l'histoire. Les "modernes" devenant eux-mêmes avec le temps des "anciens" et de nouveaux venus reprenant alors le rôle des "modernes", on constate que cette évolution se reproduit avec la régularité d'un cycle naturel[23]. »

Comme l'écrivait déjà La Bruyère à la fin du XVIIe siècle, « nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles »[24]. Alors, pourquoi toute cette littérature sur "la modernité" ? Et pourquoi, à la fin du XXe siècle, de nouveaux vocables se multiplient-ils, comme autant de surenchères (« postmodernité », « hypermodernité », etc.) ?

Le mot « modernité » n'est plus qu'un poncif[25] et « son usage de plus en plus intempérant — non seulement en histoire, en esthétique, en critique littéraire mais aussi en économie, en politique ou en publicité — aboutit à une véritable cacophonie, mêlant les acceptions les plus contradictoires »[26]. Pour autant, on va le voir, le thème continue d'absorber les réflexions des intellectuels comme « une crise d'adolescence de l'humanité qui s'éternise »[27].

Quelques définitions liminaires[modifier | modifier le code]

Bien que la pertinence du terme "modernité" soit régulièrement contestée, le concept "modernité", lui, est à l'origine d'un très grand nombre d'analyses. Se pose alors la difficulté de définir celui-ci. Selon l'universitaire Alexis Nouss, cette difficulté vient du fait qu'il repose sur deux socles distincts : d'une part la science historique, d'autre part la philosophie morale et les disciplines dérivées.

« La notion de modernité ne peut se suffire d'un simple emploi à fin de périodisation. Elle implique également une valorisation, dynamique qui - en tant que telle - ouvre une complexe problématique :
- il ne suffit pas d'être inscrit dans une période historique dite "moderne" pour qu'un sujet le soit automatiquement lui-même ;
- à l'inverse, on ne peut pas se proclamer tel en dehors d'une historicité justifiant cette valorisation.
Donc, à la fois s'opposent et se complètent les deux versants de la modernité : valorisation et périodisation[28]. »

De fait, on retrouve cette bipolarité dans la quasi-totalité des définitions du terme[n 1].

Encyclopedia Universalis (1985)[modifier | modifier le code]

« La modernité n'est ni un concept sociologique, ni un concept historique. C'est un mode de civilisation caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition, c'est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles : face à la diversité géographique et symbolique de celles-ci, la modernité s'impose comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l'Occident. Pourtant elle demeure une notion confuse, qui connote globalement toute une évolution historique et un changement de mentalité.

Inextricablement mythe et réalité, la modernité se spécifie dans tous les domaines : État moderne, technique moderne, musique et peinture modernes, mœurs et idées modernes - comme une sorte de catégorie générale et d'impératif culturel. Née de certains bouleversements profonds de l'organisation économique et sociale, elle s'accomplit au niveau des mœurs, du mode de vie et de quotidienneté - jusque dans la figure caricaturale du modernisme. Mouvante dans ses formes, dans ses contenus, dans le temps et dans l'espace, elle n'est stable et irréversible que comme système de valeurs, comme mythe - et, dans cette acception, il faudrait l'écrire avec une majuscule : la Modernité. En cela, elle ressemble à la Tradition[29]. »

Dictionnaire des sciences humaines (2004)[modifier | modifier le code]

« On s'accorde à identifier la modernité avec la période historique qui s'ouvre en Occident avec la Renaissance (XVe siècle). Cette ère nouvelle est marquée par des transformations de grande ampleur qui ont affecté à la fois les structures sociales (urbanisation, naissance du capitalisme…), les modes de vie et les valeurs (individualisme, avènement des libertés publiques, égalité des droits), les idées (essor de la pensée rationnelle, des sciences…) et la politique (démocratisation). La raison, l'individu, le progrès, l'égalité, la liberté : tels seraient donc les mots clés de la modernité[30]. »

Revue Le Philosophoire (2005)[modifier | modifier le code]

En , la revue Le Philosophoire consacre un numéro spécial au concept de modernité. En ouverture, Vincent Citot, son directeur, écrit :

« Le moderne n’est pas le contemporain, l’actuel, le nouveau ou le présent. L’usage confond le moderne et l’actuel (mais) si la modernité n’était rien d’autre que la contemporanéité, il n’y aurait là rien à penser, sinon le passage comme tel du temps. L’idée de modernité ne peut faire l’objet d’aucune intuition transcendantale a priori : elle ne prend sens que dans et par l’histoire des hommes. La modernité, comme tournant significatif dans l’histoire de l’occident, relève en premier lieu de l’analyse historique : il appartient aux historiens d’en déterminer la signification, l’origine et le devenir. A quelles conditions cette question historique peut-elle devenir une question philosophique ? Il faut passer de l’histoire à la philosophie de l'histoire puis de celle-ci à la philosophie générale[31]. »

Thierry Ménissier (2009)[modifier | modifier le code]

Introduisant son cours « Qu'est-ce que la modernité ? » (à l'université Grenoble-Alpes en 2009), l'universitaire Thierry Ménissier écrit :

« (On entend par) modernité toute la période qui commence à partir de la fin du Moyen Âge et qui dure encore aujourd'hui. Il convient aussi de remarquer que la modernité correspond aussi bien à une « ère » (temporelle) qu'à une « aire » (géographique : l'Europe). Mais les choses sont d'emblée complexes, car à côté de cette signification générique, le terme possède deux acceptions historiques plus précises :
- première modernité, à la Renaissance : en fonction des thèmes humanistes – par référence aux « Anciens » considérés comme des « classiques » (…) ;
- deuxième modernité, à partir du XVIIIe siècle : rupture explicite et forcée avec les Anciens. (…)
On sent donc, à l'issue de ce simple repérage de la signification historique de la notion de modernité, que celle-ci est sous-tendue par des représentations et des valeurs – par conséquent qu'elle est historique parce qu'elle est philosophique[32]. »

Les valeurs de la modernité[modifier | modifier le code]

Selon le sociologue suédois Göran Therborn, « les valeurs de la modernité sont tout d’abord celles de la religion chrétienne et de sa sécularisation, celles de l’État-nation et de la citoyenneté, celles enfin de l’individualisme et du sentiment de classe »[33]. D'autres intellectuels adoptent des critères supplémentaires, tels Jacques Attali, selon qui « le terme désigne une conception de l'avenir mêlant liberté individuelle, droits de l'homme, rationalisme, positivisme, foi dans le progrès… La liberté est conquête mais on en cherche le moteur. Pour Tocqueville, c'est la démocratie ; pour Saint-Simon, l'industrie ; pour Auguste Comte, la science ; pour Marx, la lutte des classes ; pour Max Weber, la rationalisation… »[34].

En consultant la littérature sur le sujet, on peut esquisser une typologie de la modernité.

Philosophie, temps et histoire[modifier | modifier le code]

Certains intellectuels identifient l'émergence du concept de modernité avec la naissance de la philosophie en tant qu'exercice de l'esprit critique et du libre examen : la pratique philosophique est ce par quoi les humains pensent par eux-mêmes, au moyen de la raison, du fait que celle-ci est à la fois réflexive et discriminante (le mot "critique" vient du grec krinein, qui signifie "trier")[35] : en posant l'exigence de se connaître soi-même, Socrate serait donc en quelque sorte le "premier moderne"[36]. "Connaissance de soi" signifiant "approche de soi dans la durée" (naissance et mort étant posés comme les deux bornes de l'existence), la prise en considération du facteur temps constitue l'un des grands axes de la posture philosophique. Ainsi pour bon nombre de commentateurs, la conception du temps et la philosophie de l'histoire orientent et structurent avant tout le concept de modernité[37].

Les historiens estiment que la conception moderne de l'histoire a émergé à la fin du Moyen Âge. L'Allemand Friedrich Ohly situe l'amorce du processus à la "Renaissance du XIIe siècle" en France. Mais alors que l'on associe traditionnellement la modernité à tout ce qui s'oppose à la tradition, Ohly considère que ce qui se manifeste chez les intellectuels de l'époque, c'est une volonté de la dépasser ; ceci en concevant le temps non plus sur le mode cyclique du retour au même mais sur celui de la succession typologique : « la typologie établit entre l'ancien et le nouveau une relation de l'un par l'autre : le nouveau rehausse l'ancien, l'ancien survit dans le nouveau ; il est la rédemption de l'ancien, sur lequel il se fonde[38] » ; conception que résume l'adage de Bernard de Chartres, Des nains sur des épaules de géants : quiconque a une ambition intellectuelle doit s'appuyer sur les travaux des penseurs du passé. De ce désir de connaître les Anciens naîtront, au XIIIe siècle, les premières universités.

Pour beaucoup, la modernité se construit en tension avec le Moyen Âge : ne dit-on pas, souvent, que les temps modernes débutent « à la fin » du Moyen Âge ? C'est sur cette base que des sociologues des XIXe siècle et XXe siècles, tels que Jacob Burckhardt (par les liens d'un individu avec le spirituel ou la communauté), Ferdinand Tönnies (par l'importance de l'argent), Georg Simmel (destruction de cercles d'intérêts), ou Émile Durkheim (absence de règles de la vie moderne), expliquent l'apparition de la modernité. Cependant cette approche se montre vite limitée : par exemple, alors que Jacob Burckhardt avait commencé à penser la modernité comme un progrès par rapport au Moyen Âge, il change radicalement d'opinion à la fin de sa vie pour considérer que la modernité est au contraire un déclin par rapport au Moyen Âge. Max Weber insiste au contraire sur la continuité qui existe entre les deux périodes, en affirmant que c'est au Moyen Âge que se construit le monde moderne. Selon lui, si l'on considère les groupes sociaux sous l'angle de la rationalité des personnes qui les constituent, on s'aperçoit qu'ils développent une qualité d'ordre, qui dépassent, dès l'origine, les supposés ordres établis de la société moyennageuse qu'étaient les religieux, les nobles et les travailleurs. En fait, pour lui, le Moyen Âge constituait, déjà, une société moderne[39].

Estimant que toute conception du temps dépend des instruments de mesure, Pierre Chaunu situe l'émergence de la notion de modernité au début du XIVe siècle, quand les premières horloges mécaniques sont installées en haut des clochers d'églises. Cette notion « suppose un temps qui se déroule, qui dessine une sorte de flèche vers l'avenir ». C'est ainsi, avance Chaunu, que les humains se focalisent alors sur les faits récents ou actuels et sont amenés à se projeter dans le futur. Et, dès lors que les instruments de mesure se perfectionnent, les échelles de temps sont plus longues : on ne pense plus seulement en fonction du lendemain ou de la saison prochaine mais des années suivantes. Ainsi la conception du temps prend-elle au fil des siècles une signification plus concrète (plus matérialiste) tandis que, simultanément, les humains intègrent le sens du temps long. Et ainsi se forge une philosophie de l'histoire ayant valeur collective : le progrès.

