Symbolisme (art)

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Le symbolisme est un mouvement littéraire et artistique apparu en France et en Belgique vers 1866, en réaction au naturalisme et au mouvement parnassien. Ce mouvement provient de la Russie, en particulier grâce à Valéry Brioussov, poète et fondateur du symbolisme russe.

Le mot est proposé par Jean Moréas, qui utilise ici l'étymologie du mot "symbole" (« jeter ensemble ») pour désigner l'analogie que cette poésie souhaite établir entre l'Idée abstraite et l'image chargée de l'exprimer. Pour les Symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les correspondances qui frappent d'inanité le cloisonnement des sens : sons, couleurs, visions participent d'une même intuition qui fait du Poète une sorte de mage. Le symbolisme oscille ainsi entre des formes capables à la fois d'évoquer une réalité supérieure et d'inviter le lecteur à un véritable déchiffrement : d'abord voué à créer des impressions - notamment par l'harmonie musicale - un souci de rigueur l'infléchira bientôt vers la recherche d'un langage inédit. L'influence de Stéphane Mallarmé est ici considérable, ce qui entraîne la poésie vers l'hermétisme.

Étymologie

La Mort du fossoyeur par Carlos Schwabe est un compendium visuel de thèmes symbolistes. La Mort et l'ange, la neige immaculée et la pose dramatique des personnages expriment tous l'aspiration symboliste à la transformation spirituelle, hors du monde.

Le mot « symbolisme » est formé à partir du terme « symbole » qui vient du latin symbolictum, « symbole de foi », symbolitulus, « signe de reconnaissance », du grec sumbolon, « objet coupé en deux constituant un signe de reconnaissance quand les porteurs pouvaient assembler (sumballon) les deux morceaux ». Dans la Grèce antique, le « symbolon » était un morceau de poterie qui était brisé en deux et qu’on donnait à deux ambassadeurs de cités alliées pour se reconnaître[réf. souhaitée].

Définition

Dans Un Manifeste littéraire, publié en 1886, Jean Moréas définit cette nouvelle manière : « Ennemie de l'enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective », la poésie symbolique cherche : « à vêtir l'Idée d'une forme sensible... » Les poètes symbolistes teintent leurs œuvres d'intentions métaphysiques, de mystère, voire de mysticisme. Le sujet a désormais de moins en moins d'importance, il n'est qu'un prétexte. Plusieurs artistes s'amusent à transposer une image concrète dans une réalité abstraite

George-Albert Aurier donne une définition du symbolisme dans un Mercure de France de 1891 : « L’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais considéré en tant qu’objet, mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative. »

Le symbolisme est une réaction au naturalisme. Les symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la sensibilité et inspirent l'imagination poétique.

Il renoue avec certains aspects du Romantisme, mais proclame surtout sa dette à l'égard de Baudelaire et de Wagner. Rimbaud, « passant considérable » dit Mallarmé, oriente à sa manière la poésie, dans sa Lettre à Paul Demeny (1871), vers la recherche d'une langue qui soit « de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant ». Mais c'est en Verlaine que les Symbolistes salueront leur chef de file, en raison d'une écriture dont l'Art poétique (1874) prescrit les règles :

« Car nous voulons la Nuance encore,

Pas la Couleur, rien que la nuance !

Oh ! la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor ! »

Contexte d'apparition

Depuis 1871, le gouvernement de la France est démocratique. En effet, la troisième République garantit les libertés fondamentales. De plus, les lois de Jules Ferry rendent l'école obligatoire, gratuite et laïque jusqu'à l'âge de 13 ans. La vie moderne apparaît dans la deuxième moitié du siècle grâce aux nombreux progrès techniques. Du côté idées, le positivisme triomphe[1]. Comme l'a montré Michel Décaudin, le Symbolisme découle d'une crise des valeurs et des formes, mais aussi du langage lui-même : pour comprendre