L'expression « philosophie de l'histoire » apparaît chez Voltaire en 1765 [n 2]. Mais c'est au prussien Emmanuel Kant que revient en 1784 l'initiative de justifier cette approche (Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique). Considérant l'histoire comme une masse hétérogène de faits (non seulement les événements politiques mais aussi ceux qui ponctuent la vie quotidienne), il s'efforce de retirer un sens de cette hétérogénéité même. Plaçant l’homme au centre du monde, "comme Copernic avait situé le soleil au centre de l'univers"[40], il considère qu'il est libre, « autonome », et qu'il puise cette liberté précisément dans l'exercice de sa raison. Mais partant de l'hypothèse que l'existence d'un individu est trop courte pour lui permettre de faire toutes les expériences nécessaires à son développement, Kant estime que le fil directeur de l’histoire est l'inscription progressive de la raison dans les institutions, grâce à la transmission du savoir d'une génération à l'autre. C'est donc sur l’humanité tout entière, plus exactement sur sa capacité à capitaliser la rationalité du savoir au fil du temps, que repose selon lui le « progrès » de l'humanité.

Au début du XXe siècle, sous l'influence — entre autres — des futuristes italiens, l'accroissement de la vitesse devient un symbole de modernité, rendu possible par toutes sortes de machines. Et de fait, à la fin du siècle, de nombreux sociologues pensent que l'une des principales caractéristiques de l'époque est la mise en place de dispositifs permettant aux humains de gagner sans cesse et toujours plus de temps : les TGV, les fast-foods, le speed dating, le just-in-time, l'augmentation de la fréquence des cycles de production, la banalisation des procédures d'urgences[41],[42]… Ce phénomène connait une accélération foudroyante avec l'invention du microprocesseur dans les années 1970 : l'ingénieur Gordon Moore prédit alors que les équipements électroniques vont devenir de plus en plus rapides bien que de plus en plus petits et de moins en moins coûteux (Loi de Moore).

Au début du XXIe siècle, ce développement exponentiel de l'électronique, couplé à l'apparition d'internet, conduit certains philosophes à reconsidérer le concept de modernité : « ce qui est en cause, quand on parle de modernité, c'est l'accélération du temps » (Peter Conrad)[43] ; « la modernité, c'est la vitesse » (Thomas Eriksen)[44] ; « la modernité signifie l'accélération du temps » (Hartmut Rosa)[45]

L'État, expression de la providence[modifier | modifier le code]

Pour certains historiens — tels l'Américain Joseph Strayer[46] — les origines de l'État moderne remontent à la fin du Moyen Âge[47]. Jean-Philippe Genet retient principalement trois facteurs : le développement du féodalisme ; le rôle nouveau de l'Église dans l'Europe latine, « tel qu'il est redéfini par la réforme grégorienne (au XIe siècle) avec une séparation complète du rôle des laïcs et celui des clercs » ; l'essor de l'économie européenne et singulièrement celui des villes (au XIIe siècle), lequel « permettra à l'Occident de s'assurer ensuite une véritable suprématie économique et le contrôle des routes commerciales du monde »[48]. S'opposant ouvertement aux États pontificaux, l'Empire germanique se fait appeler Saint Empire à la fin du XIe siècle : le souverain n'est plus adoubé par le pape mais il est admis que son autorité lui vient directement de Dieu (monarchie de droit divin).

Frontispice du Léviathan, ouvrage publié par Thomas Hobbes en 1651 et qui traite de la souveraineté de l'État.

Ce n'est toutefois que durant la seconde moitié du XVe siècle, quand Louis XI unifie le royaume de France, qu'émerge véritablement l'État moderne : l'État-nation. Au début du XVIe siècle le Florentin Machiavel formule les premières théories justifiant son existence et ses modes de fonctionnement. Au milieu du XVIIe siècle, l'Anglais Thomas Hobbes contribue à renforcer cette légitimité (Le Léviathan, 1651), inaugurant ainsi la philosophie politique comme discipline. Assimilant la religion à de la superstition, il estime qu'il convient de désacraliser la personne du monarque. L'appareil d'État démontre à ses yeux la capacité des humains à administrer leurs territoires selon leur libre-arbitre et leurs intérêts propres. Le rôle de l'État est de sauvegarder leurs droits, dits « naturels ».

Le concept hobbesien de contrat social irrigue toute la philosophie des Lumières, à la fin du XVIIIe siècle, et porte l'idéal révolutionnaire, en France comme aux États-Unis. Grand admirateur de la Révolution, l'Allemand Hegel se livre au début du XIXe siècle à une véritable apologie de l'État : plus qu'un simple organe institutionnel, il est selon lui « la forme suprême de l'existence », « le produit final de l'évolution de l'humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète », le « rationnel en soi et pour soi »[49].

Quelques penseurs, dont Tocqueville, s'inquiètent de cette soudaine montée en puissance de l'État et les anarchistes protestent vigoureusement mais leurs vues restent minoritaires. Lorsqu'éclate la Révolution russe, en 1917, l'Allemand Max Weber voit dans l’État une structure parvenue « à imposer le monopole de la violence physique légitime[50] ». Selon lui, ce fait constitue l'un des premiers fondements du concept de "modernité"[51] car il « repose sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tous temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par la domination »[52].

En Union soviétique, le communisme est encadré par un solide appareil bureaucratique, lui-même encensé par un vaste dispositif de propagande. Le psychanalyste suisse C.G. Jung dira plus tard que « l'État s'est mis à la place de Dieu (…), les dictatures socialistes sont des religions au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin[53],[n 3] ». Et en 1922, quelques années avant d'adhérer au parti nazi, le philosophe Carl Schmitt affirme lui-même que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques sécularisés »[54].

Même au sein des démocraties dites libérales, l'État joue un rôle majeur, notamment au travers des politiques keynésiennes à partir de la Seconde Guerre : en 1942, le rapport Beveridge préconise la mise en place de l'État-providence en Grande-Bretagne et, deux ans plus tard, le Français Raymond Aron qualifie la politique de « religion séculière ».

De fait, les états "modernes" encadrent toutes les activités humaines : non seulement ils assurent les fonctions régaliennes (défense, justice…) mais ils prennent en charge le confort matériel (santé, culture…), au point que certains évoquent les institutions de la modernité[55]. Un certain nombre d'intellectuels remettent en cause le caractère totalitaire de l'État, à commencer par les défenseurs du libéralisme économique et les tenants de l'anarchisme. Mais d'autres également, pour des raisons totalement étrangères à l'économie ou à la politique mais relatives à l'éthique. C'est le cas du Français Jacques Ellul : « Les hommes, dans toutes les sociétés, même quand ils protestent contre l'ingérence du pouvoir, déclarent le haïr et réclament la liberté, ont mis leur espérance et leur foi dans l'État : c'est finalement de lui qu'ils attendent tout »[56]. (…) Ce n'est pas l'État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c'est sa transfiguration sacrale[57].

Du Nouveau monde à la mondialisation[modifier | modifier le code]

L'année 1492, date de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, sert fréquemment de référence aux historiens comme amorce des temps modernes. De fait, en explorant puis en conquérant le "Nouveau Monde", les Européens ne vont avoir de cesse de découvrir d'autres mondes puis "le" monde dans sa globalité : En 1517, l'équipage de Magellan effectue le premier tour de la Terre, qu'il achève en 1522, trente ans seulement après l'exploit de Colomb.

L'exploration du monde puis celle de l'espace constituent les premiers symboles de la modernité.
L'Astronome, tableau de Johannes Vermeer (1668)

Par l'intermédiaire des explorateurs, mais également des astronomes — qui, à la suite de Copernic, n'ont de cesse d'explorer des yeux le système solaire pour en comprendre la morphologie — l'ensemble de l'humanité se forge une nouvelle conception du monde qui, elle-même, sert en retour de justification à l'esprit de conquête[58], voire plus tard au colonialisme[59] et à la "conquête de l'espace", celui-ci étant désormais compris comme une nouvelle frontière.

« La mondialisation, c’est-à-dire l’extension de la circulation à l’ensemble de la planète, débute à la fin du XVe siècle, avec les grandes découvertes. Elle ne cesse de progresser depuis, mais à des rythmes inégaux. Rapide au XVIe siècle, il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’elle touche l’ensemble des littoraux du Pacifique et le XIXe siècle pour qu’elle pénètre au cœur des continents. Le rail et le bateau à vapeur lui font alors faire un bond considérable[60]. »

Pour autant que la notion de mobilité est associée à celle de modernité, faut-il y voir nécessairement la marque de l'esprit de conquête et du volontarisme ? Pas forcément, répond Bernard Vincent, directeur d'études à l'EHESS :

« Avant tout autre, la première conséquence des événements de 1492 est une formidable migration humaine. Sous la pression des contraintes économiques et de l'affirmation de l'intolérance, des milliers d'individus furent condamnés à la mobilité. Et le sont encore. Vérité d'hier, vérité d'aujourd'hui[61]. »

Selon André-Jean Arnaud, directeur de recherche émérite au CNRS, ce qu'on entend par "mondialisation" n'est rien d'autre que l'imposition forcée à l'ensemble du monde des valeurs de "la modernité" : « Le processus de mondialisation emporte, au nombre de ses effets, un défi aux modes traditionnels de régulation juridique dont la conception plonge ses racines dans la pensée juridique et politique occidentale[62]. » De fait, on entend généralement par "occidentalisation" le fait que, depuis 1492 jusqu'aux attentats du 11 septembre 2001, à New York, la société occidentale s'impose auprès du reste du monde comme un véritable modèle[63] (lire plus bas).

La Réforme : les individus seuls face à Dieu[modifier | modifier le code]

Martin Luther en 1529

En 1517, le moine Martin Luther initie le mouvement de la Réforme, dont les conséquences vont être considérables. Le protestantisme, en effet, n'est pas seulement une nouveauté sur le plan théologique :
- d'une part, il va modifier en profondeur le paysage politique en Europe (car en désacralisant le pouvoir de l'Église, et au prix d'affrontements meurtriers, notamment en France, il va peu à peu contribuer à légitimer celui des États ; lire supra) ;
- d'autre part, du fait qu'il valorise le libre-arbitre des individus en privilégiant la relation de face-à face de l'homme avec Dieu, au détriment de la relation de médiation défendue par les catholiques, il va bouleverser les mentalités bien au-delà de sa sphère d'influence directe[64].

De fait, les protestants contribuent nolens volens à l'émergence de l'individualisme (lire infra), voire de l'esprit d'entreprise. C'est du moins la thèse du sociologue Max Weber, en 1905, dans un ouvrage qui fera ensuite référence : L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme[65]. Ami personnel de Weber, le théologien Ernst Troeltsch souscrit globalement à cette thèse[66] de même que la plupart des théologiens du XXe siècle[67],[68],[69], même si l'idée d'une filiation "protestantisme-modernité" est parfois contestée[70].

Selon l'universitaire Michel Grandjean, « la Réforme constitue un acteur important de la modernité dans sa globalité, ne serait-ce que parce que les Réformateurs ont toujours défendu la responsabilité de l'individu face à Dieu et aux institutions humaines »[71] et, bien que « Luther, Calvin ou Zwingli n’étaient en faveur ni de la démocratie, ni du droit des femmes, ni de la liberté religieuse, leurs intuitions ont fécondé la modernité. Les Lumières n’auraient pas été possibles sans la Réforme : en prenant leurs distances avec l’Église, les réformateurs ont commencé à penser la notion de résistance au pouvoir politique. Calvin pensait que les autorités temporelles avaient toute légitimité concernant le domaine matériel, mais qu’on avait le droit de s’y opposer dans le domaine spirituel. Les idées réformatrices ont contribué à la valorisation de l’individu, qui est appelé à réfléchir par lui-même sur ce qui lui est bon ou pas »[72].

La liberté : l'universalisme et l'individualisme[modifier | modifier le code]

Selon le philosophe Vincent Citot, « l'esprit de la modernité », c'est la liberté :

« La liberté à laquelle aspire la modernité doit se comprendre comme une recherche d’autonomie : elle est l’acte par lequel l’individu refuse de voir son existence, ses valeurs et ses normes déterminées par une instance extérieure, quelle qu’elle soit. Elle est donc l’affirmation par l’homme de sa position de fondement. Présomption ruineuse ? Non, humanisme et lucidité. Ne rien tenir pour vrai et pour valable que ce que j’ai moi-même vérifié et pensé, tel serait le principe de la modernité, que Descartes a explicité en son temps. Cet humanisme prométhéen est le fondement de l’esprit moderne, qui fait de l’homme un dieu, en quelque sorte, contre le poids de la religion, des traditions et des coutumes. La modernité humaniste est donc une confiance indéfectible en la capacité de l’homme à trouver en lui-même le fondement des normes et des valeurs, ainsi que l’accès aux vérités de ce monde[73] »

Mais, poursuit Citot, la liberté — au sens moderne — suppose d'une part l'affirmation du collectif (la société, la culture, l'État…) qui, seul, est apte à l'institutionnaliser ; d'autre part la mise en avant de l'individuel qui, — également lui seul — peut la concrétiser. Pas de liberté, par conséquent, sans universalisme et sans individualisme. Comment ses deux pôles, a priori antagonistes, peuvent-ils s'articuler ? Citot propose cette réponse :

« La culture apparaît comme une libération collective de l’homme par rapport aux impératifs de la nature, et la singularité individuelle entend se libérer à son tour de ce collectif, dont les normes transcendantes le placent dans une posture d’hétéronomie. L’affirmation de l’individualité face aux normes et aux exigences supra-individuelles sera l’une des caractéristiques de la modernité. L’individu entend exercer sa pensée et son esprit critique, il veut exprimer sa sensibilité propre, par-delà les dogmes et canons de la société à laquelle il appartient. L’individualisme ainsi compris n’implique aucune désocialisation ou repli sur soi égoïste . L’autonomie individuelle ne vise pas l’atomisation du tissu social, mais cherche seulement une forme de socialisation compatible avec le respect de la liberté individuelle. La démocratie moderne et le droit moderne seront une figure de ce compromis[73]. »

De la rationalité à la quête d'efficacité maximale[modifier | modifier le code]

René Descartes

Se référant au Discours de la Méthode de Descartes (publié en 1637), en particulier à la célèbre formule « nous pourrions nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », Thierry Ménissier estime qu'« on assiste (au XVIIe siècle) à une rationalisation progressive de tous les champs de l'activité humaine — notamment en art, en pédagogie et en droit — et par suite les conduites elles-mêmes, soumises au droit, deviennent davantage rationnelles. La science (ou scientificité) est désormais considérée comme une valeur, un moyen permettant à l'homme d'agir sur le monde »[74].

Cet exercice intensif de la raison s'exprime essentiellement de deux façons :
- d'une part sur la pensée elle-même, notamment à partir de la fin du XVIIIe siècle dans le champ de la philosophie, sous l'influence de Kant : c'est le criticisme ;
- d'autre part sur le réel objectif (l'environnement naturel), en premier lieu au cours du XIXe siècle à la suite du processus d'industrialisation, c'est la rationalisation.

  • « L’âge des Lumières est celui de la critique et la critique, conçue comme une méthode d’investigation, de création et d’action, est le trait distinctif de la modernité : critique de la religion, de la philosophie, de la morale, du droit, de l’histoire, de l’économie et de la politique. Les idées cardinales de l’âge moderne – progrès, révolution, liberté, démocratie – sont issues de la critique »[75].
  • « la modernité occidentale se caractérise (par ailleurs) par un processus de rationalisation des actions sociales. Max Weber établit une typologie des déterminants de l’action sociale : "traditionnelle", "émotionnelle", "rationnelle en valeur" et "rationnelle en finalité" »[76],[77].
Max Weber

En 1905, dans L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme, puis en 1919, dans Le Savant et le Politique, Weber voit dans la rationalisation le fondement par excellence de l'idée de modernité[78] :

« Le destin de notre époque, caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le désenchantement du monde, a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique. Elles ont trouvé refuge soit dans le royaume transcendant de la vie mystique soit dans la fraternité des relations directes et réciproques entre individus isolés[79]. »

Selon Weber, c'est dans le système capitaliste que le sens de la rationalisation se déploie de la façon la plus explicite. Mais, précise t-il, le capitalisme lui-même ne découle pas tant d'une quête de profit, comme les marxistes se plaisent à le penser, que d'une éthique héritière du protestantisme[80]. Commentant cette analyse, Jacques Ellul écrit :

« Weber montre bien que (…) la rationalité ne vient pas de l’influence d’une philosophie à laquelle on adhérerait par conviction intellectuelle. Il ne cite même pas Descartes, il cherche plus profond. Quel est le soubassement ? Il faut qu’il y ait eu non pas une adhésion intellectuelle mais un changement de conception de la vie. Il met alors en valeur un aspect essentiel : l’esprit du capitalisme est une éthique. C’est-à-dire que le comportement économique du plus grand profit n’est pas seulement un résultat de l’appétit d’argent ou de puissance, ni une attitude utilitariste : il représente le bien. (…) (En revanche) un aspect considérable n’est pas retenu par Weber, c'est celui de la désacralisation. Si l’activité technique a pu prendre l’essor qu’elle a eu à partir du XVIIIe siècle, c’est parce que la Réforme a désacralisé la nature (…). Celle-ci est une sorte de domaine livré à l’homme pour être exploité. L’homme peut faire ce qu’il veut dans cette nature complètement laïcisée. Nous avons là aussi un renversement de conception décisif qui a préparé la possibilité d’une application sans frein des techniques[81]. »

Ellul précise que selon lui, les humains sont tellement portés par cet esprit de rationalisation qu'ils multiplient et améliorent sans cesse les techniques, au point que celles-ci constituent désormais un nouvel environnement, au même titre qu'autrefois la nature. Selon lui, ce que Weber appelle « désenchantement du monde » ne correspond en réalité qu'à une « désacralisation de la nature » et c'est l'ensemble des techniques — par lesquelles les hommes ne cessent de désacraliser et profaner la nature — qui est désormais sacralisé. Ellul définit "la Technique" comme « la préoccupation de l'immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace »[82].

Bonheur, travail, technique : la triade du progrès[modifier | modifier le code]

Changement, innovation, développement, croissance[modifier | modifier le code]

En 1985, Jean Baudrillard qualifie la modernité de « morale canonique du changement »[29].

De fait, dans les milieux institutionnels, le goût du changement est souvent présenté comme une valeur de la modernité : « moderniser, c'est adapter l'action publique à la société de demain », estime par exemple Laure de La Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique en 2017, évoquant « l'esprit de modernité » et la nécessité — selon elle — de le « rendre désirable »[83].

La même tendance s'observe dans le milieu du management. Selon certains observateurs, une entreprise, quelle que soit sa taille, est "moderne" dès lors qu'elle innove : « l’innovation est au cœur de la modernité. Dans la première phase (proto-modernité), elle est le fait d’ingénieux ; dans la seconde (post-modernité), d’ingénieurs. Les hyperfirmes (sic) gèrent et planifient l’innovation, dissuadant le développement d’innovations radicales. La troisième modernité constitue une rupture dans la vision de l’innovation. Elle est désormais le fait de toutes petites entreprises, les hypofirmes (sic), qui souhaitent rester petites, en adoptant une stratégie singulière, fondée sur une approche ressources-compétences idiosyncrasique, sur un marché étroitement délimité et sur un réseau relationnel fort »[84].

On retrouve enfin le thème de la modernité dans la plupart des grands débats sur le thème du développement, parfois sous la forme de questionnements : « la modernité désigne la nouveauté et le progrès. Elle suppose une rupture avec l'ancien ou le traditionnel. Par là, elle se rapproche du développement si l'on admet que ce dernier requiert lui aussi la croissance, l'évolution, le passage de l'ancien au nouveau, le progrès. Cependant, si le développement implique l'idée de progrès et si tout progrès connote l'idée de nouveauté, doit-on pour autant réduire le développement à la nouveauté comme telle ? »[85]. Les réponses à ces questions sont partagées : alors que l'économiste Jean-Paul Karsenty n'hésite pas à associer les concepts de "modernité" et de "développement durable"[86], d'autres, partant de l'idée que "la modernité" est une idéologie, se demandent, inquiets, si le concept de développement durable n'en est pas une nouvelle figure[87],[88].

D'un point de vue économique, le concept de modernité trouve sa justification dans les objectifs de croissance[89].

Le confort matériel : première justification du productivisme[modifier | modifier le code]

Le concept de modernité est très souvent associé au processus d'anthropisation, transformation physique de l’environnement terrestre sous l’effet des systèmes techniques de l’humanité, résultat du processus d'industrialisation amorcé au XVIIIe siècle[90]. En vue d'analyser les soubassements éthiques de ce processus, différents intellectuels estiment que l'idéal de modernité est fondé sur l'alliance de deux termes en apparence antagonistes : le bonheur et le travail (lire supra).

Mais alors que pour certains « bonheur et modernité paraissent liés avec l’idée euphorique que la connaissance des lois de la nature et des « droits naturels » des humains permet d’être heureux[91] », pour d'autres, le bonheur tel qu'il est promu par les Lumières ne s'apparente pas seulement à la connaissance des lois de la nature mais à l'assujettissement pur et simple de la nature : tout d'abord par le biais du travail humain puis, dans un second temps, au moyen de toutes sortes de techniques de production nées à la fois de l'essor du machinisme et d'un plaisir immodéré de "consommer" les produits rendus possibles par le "progrès technique" ("société de consommation").

C'est ainsi qu'au milieu des années 1960 — qui correspondent à l'apogée de la période de forte croissance économique dite "Trente Glorieuses" — quelques intellectuels considèrent que, sous l'effet du consumérisme, "bonheur" et "confort matériel" sont devenus des termes interchangeables.

  • En 1965, dans son roman Les Choses, l'écrivain Georges Pérec pose un regard critique sur le matérialisme porté par la société de consommation. Interrogé peu après sur ses intentions, il répond : « il y a une espèce de bonheur de la modernité, même dans l’impossibilité ou la déception. Oui, c’est cela le bonheur dans la modernité. »[92].
  • Deux ans plus tard, dans Métamorphose du bourgeois, Jacques Ellul écrit : « Il y a coïncidence historique entre le moment où se formule la conception juridico-idéologique du bonheur et celui où apparaissent les possibilités d’un bien-être matériel pour chacun. Cette coïncidence est décisive car, dès lors, le bonheur est associé à ce bien-être. L’idéologie du bonheur implique donc le développement technique nécessaire à une production de biens allant croissant : elle justifie la croissance économique et la civilisation technicienne. Par la suite, elle apparaît comme la compensation indispensable de l’immensité du travail à dépenser pour accéder au bien-être. (…) Le monde qui se fait sous nos yeux obéit à la même idéologie que celle du bourgeois du XVIIIe siècle, celle du bonheur. Mais le bonheur a changé de rôle et de signification : il était à l’origine une vision plus ou moins claire d’un monde souhaitable. […] Mais depuis, la création de bien-être au moyen d'une prolifération d'utilités (est devenue réalité). Et voici que cette multiplication d’objets à consommer produit un effet singulier : elle exige de celui qui les produit un sacrifice de plus en plus accentué : le travail »[93].

Par la suite, les analyses mettant en lien "l'idéologie du bonheur" et l'exigence de productivité par des moyens techniques sont plus rarement reprises. Ainsi en 1993, le sociologue Olivier Le Goff estime que « le confort n'est plus uniquement à comprendre comme une valeur emblématique de la modernité, autrement dit comme l'un de ses modes privilégiés de représentation et de légitimation, mais comme l'une de ses instances productrices de son sens[94]». Selon lui, « la mise au travail d’une grande partie de la population passe par l’amélioration du confort, valeur méritoire et morale. (…) Mais c’est avant tout par la mécanisation progressive dont il est l’objet que le confort devient véritablement ce bien-être matériel qui engage un rapport nouveau au quotidien. Le confort, grâce à l’utilisation de la machine, devient synonyme de gain de temps et de moindre effort »[95].

Les contextes de la modernité et les premières interrogations[modifier | modifier le code]

Né au début du XIXe siècle avec Hegel, le concept de modernité s'est ensuite développé dans le contexte particulier d'une mutation sans précédent de la société occidentale, résultant de l'industrialisation et de l'urbanisation.

Durant la seconde moitié du siècle, Karl Marx en est sans conteste le premier critique. Estimant que l'économie constitue l'élément déterminant de la société, il estime que les principaux ingrédients en sont les structures du capitalisme.

D'autres penseurs vont lui emboîter le pas, depuis des analyses très différentes mais avec pour point commun la dénonciation des prétentions de la raison à pouvoir penser et changer le monde : Nietzsche à la fin du XIXe siècle et Freud au tout début du XXe siècle.

Également à cette époque, Max Weber considère que les valeurs de la modernité s'inscrivent directement dans le sillage de celles auxquelles elles prétendent s'opposer, à savoir celles du christianisme. Après lui, d'autres penseurs (notamment Carl Schmitt et Karl Löwith) estimeront que le discours sur la modernité constitue la transposition sécularisée d'une vision de l'histoire élaborée par le christianisme, approche qui sera par la suite parfois contestée.

Si l'on a longtemps opposé l'analyse de Marx et celle de Weber, certains s'efforcent sinon de les concilier, au moins les articuler, dont Löwith lui-même[96].

Marx, Nietzsche, Freud et la philosophie du soupçon[modifier | modifier le code]

Selon le philosophe Paul Ricœur, Marx, Nietzsche et Freud ont fortement contribué à remettre en question l'ensemble des discours sur la modernité car ils sont à l'origine d'une « perte de confiance » dans la capacité de la raison à interpréter le monde, contrairement à ce que l'on supposait depuis la théorie kantienne de la connaissance, selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du sujet connaissant. Ricoeur voit en eux les maîtres du soupçon[97].

  • Pour Marx, il n'y a pas de nature humaine ou d'essence de l'homme : l’histoire de l'humanité se résume à des rapports de force entre classes sociales en fonction de leurs intérêts respectifs. Dès 1848, il écrit : « Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ? Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante »[98]. Selon Marx, la notion de sujet doit être indexée à celle du mode de production : toute marchandise est l'expression d'un rapport social entre des hommes, ce que la classe bourgeoise s'efforce d'occulter[99]. Analysant en 1990 la pensée de Marx, le philosophe Jacques Bidet dépasse les considérations économiques auxquelles, dit-il, on réduit souvent les rapports marchands. Selon lui, ceux-ci sont relativement autonomes et cette autonomie caractérise précisément ce qu'on appelle "modernité", ce que Marx n'a pas perçu à son époque[100].
  • Depuis la publication en 1874 de De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie, où il posait la question « que veut et que peut l'homme moderne ? », Nietzsche est unanimement considéré comme le premier véritable critique de la modernité[101]. Selon lui, « l'homme libre et volontaire » n'est qu'un mythe car les humains ne peuvent s'empêcher de vivre en "troupeaux" et de se conformer à des règles morales arbitraires, contraignantes et aucunement émancipatrices. « Son originalité réside dans la relation conceptuelle qu’il établit entre la démocratie, définie tant au sens politique de démocratie libérale représentative (égalité des droits) qu’au sens sociologique (« égalité des conditions »), l’individualisme renforcé par la Réforme luthérienne, et le nationalisme, dont il montre le lien consubstantiel avec la modernité européenne »[102].

En France à partir de la fin des années 1960, les héritiers de ces trois penseurs seront considérés comme les fondateurs de la philosophie postmoderne. Citons Althusser, Derrida, Deleuze et Guattari pour Marx ; Foucault, pour Nietzsche ; Lacan, pour Freud.

Urbanisation, massification et politique-spectacle[modifier | modifier le code]

L'évolution de l'urbanisme fait partie intégrante de la problématique de la modernité[106],[107]. C'est du moins ce qu'ont affirmé deux pionniers de la sociologie : Georg Simmel au début des années 1900, avec Les grandes villes et la vie de l'esprit[108], puis Max Weber, à la fin des années 1910, avec son essai La ville[109].

De nombreux débats existent quant au spectaculaire développement des villes au cours des deux derniers siècles mais les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1900, 15 % de la population mondiale habite en ville contre 3,4 % seulement en 1800. Cette progression est devenue exponentielle au XXe siècle puisqu'en 2007, le seuil des 50 % a été atteint et que le chiffre continue d'évoluer depuis[réf. nécessaire]. Retenons que le processus d'industrialisation entamé à la fin du XVIIIe siècle a enclenché un exode rural gigantesque et continu : l'ensemble des sociétés s'est massifié.

Dès la fin du XIXe siècle, les premiers sociologues se sont penchés sur cette soudaine évolution. En 1893, Émile Durkheim s'est interrogé sur ses conséquences sur la cohésion sociale, du fait du processus croissant de la division du travail et de la production en série[110]. Deux ans plus tard, dans son livre Psychologie des foules, Gustave Le Bon (pionnier de la psychologie sociale) a observé comment le comportement d'un individu peut différer selon qu'il est isolé ou immergé dans une foule[111].

Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, le premier conflit où sont utilisées des armes "modernes" (tanks, avions, gaz asphyxiants…) mais aussi le plus meurtrier de l'histoire, une interrogation revient, récurrente : "est-il finalement bon que l'homme soit devenu moderne ?"[112],[113].

Et bien qu'infiniment moins violente en apparence, la massification de la société suscite également de vives inquiétudes de par le monde. Citons l'Autrichien Sigmund Freud (Psychologie des masses et analyse du moi, 1921), l'Américain Walter Lippmann (Public Opinion, 1922), l'Allemand Siegfried Kracauer (L'ornement de la masse, 1927)[114] et l'Espagnol José Ortega y Gasset (La Révolte des masses, 1929), lequel en vient à dénoncer les "ravages de la démocratie".

La critique de la démocratie, quoique marginale, n'est pas nouvelle : alors que les philosophes des Lumières, en premier lieu Rousseau, avaient pensé le système de la démocratie représentative comme un fleuron de la modernité, les critiques de ce système ont afflué dès le XIXe siècle, en premier lieu chez Tocqueville, qui a dénoncé en 1835 la "tyrannie de la majorité" puis surtout chez Nietzsche, qui l'a associée à une "morale de troupeau" et qui, en 1886 dans Par delà le bien et le mal, a raillé "l'imbécilité parlementaire" et n'a vu dans l'État qu'un "monstre froid"[115].

Bon nombre commentateurs soulignent combien l'évolution de la politique constitue un paramètre essentiel du concept de "modernité"[116],[117],[118]. Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le sociologue belge Henri Janne retient essentiellement cinq dérives :

« Dans les grandes nations modernes, le peuple ne pouvant gouverner lui-même, délègue ses pouvoirs à des hommes qu’il choisit. Théoriquement, il devrait désigner les candidats les plus capables, ceux qui possèdent la conscience la plus élevée de leurs devoirs envers la collectivité et envers leurs mandants. Or, d’une manière générale, est élu le candidat qui parle le mieux au peuple.

Le deuxième défaut de la démocratie réside dans le jeu des partis. Composés, à l’origine, d’hommes désintéressés et soutenus seulement par leur attachement profond à quelques idées, les partis deviennent bientôt le centre de ralliement de tous les ambitieux qui veulent faire une « carrière politique », ou, ce qui est plus grave, obtenir par la politique, grâce à l’influence du parti et de ses chefs – leurs « amis » – des « places » ou des avantages économiques d’ordre divers.

Autre aspect de la question : à l’origine, les partis apparaissaient uniquement comme un moyen, moyen de réaliser des conceptions politiques. Or, ils sont devenus une fin : ce ne sont plus les idées incarnées par le parti qui constituent l’essentiel, mais le parti lui-même. La démocratie s’est transformée en une lice où s’affrontent les clubs comme des maisons rivales. L’intérêt du parti, au sens matériel, prime l’intérêt général.

Passons à la presse, souvent qualifiée de « quatrième pouvoir ». La presse démocratique est libre, c’est-à-dire qu’elle peut, dans des buts politiques, répandre les inventions les plus machiavéliques, les mensonges les plus éhontés quant aux intentions et aux actions du Gouvernement, sans que celui-ci ait d’autre moyen de remettre les choses au point que d’user des journaux qui le soutiennent et des moyens de propagande dont il dispose. Et il arrive que les trusts de la grande presse constituent des puissances politiques autonomes, jouent le rôle de véritables condottieri formant, professionnellement, des courants d’opinion comme leurs prédécesseurs de la Renaissance formaient des armées de métier.

L’un des aspects les plus étonnants de la démocratie, c’est l’insuffisance de l’éducation politique qu’elle donne à la jeunesse. (…) Or, c’est précisément dans les États démocratiques que le manque de sens politique, l’indifférence à l’égard des institutions, l’esprit d’irresponsabilité en matière de vote, l’absence d’une morale politique qui dicte des devoirs, ouvrent le champ à des conséquences catastrophiques qui se résument toutes en une seule : la masse populaire incapable de défendre ses droits est, en même temps, ignorante de ses devoirs[119]. »

Ces différentes critiques seront par la suite maintes fois développées, donnant lieu à l'émergence d'un nouveau concept : la « politique spectacle ».

Laïcisation, sécularisation, désenchantement[modifier | modifier le code]

À la fin du XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières ont largement axé leurs discours sur un affranchissement de la pensée vis-à-vis de toutes les doctrines d'ordre ou d'origine théologique. Toutes les prises de position qui s'en inspirent ensuite se réclament ouvertement d'un esprit de laïcité.

Différents signes toutefois laissent penser que celui-ci n'est pas exempt de religiosité. Ainsi, en 1793, pendant la Révolution française, les hébertistes transforment différentes églises en "temples de la Raison" et célèbrent le culte de la Raison en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Trente ans plus tard Hegel (pourtant considéré comme un inspirateur de l'idée de modernité[120]) affirme que « l’État, c’est la marche de Dieu dans le monde »[121]. Également durant la seconde moitié du XIXe siècle émerge l'idée d'État-providence

Le premier à émettre la thèse d'un transfert de religiosité dans le "monde moderne" est le sociologue Max Weber, en 1904-1905, dans un essai depuis devenu célèbre, L'Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme[122]. Tout en reconnaissant que le capitalisme se concrétise par une recherche de profit, il considère que celle-ci n'est pas portée par un esprit d'avidité mais au contraire par une éthique. Le capitalisme étant principalement l’œuvre de protestants pratiquant une forme d'ascétisme, "l'Esprit du capitalisme", selon Weber est d'origine religieuse.

Cette thèse sera d'autant plus commentée par la suite que Weber lui-même défend par ailleurs l'idée que le concept de modernité s'appuie tout entier sur celui de "désenchantement du monde" et sur la relativisation de tous les récits religieux. Or différents auteurs vont — au cours du XXe siècle et chacun à sa manière — accréditer la théorie selon laquelle toutes les prises de position visant à relativiser, voire discréditer les religions traditionnelles sont elles-mêmes empreintes de religiosité.

On doit au philosophe Carl Schmitt d'ouvrir en 1922 le débat sur la sécularisation par cette petite phrase : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques sécularisés »[123],[124]. En 1938, Eric Voegelin introduit la notion de "religion politique"[125] et en 1944, c'est au tour du Français Raymond Aron, fervent lecteur de philosophie allemande, de formuler le concept de « religion séculière », en deux articles parus dans La France libre.

En 1949, Karl Löwith avance la thèse selon laquelle « la philosophie de l'histoire est une transposition de la doctrine chrétienne du salut (eschatologie) »[126].

Commentant en 1957 le phénomène de la société de masse et les prises de position selon lesquelles celle-ci deviendrait "individualiste" et "non-religieuse", Carl Gustav Jung écrit :

« L'individu se voit privé de plus en plus des décisions morales, de la conduite et de la responsabilité de sa vie. En contrepartie, il est — en tant qu'unité sociale — régenté, administré, nourri, vêtu, éduqué, logé dans des unités d'habitation confortables et conformes, amusé selon une organisation des loisirs préfabriquée… l'ensemble culminant dans une satisfaction et un bien-être des masses, qui constitue le critère idéal.

L'État s'est mis à la place de Dieu et c'est pourquoi, dans cette optique, les dictatures socialistes sont des religions au sein desquelles l'esclavage d'État est un genre de culte divin. (…) Le but religieux, libération du mal, réconciliation avec Dieu et récompense dans l'au-delà, se transforme sur le plan étatique en promesses d'ici-bas : libération des soucis du pain quotidien, répartition équitable des biens matériels, bien-être général dans un futur pas trop lointain, réduction des heures de travail[127]… »

En France, l'analyse selon laquelle le discours moderniste serait empreint de religiosité n'est guère relayée. En 1973, toutefois, Jacques Ellul consacre tout un ouvrage à ce sujet, Les nouveaux possédés :

« C’est devenu un lieu commun, que l’on tient pour une évidence vérifiée : le monde moderne est un monde séculier, sécularisé, athée, laïcisé, désacralisé, démythisé. Et dans la plupart des écrits contemporains, on considère tous ces termes comme équivalents sans prendre en compte les différences considérables qu’il peut y avoir par exemple entre laïcisation et sécularisation ou entre désacralisation et démythisation. On veut en gros exprimer l’idée que le monde moderne est devenu adulte ou majeur parce qu’il ne croit plus, il veut des preuves, il obéit à la raison et non aux croyances, surtout religieuses, il s'est débarrassé de Dieu, et lui parler de religion n'a plus de sens. Il est entré dans un nouveau mode de pensée, qui n’est plus la pensée traditionnelle s'exprimant dans les mythes.

Il est difficile de discerner si, dans ce genre de propos, il s’agit d’un constat de fait, d'un souhait, d’une constatation sociologique ou d’une construction imaginaire, élaborée à partir de l’idée qu’on peut se faire d’un homme imbu de la science. En réalité, si l’on examine les textes qui reposent sur ces affirmations, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une explication a posteriori. On part de l'évidence : « l’homme moderne ne veut plus entendre parler du christianisme, il a perdu la foi, l’Église ne mord plus sur la société, elle n’a plus d’audience, le message chrétien ne veut rien plus dire ». Mais comme l’on constate en même temps que l’homme moderne reçoit plus ou moins une éducation technicienne sinon scientifique, on en conclut implicitement : « c’est parce que cet homme est imbu de science qu’il est non religieux » et l’on assimile alors le rejet du christianisme avec l’abandon de toute posture religieuse[128].

On proclame que l’homme moderne n’est plus religieux mais on se garde bien de dire ce qu'est la religion, et de même le sacré ou le mythe… et si parfois on s'y hasarde, c'est toujours une définition ad hoc, faite après coup, dans un but de légitimation. Il y a là une complète obéissance à des présupposés non critiqués, formulés sans discernement[129]. »

En , Myriam Revault d'Allonnes et Michaël Fœssel organisent à la Sorbonne un colloque intitulé « Modernité et sécularisation ». Professeur de philosophie à Ottawa et spécialiste de Schmitt, Daniel Tanguay indique que, selon lui, l'épuisement du concept de modernité par le post-modernisme est à l'origine du présentisme contemporain et que celui-ci, « en vidant le futur de tout sens, ne permet plus de nourrir d'espoir au présent et laisse en partage un certain désespoir »[130].

De l'individualisme au narcissisme[modifier | modifier le code]

On a vu que le concept de modernité s'est développé dans le sillage de la théorie kantienne de la connaissance, selon laquelle toute l'évolution de l'humanité repose sur la primauté du sujet connaissant : l'individu. Et l'on a vu également que l'individualisme — plus exactement l'idée que les individus peuvent s'émanciper de toutes les croyances en faisant l'exercice de leur raison — a été remis en cause par Freud, selon qui « le moi n'est pas maître en sa maison », car étant la proie d'une part de toutes sortes de pulsions (le ça), d'autre part d'un grand nombre de contraintes sociales (le surmoi).

Disciple dissident de Freud, Carl Gustav Jung affirme que l'on ne naît pas individu, on le devient : l'individuation est « un processus par lequel un être devient une unité autonome et indivisible »[131] mais ce processus lui-même n'a cours qu'au prix d'une longue et difficile dialectique du moi et de l'inconscient : faute de s'y consacrer, un grand nombre d'humains succombent au Zeitgeist et aux lieux communs véhiculés par la société de masse : « seul peut résister à une masse organisée le sujet qui est tout aussi organisé dans son individualité que l'est une masse »[132].

Inspiré à la fois par les théories de Jung[133] et par celles, plus récentes, du Français Guy Debord (La Société du spectacle, 1967), l'Américain Christopher Lasch affirme en 1979 que, confrontés à la culture de masse et faute d'un capital culturel minimal, un grand nombre de sujets sont incapables de mener la moindre introspection, faire preuve du moindre esprit critique réflexif ; ils ne peuvent se supporter eux-mêmes qu'en se mentant constamment, en (se) donnant une image d'eux-mêmes à la fois superficielle et fausse. En définitive, affirme t-il, ce que l'on appelle "individualisme contemporain" doit être qualifié de "narcissisme"[134]. « En instaurant un monde d'objets éphémères, l'ère industrielle plonge (l'humain) dans un nouveau rapport à lui-même. Devant l'instabilité et le caractère fondamentalement éphémère de tout ce qui l'entoure, il a dorénavant le sentiment que rien ne lui survit »[135].

Après Lasch, d'autres penseurs étudient la modernité sous le prisme de l'homme centré sur lui-même[136] ; citons Gilles Lipovetsky en 1983[137], Charles Taylor en 1989[138], Alain Ehrenberg en 1998[139] et les cercles psychanalytiques[140].

Les domaines de la modernité[modifier | modifier le code]

"La modernité" s'exprime au fil du temps de manières différentes : par les arts, la science et la technique, l'évolution des idées (notamment en philosophie et en politique) mais aussi dans le cadre de la vie quotidienne. Un regard d'ensemble sur ces différentes "modernités" permet d'évaluer ce qu'elles ont en commun.

Littérature et poésie[modifier | modifier le code]

À la fin du XVIIe siècle est née au sein de l’Académie française une polémique connue sous l'appellation Querelle des Anciens et des Modernes qui connaîtra des prolongements au siècle suivant, quand Marivaux inaugurera un genre tout à fait nouveau de théâtre et que Diderot définira le genre du drame bourgeois. Et c'est un poète du XIXe siècle, Charles Baudelaire, qui ouvre le débat sur "la modernité" bien au-delà des cercles littéraires[141], quand, en 1863, il publie dans Le Figaro un article qui sera par la suite très largement commenté : Le Peintre de la vie moderne. Dix ans plus tard, dans Une saison en enfer, Arthur Rimbaud lance cette injonction : "il faut être absolument moderne".

Art et architecture[modifier | modifier le code]

Au milieu du XVIe siècle, le tout premier historien de l'art, Giorgio Vasari, qualifie de maniera moderna la manière de peindre de Léonard de Vinci.

L'adjectif "moderne" revient ensuite régulièrement dans les domaines de l'art et de la littérature pour désigner la capacité des artistes et des écrivains de s'émanciper des codes esthétiques en vigueur, voire à les transgresser de façon plus ou moins radicale.

Philosophie[modifier | modifier le code]

Comme il est signalé plus haut, Descartes introduit explicitement le concept de modernité en philosophie par son Discours de la méthode en 1637, en affirmant qu'un individu ne peut se dire "homme" que dès lors qu'il procède à un usage systématique de sa raison : c'est le fameux "Je pense, donc je suis". Au fil de son siècle, le premier champ d'application de cette approche est celui des sciences. Mais à la fin du siècle suivant, dit "Siècle des Lumières", plus précisément durant sa seconde moitié, l'ensemble des philosophes européens se mobilisent pour appliquer le principe de la rationalité à tous les champs de l'existence.

Sous l'impulsion de deux d'entre eux, Diderot et d'Alembert, ils élaborent durant plusieurs années un corpus dont l'objectif est de recenser l'ensemble sur des connaissances dans tous les domaines : l'Encyclopédie. Cette entreprise les conduit à prendre conscience du caractère relatif des connaissances : leurs contenus et les méthodes pour les acquérir varient sensiblement non seulement selon les régions du globe mais aussi, pour ce qui concerne la leur — l'Europe — au fil du temps. C'est ainsi que "le sens de l'histoire", l'historicité, va constituer peu à peu l'axe premier du concept de modernité et que va prendre son essor ce que l'on appelle la "philosophie de l'histoire".

Un des postulats des théoriciens de la modernité et du progrès repose sur l'idée que les individus sont non seulement « autonomes » par rapport au processus historique mais que chacun d'eux dispose de la capacité d'en infléchir le cours en exerçant ses responsabilités. C'est pourquoi une certaine « philosophie de l'action » va peu à peu se retrouver au cœur même du concept de modernité[réf. nécessaire].

Histoire[modifier | modifier le code]

Science[modifier | modifier le code]

Technique[modifier | modifier le code]

Comme déjà précisé plus haut, Pierre Chaunu associe l'idée de modernité avec l'histoire des instruments de mesure du temps. Et selon lui, cette histoire remonte au début du XIVe siècle, quand se développent les premières horloges mécaniques. Déjà en 1934, l'historien américain Lewis Mumford écrivait :

« L’horloge n’est pas seulement un moyen de suivre la marche des heures ; c’est aussi un moyen de synchroniser les actions des hommes. […] C’est l’horloge, non la machine à vapeur, qui est la machine vitale de l’ère industrielle moderne… Dans sa relation à des quantités d’énergie déterminables, à la standardisation, à l’action automatique, et finalement à son produit propre et spécial, l’heure exacte, l’horloge a été la machine la plus avancée de la technique moderne ; et à chaque période elle est restée en tête : elle marque une perfection à laquelle les autres machines aspirent[142]. »

Selon Chaunu, l'idée de modernité s'inscrit vraiment dans les esprits au début du XVIIe siècle, en 1609 exactement, quand Galilée utilise une lunette — utilisée jusqu'alors dans les situations de guerres — pour observer le ciel et quand, l'année suivante, il écrit : « J'ai vu en un an vingt fois plus de choses que tous les hommes n'en ont vu en 5 600 ans[n 4]. »

À l'époque, Galilée ignorait ce que la théorie de la relativité permettrait de comprendre, trois siècles plus tard, que plus on regarde loin dans l'espace, grâce à un télescope, et plus on regarde l'univers tel qu'il était dans le passé. Selon Chaunu, l'idée de modernité devient prégnante au fur et à mesure que se développent les instruments de mesure, qu'il appelle "multiplicateurs sensoriels". Grâce à eux, dit-il, et grâce aux nouvelles techniques en navigation, autorisant la découverte des continents lointains, les humains accèdent à une approche de leur géographie et de leur histoire qui, non seulement dépasse les limites de leur échelle d'individus (ce qu'ils pouvaient déjà ressentir auparavant avec le sentiment d'éternité) mais qu'ils sont cette fois en mesure d'analyser, mesurer, dater, quantifier, objectiver[17].

Économie[modifier | modifier le code]

Vie politique[modifier | modifier le code]

Les discours des Lumières, au fil du XVIIIe siècle — en premier lieu ceux de Jean-Jacques Rousseau — ont constitué le socle idéologique de la Révolution française et fondé ce que le politologue Maurice Barbier appelle la « modernité politique » :

« La modernité politique consiste essentiellement dans la séparation entre l'État et la société civile, entre la sphère publique et le domaine privé. Elle résulte d'un long processus historique qui conduit de l'État ancien à l'État moderne, devenu distinct et séparé de la société. Elle n'apparaît qu'à la fin du XVIIIe siècle, presque simultanément aux États-Unis et en France. Elle se répand ensuite progressivement en Europe où elle trouve ses théoriciens et ses critiques. Mais elle se heurte aussi à de sérieux obstacles, notamment le fait national, les divers totalitarismes et l'intégrisme religieux[143]. »

Le débat sur la question de la modernité se focalise sur la figure sur de l'État[144].

Vie quotidienne[modifier | modifier le code]

« Par sa description des détails de la vie sociale, Georg Simmel dessine au début du XXe siècle le portrait d’une modernité à la fois libératrice et aliénante »[145].

Les lieux de la modernité[modifier | modifier le code]

Europe et Occident[modifier | modifier le code]

Le capitalisme est né en Europe au XIIe siècle, précisément au moment où le mot capital entrait en usage pour désigner une quantité d'argent à faire fructifier[146]. C'est donc à cette époque et à cet endroit que s'est développé le discours justifiant les principes et les méthodes du capitalisme. Et dès lors que celui-ci s'incarnait dans la figure de l'entrepreneur et qu'il allait sans cesse prendre de l'ascendant par rapport à l'homme d'Église et l'homme d'État, le concept de modernité ne pouvait qu'être exporté dans l'ensemble du monde.

De fait, au début du XVIe siècle, l'image la plus connue de l'entrepreneur est celle du conquistador : l'homme qui, précisément quitte l'Europe pour découvrir et annexer, coloniser, de nouveaux territoires ; et qui, ce faisant, va y exporter ses propres valeurs et références : le christianisme et l'esprit d'entreprendre. C'est ainsi que peu à peu, le monde entier s'est "européanisé" et que l'on parle alors d'occidentalisation du monde. Comme l'avance en 1985 l'ethnologue Georges Balandier, « la modernité occidentale est conquérante et elle se donne comme exclusive »[147].

Sur l'aspect du capital qui représente une certaine quantité d'argent, le sociologue Ferdinand Tönnies, à la fin du XIXe siècle, soutient que l'argent est le marqueur le plus significatif de la modernité. Par lui, l'humanité découvrirait la réalité, le concret, l'historique. L'argent représente le mouvement de l'univers aussi bien que l'instantané. Avec lui, les lois propres des choses s'imposent, et les dégagent des d'opinions personnelles des uns et des autres. Ainsi, de l'argent, découlerait, à cette époque, une relation nouvelle entre la liberté et la dépendance. L'argent donnerait tout à la fois une indépendance à chaque personne, mais dans le même mouvement leur égalisation, leur nivellement, leur inclusion dans des cercles sociaux toujours plus grand[39].

Le mythe de l'Occident[modifier | modifier le code]

De la ville à la masse[modifier | modifier le code]

Jacques Attali avance que c'est d'abord parce qu'ils sont les "inventeurs de la ville", ou plus exactement de la Cité-État, que les Grecs figurent parmi les premiers grands "modernes" européens[148] : pas de modernité sans contradiction, sans débat démocratique, sans agora, voire sans multitude.

Ainsi, Londres, Paris, Berlin, Vienne… les capitales européennes les plus peuplées durant la fin du XIXe siècle colportent la réputation d'être les principaux "foyers de modernité", ainsi que le soulignent dès cette époque les premiers grands sociologues, notamment Georg Simmel[149],[150]car, de par leur dimension cosmopolitique, ils constituent les lieux de confrontation d'idées par excellence.

« Mais la modernité n'est pas seulement la ville précise Henri Meschonnic, elle est "les masses". L'ère des masses[151]. »

Les époques de la modernité[modifier | modifier le code]

L'épineuse question des origines[modifier | modifier le code]

Il est parfois d'usage de qualifier l'homo sapiens (apparu il y a 200 000 ans) d'homme moderne[152],[153] et par conséquent de faire remonter la question de la modernité aux origines mêmes de l'humanité[154]. Selon l'essayiste Jacques Attali, il est toutefois préférable de réserver le qualificatif de "moderne" aux moments où les humains se montrent sensiblement plus ouverts au changement que par le passé :

« Pendant des millénaires, les sociétés préhistoriques se sont voulues répétitives, de peur que tout changement soit porteur de mort. Les hommes espéraient, sans en être assurés, le retour du soleil chaque matin, de la pluie chaque automne, des premières pousses chaque printemps. Rien ne les inquiétait plus que le changement. La modernité, c'était donc pour eux le retour au même. Puis le neuf au service de l'individu est devenu une valeur positive, avec les premiers progrès techniques : le feu, la pierre taillée, puis polie, le levier, la roue et le passage du nomade au sédentaire, de la campagne à la ville. C'est d'abord le monde des nomades du Proche-Orient et des marins de la Méditerranée, inventeurs de l'agriculture et de la ville. En particulier le monde hébraïque puis le monde grec font l'apologie du nouveau. Le monde romain reprend à son compte une partie de l'héritage des mondes juifs et grec. Puis le christianisme. Cette modernité durera plus de mille ans…
À partir du XIIe siècle débute en Italie et en Europe du Nord une révolution économique et culturelle. Les marchands commencent à produire autrement. Le salariat voit le jour. Les bourgeois veulent un autre art : ils financent des beffrois, qui concurrencent les clochers. L'architecture, la musique et la littérature s'intéressent à d'autres sujets que le religieux. À partir du XVe siècle, l'invention de l'imprimerie (dans les années 1450), la découverte des Amériques (1492) et la comptabilité engendrent en Europe ce que l'on appellera plus tard "l'Europe des temps modernes". Peu à peu se forme une nouvelle idée de la modernité qui n'est ni grecque ni chrétienne : ce n'est plus la modernité de l'Être ni de la Foi mais celle de la raison[155]. »

Les origines du concept de modernité sont donc extrêmement floues dans la mesure où les critères pour le définir sont variables :

  • grandes mutations biologiques puis psychosociales survenues durant la préhistoire : capacité de se tenir debout et de manipuler des objets ; structuration du langage ; capacité de concevoir et fabriquer des objets (le feu, les vêtements, la roue, autres techniques…) ; domestication de l'environnement (agriculture, élevage d'animaux, création de routes et de ponts…) ; développement de la "pensée magique" (proto-religions)…
  • débuts de l'histoire : invention de l'écriture, premières villes, premières civilisations…
  • débuts de la réflexivité : judaïsme et christianisme, premières "religions du livre" ; naissance de la philosophie en Grèce (capacité à penser la condition humaine par l'usage exclusif de la raison) ; naissance des sciences (approches théoriques du réel, là encore au moyen exclusif de la raison) ; invention de la démocratie ; naissance de l'histoire en tant que science (Hérodote, Ve siècle av. J.-C.), donc de l'historicité (conscience du temps qui passe et des rapports de causalité entre les faits, qu'ils soient provoqués par la nature ou par les hommes, conduisant à l'émergence d'un véritable sens "sens de l'histoire" (le mot "sens" étant pris dans sa double acception : "déroulement" et "signification").

Dans la pratique, la plupart des intellectuels s'accordent à faire coïncider l'apparition du concept de modernité avec la naissance de ce que l'on appelle généralement l'humanisme. Là encore, toutefois, les points de vue divergent : à quand faire remonter l'humanisme ? Certains, tels Levant Yilmaz, situent son orée au début du XIVe siècle, quand Dante et Pétrarque abandonnent le latin — la langue de l'Église par excellence — pour s'exprimer dans une langue vernaculaire, en l'occurrence le toscan[156]. En définitive, le moment suscitant le plus grand consensus est le XVIe siècle, siècle de la Réforme protestante, prélude de ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle "la sortie de la religion"[157], c'est-à-dire celui de la prétention des hommes à s'autodéterminer, interpréter et conduire leur propre histoire sans se référer aucunement à la moindre autorité transcendante, voire en niant tout principe de transcendance (athéisme).

L'émancipation humaniste (XVIe siècle)[modifier | modifier le code]

Comme bon nombre d'intellectuels, Jürgen Habermas estime que les véritables origines du concept de modernité se situent autour de 1500, soit aux moments de la découverte du nouveau monde, de la Renaissance italienne et de la Réforme, premier grand mouvement de contestation de l'Église catholique[158].

Célèbre pour son ouvrage Le Prince, paru en 1532 et qui constitue une première ébauche de la philosophie politique, le Florentin Nicolas Machiavel est fréquemment considéré comme l'un des initiateurs du concept de modernité en Europe[159].

Dans un essai intitulé Les Trois Vagues de la modernité et paru en 1975 — soit deux ans après sa mort — le philosophe Leo Strauss voit en lui "la première vague de la modernité" :

« Qui donc est le premier philosophe politique à avoir explicitement rejeté toute la philosophie politique antérieure comme fondamentalement insuffisante, voire erronée ? Il n’est pas difficile de répondre : il s’agit de Hobbes. Pourtant, un examen plus minutieux montre que, quoique très originale, la rupture radicale de Hobbes avec la tradition de la philosophie politique ne fait que prolonger le travail entrepris en premier lieu par Machiavel. Machiavel, de fait, ne mettait pas moins radicalement en question que Hobbes la valeur de la philosophie politique traditionnelle ; il ne prétendait pas moins clairement que Hobbes se situer à l’origine de la véritable philosophie politique, même s’il exprimait cette prétention plus discrètement que Hobbes n’allait le faire[160]. »

L'essor des sciences et du rationalisme (XVIIe siècle)[modifier | modifier le code]

Vers 1620, l'Anglais Francis Bacon développe une théorie de la connaissance basée sur l'expérience[161]. En fondant la pensée scientifique sur l'empirisme, il inaugure une toute nouvelle façon de penser le monde.

Quelques années plus tard, en 1637, le Français René Descartes se fait l'apologue du rationalisme dans son célèbre Discours de la Méthode. Son célèbre "Cogito ergo sum" introduit le subjectivisme dans le champ de la philosophie et c'est à ce titre qu'il est régulièrement considéré comme un "fondateur de la modernité"[162],[163].

Rompant l'un et l'autre avec la pensée scolastique, qui a irrigué tout le Moyen Âge, ces deux philosophes contribuent à répandre un nouveau paradigme en Europe : le matérialisme. Du moins contribuent-ils à diffuser l'idée que l'homme est désormais apte à penser par lui-même le monde et sa propre condition, et non plus dans une optique religieuse, ni même aristotélicienne[164].

Les libertés politiques et économiques (fin XVIIIe siècle)[modifier | modifier le code]

Selon Strauss, « la seconde vague de la modernité apparaît avec Rousseau. Ce penseur a transformé le climat moral de l’Occident aussi profondément que Machiavel[160]. »

Le capitalisme et l'idéologie du progrès (XIXe siècle)[modifier | modifier le code]

La crise de la modernité (fin XIXe siècle - XXe siècle)[modifier | modifier le code]

Non seulement le thème de la « crise de la modernité » est devenu récurrent dans les sciences humaines tout au long du XXe siècle mais aussi, plus largement, celui de « crise ». Selon Edgar Morin, « la notion de crise s’est (alors) répandue à tous les horizons de la conscience contemporaine. Il n’est pas de domaine qui ne soit hanté par la notion de crise : le capitalisme, le droit, la civilisation, l’humanité… Mais cette notion en se généralisant s’est vidée de l’intérieur »[165].)

En entend par « crise de la modernité » l'ensemble des interrogations, voire le désarroi, d'un grand nombre de philosophes, constatant dès la fin XIXe siècle que leurs idées non seulement sont sans effet sur le contrôle du réel (projet des Lumières) mais sur sa compréhension[166].

Strauss situe l'amorce de cette crise à la pensée de Nietzsche[160].

Le regain via la libéralisation des mœurs (XXe siècle)[modifier | modifier le code]

Quelques regards contemporains sur l'évolution du concept[modifier | modifier le code]

Progressisme et modernisme : un même paradigme[modifier | modifier le code]

Désenchantement du monde ou sacralisation de la technique[modifier | modifier le code]

Le perfectionnement des techniques de guerre constitue une cause principale de l'étendue du désastre de la Première Guerre mondiale (plus de 40 millions de morts). à la même époque, le taylorisme et le fordisme se répandent de plus en plus dans les usines aux États-Unis. Le thème de la machine entre alors dans les préoccupations d'un certain nombre de philosophes et de sociologues mais aussi d'auteurs de fiction tels le Tchèque Karel Čapek qui, en 1920, dans son roman d'anticipation R. U. R., imagine un monde façonné par des machines androïdes qui, dénuées de toute sensibilité, finissent par anéantir l'humanité (le mot « robot » est à cette occasion utilisé pour la première fois).

Différents questionnements émergent durant l'entre-deux-guerres : les humains ne sont-ils pas sur le point de sacrifier leurs vies aux machines ? Consciemment ou pas, n'en viennent-ils pas à les valoriser à l'excès ? Si tel est le cas, la thèse weberienne du désenchantement du monde est-elle vraiment pertinente ? Et si ce n'est pas le cas, le désenchantement du monde ne s'accompagne t-il d'un "désenchantement de l'humanité" dans sa globalité, une déperdition de sens ?

Recevant en 1927 le prix Nobel de littérature, le philosophe Henri Bergson prononce ces mots : « on avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd'hui qu'il n’en est rien, et que les antagonismes, loin de disparaître, risqueront de s’aggraver s’il ne s’accomplit pas aussi un progrès spirituel, un effort plus grand vers la fraternité »[167].

De même, en 1930, dans La rançon du machinisme, l'écrivaine italienne Gina Lombroso voit dans l’industrialisation « un symptôme de décadence intellectuelle et morale ». L'année suivante, le philosophe Oswald Spengler estime que « la mécanisation du monde est entrée dans une phase d'hyper tension périlleuse à l'extrême. […] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l'empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine, faisant ou essayant de tout faire mécaniquement »[168]. Toujours en 1931, dans De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale, Nicolas Berdiaev écrit : « si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. (…) La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine. Elle scinde, en quelque sorte, l’esprit de la chair organique et mécanise la vie matérielle. Elle modifie l’attitude de l’homme à l’égard du temps, modifie ce dernier lui-même qui subit alors une accélération précipitée »[169],[170].

Introduite dès la fin du XIXe siècle (lire plus haut), l'idée de « crise de la modernité » se généralise au point que le terme « crise » se répand dans l'ensemble des sciences humaines. En 1935, deux ans après l'accession au pouvoir d'Hitler en Allemagne et quatre ans avant que n'éclate la Seconde Guerre mondiale, Edmund Husserl rédige une série d'essais qui ne seront publiés qu'après sa mort, en 1954, sous le titre La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale et connus sous le diminutif Krisis[171]. Dans ces textes, il formule l'idée que toute l'Europe de l'Ouest traverse une gigantesque crise morale et que celle-ci repose sur l’abandon progressif de l’idéal grec de la philosophie au profit d’une science étroitement objectiviste et matérialiste.

« Post-modernité » et « hypermodernité », avatars de la modernité[modifier | modifier le code]

La collapsologie, « fuite en avant » de la modernité[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Lire Yves Bonny, Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ? Armand Colin, 2004. réed. 2007. p. 30-31
  2. <On doit à l'historien italien Giambattista Vico d'avoir ouvert la voie quarante ans plus tôt, en 1725, avec ses Principes d'une science nouvelle relative à la nature commune des nations. L'ouvrage ne sera traduit en français qu'un siècle plus tard - en 1827 par Jules Michelet sous le titre « Principes de la philosophie de l'histoire » - et sera alors abondamment commenté.
  3. Lire plus bas la totalité de la citation.
  4. Ce nombre se réfère à la chronologie biblique traditionnelle.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Bruno Karsenti, Sociologie, philosophie : la modernité en question, Archives de Philosophie, 2013/4, tome 76, p. 547-551.
  2. Stéphane Haber, L’idéologie de la modernité (à propos du livre de Marcel Gauchet, L’Avènement de la démocratie, tome IV, La Vie des idées, 28 février 2018.
  3. Jean-Marc Narbonne, Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident, Les Belles Lettres, 2016
  4. Barbara Koehn, La Crise de la modernité européenne, Presses universitaires de Rennes, 2001
  5. « L'échec de la Modernité », sur Expertise & Prospective (consulté le ).
  6. Olivier Bobineau, La troisième modernité, ou « l'individualisme confinitaire », Sociologies, 6 juillet 2011
  7. Laurent Jeanpierre, La fuite en avant de la modernité (recension du livre d'Hartmut Rosa, L'Accélération), Le Monde, 15 avril 2010
  8. Jacques Bidet, Théorie de la modernité, Presses Universitaires de France, 1990
  9. Christian Delacroix, « Illusion d'otique » (recension du livre de Jacques Bidet), Espace Temps, no 49-50, 1992, p. 137-138
  10. Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, 1956, chap. 14, §2. ouvrage réédité aux PUF en 1986.
  11. a et b Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire Robert, 1995, p. 1258
  12. Jürgen Habermas, Discours philosophique de la modernité, Gallimard, 1988. Cité par Nicolas Duvoux, Les grammaires de la modernité, Le Philosophoire, 2005/2, no 25, page 136
  13. a et b Frédéric Guillaud, « La modernité : crise d'adolescence de l'humanité ? », Le Philosophoire, no 25,‎ , p. 77-88 (lire en ligne).
  14. Marion Moreau, Balzac et la modernité, Fabula, 2012
  15. Roland Chollet, Balzac critique littéraire en 1822, L'Année balzacienne, 2012/1, no 13, p. 231-242
  16. Jean Rivière, Pour l'histoire du terme « modernisme », Revue des Sciences religieuses, 1928, 8-3, p. 398-421
  17. a et b Pierre Chaunu, « La modernité, qu'est-ce que c'est ? », sur Études et recherche, .
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    Du même auteur : L'Aventure occidentale : modernité et globalisation, Sciences humaines, 2016
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  116. Monique Boireau-Rouillé, « La modernité contre la démocratie ? » Réfractions, 17 novembre 2005
  117. Yves Couture, Stéphane Vibert et Marc Chevrier (dir.), Démocratie et modernité, Presses universitaires de Rennes, 2015
  118. Jean-Pierre Bernajuzan, « Quel est le rapport entre la démocratie et la modernité ? » Mediapart, 6 décembre 2018
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  120. Charles Taylor, Hegel and modern Society, Cambridge University Press, 1979. Tr. fr. Hegel et la société moderne, Éditions du Cerf, 1998
  121. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit (publiés en 1820), Gallimard/Tel, 1989
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  144. Laurent Cournarie, L’État ou la modernité politique en question, Philopsis, 17 juillet 2016
  145. Xavier Molénat, Georg Simmel : L'ambivalence de la modernité, revue Sciences humaines, no 217, juillet 2010
  146. Fernand Braudel, La Dynamique du capitalisme, 1985, p. 232
  147. Georges Balandier, Le Détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, p. 220
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Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

XVIe – XIXe siècles[modifier | modifier le code]

XXe siècle[modifier | modifier le code]

Avant 1960

Années 1960

Années 1970

Années 1980

Années 1990

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  • Jacques Bidet, Théorie de la modernité, Presses universitaires de France, 1990
  • Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, La Découverte 1991. Réed. 2006 (recension)
  • Charles Taylor, Le Malaise de la modernité (édition originale : 1991), Cerf, 2002 (ISBN 978-2-204-07066-9)
  • Zygmunt Bauman, Modernity and Ambivalence, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1991 (non traduit)
  • Alain Gauthier, La Trajectoire de la modernité, PUF, 1992
  • Maurice de Gandillac, Genèses de la modernité : De la "Cité de Dieu" à la "Nouvelle Atlantide", Éditions du cerf, 1992
  • Alain Touraine, Critique de la modernité, Fayard, 1992 (ISBN 2-213-03005-7)
  • Charles Larmore, Modernité et morale, Presses Universitaires de France, 1993
  • Yves Vadé (dir.), Ce que modernité veut dire (Modernités, volume 1), Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1994 (recension : Rémi Soulié)
  • Jean Rémy, Georg Simmel. ville et modernité, L'Harmattan, 1995
  • Gérard Raulet, Communauté et modernité, L'Harmattan, coll. « La philosophie en commun », 1995
  • Raymond Aron, Les Désillusions du progrès : Essai sur la dialectique de la modernité, Gallimard, 1996
  • Peter Wagner, Liberté et discipline. Les deux crises de la modernité, Métailié, 1996
  • Lilyane Deroche-Gurcel, Simmel et la modernité, PUF, 1997
  • Collectif, La Modernité en question, Éditions du cerf, 1998
  • Danilo Martuccelli, Sociologies de la modernité : l'itinéraire du XXe siècle, Gallimard, 1999. Recension (Persée)
  • Alain Renaut (dir.), Histoire de la philosophie politique, tome 2 : Naissances de la modernité, Calmann-Lévy, 1999
  • Étienne Ganty, Penser la modernité : Essai sur Heidegger Habermas et Eric Weil, Presses universitaires de Namur et Multilingual, 2002

XXIe siècle[modifier | modifier le code]

Années 2000

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  • Jean-Marc Piotte, Les Neuf Clés de la modernité, Québec Amérique, 2001. Réed. 2007
  • Robert Kurz, « Der Knall der Moderne », JungleWorld,
    (trad. fr. La modernité à explosion, Palim-psao, 2018)
  • Henri Meschonnic et Hasumi Shigehiko, La modernité après le post moderne, Maisonneuve et Larose, 2002
  • Collectif, Modernités. Culture et pensée jungienne, La Vouivre no 12, Georg, 2002
  • David Harvey, Paris, Capital of Modernity, New York/Londres, Routledge, 2003.
    Trad. fr. Paris, capitale de la modernité, Paris, Les Prairies ordinaires, 2012. Recension : Critique d'Art, 2012
  • Yves Bonny, Sociologie du temps présent. Modernité avancée ou postmodernité ?, Armand Colin, coll. « U sociologie », 2004
  • Gilles Lipovetsky (avec Sébastien Charles), Les Temps hypermodernes, Grasset, 2004
  • Levent Yilmaz, Le Temps moderne. Variations sur les Anciens et les contemporains, Gallimard, coll. « Nrf/Essais », 2004
  • Nicole Aubert (dir.), L’Individu hypermoderne, Érès, 2005
  • Emile Perreau-Saussine, Les libéraux face aux révolutions : 1688, 1789, 1917, 1933, Commentaire, printemps 2005, p. 181-193. [PDF] Lire en ligne
  • Ata Hoodashtian, Une modernité sans Occident, Zagros, 2006
  • Philippe Simay (dir.), Capitales de la modernité. Walter Benjamin et la ville, Editions de l'Éclat, 2006. Rééd. 2018
  • Claude Fouquet, Histoire critique de la modernité, L'Harmattan, 2007 (ISBN 978-2-29603-505-8)
  • Albéric Hounounou, Sociologie et modernité, Bréal, 2007
  • Alain Finkielkraut, Philosophie et modernité, Editions de l'école polytechnique, 2008
  • Alain Becchia, Modernités de l’Ancien Régime (1750-1789), Presses universitaires de Rennes, 2009
  • Denis Rolland, Modernités alternatives : L'historien face aux discours et représentations de la modernité, L'Harmattan, 2009

Années 2010

  • Pierre Manent, Les Métamorphoses de la Cité, Flammarion, 2010
  • Emile Kenmogne (dir.), Le Développement et la question de la modernité, L'Harmattan, 2010
  • Christophe Charle, Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité, Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2011.
    Recensions : Le Monde ; Revue d’histoire du XIXe siècle ; La vie des idées
  • Bernard Dumont, Gilles Dumont, Christophe Réveillard, La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété, Artège, coll. « Philosophie politique », 2012 (ISBN 978-2-36040-072-0)
  • Pierre-Antoine Chardel, Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité, Cnrs, 2013
  • René Girard et Gianni Vattimo, Christianisme et modernité (livre d'entretiens), Flammarion, coll. « Champs Essais », 2014
  • Élodie Cassan (dir.), Descartes et Bacon, Genèses de la modernité philosophique, ENS éditions, Paris 2014
  • Jacques Attali, Histoire de la modernité : comment l'humanité pense son avenir, Robert Laffont, 2013. Réed. Champs/Essais, 2015
  • Rémi Brague, Le règne de l'homme, genèse et échec du projet moderne, Gallimard, collection « L'esprit de la cité », 2015, 416 p.
  • Louis Côte, L'inscription des sociétés non occidentales dans la modernité, Presses de l'Université du Québec, 2015
  • Emmanuel Fureix et François Jarrige La modernité désenchantée, La Découverte, 2015 (ISBN 978-2-70717-157-3)
  • Stéphane Moses, Walter Benjamin et l'esprit de la modernité, Les éditions du Cerf, 2015
  • Gérard Moussu (dir.), Travail social et sociologie de la modernité, Seli Arslan, 2015
  • Christophe Longbois-Canil, De moderne à modernité, Klincksieck, 2015
  • Jack Goody, Capitalisme et modernité : Le grand débat, Les Presses de Calisto, 2016
  • Carole Talon-Hugon, La Modernité, PUF, 2016
  • Collectif, Modernité ?, Krisis no 44, 2016 (ISSN 0994-2440)
  • Jean-Marc Narbonne, Antiquité critique et modernité : Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident, Les Belles Lettres, 2016
  • Jacques Attoumbré Yoboua, Heidegger et le problème de la modernité : Pour une conciliation de l'ontologie et de l'éthique, Université européenne, 2016
  • Jean-Marc Durand-Gasselin, Rousseau. Une philosophie de la modernité, Ellipses, 2016
  • Khaldoun Nabwani, L'Ambivalence de la modernité. Habermas vis-à-vis de Derrida, L'Harmattan, 2017
  • Pierre Le Vigan, Écrire contre la modernité, Independently published, 2017
  • Alain Touraine, Défense de la modernité, Seuil, 2018 (ISBN 2-021-40641-5)
  • David Bergeron, Occident, modernité, illusion et repositionnement ontologique et vital, L'Harmattan, 2018
  • Bertrand Buffon, Vulgarité et modernité, Gallimard, coll. « Le débat », 2019
  • Jérôme Meizoz, Absolument modernes !, Zoé, Genève, 2019, 160 pages.

Articles[modifier | modifier le code]

  • Jürgen Habermas, « La modernité : un projet inachevé », Critique, no 413 (Vingt ans de pensée allemande), Éditions de Minuit,
  • Richard Rorty, « Habermas, Lyotard et la postmodernité », Critique, no 442, Éditions de Minuit, p. 195-197,
  • Jean Baudrillard, « Modernité », Encyclopedia Universalis, 1985
  • Yves-Jean Harder, « Le sujet de la modernité », in René Heyer (dir.), L'ancien et le nouveau, Presses universitaires de Strasbourg, 1996
  • Gérard Raulet, « La tradition et la modernité ? », in Encyclopédie philosophique universelle, tome 4 (Agora philosophique), Paris, PUF, 1998
  • Georges Balandier, « Tradition et modernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, 2007
  • Stéphane Haber, « Modernité, postmodernité et surmodernité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidian (dir.), Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, 2007
  • Joël Decarsin, « Entre modernité fluide et modernité rigide » in Étudier en liberté les mondes méditerranéens, Leyla Dakhli et Vincent Lemire (dir.), Publications de la Sorbonne, 2016, p. 461-473

Colloques et séminaires[modifier | modifier le code]

Depuis 2009, le Collège des Bernardins, à Paris, réunit chaque année des intellectuels de disciplines différentes dans une structure appelée "Observatoire de la modernité", dont le but est de « questionner le concept sous différents angles, en croisant le regard des sciences humaines et de la théologie ».

Liens internes[modifier | modifier le code]

Généralités

Particularités

Liens externes[modifier | modifier le code]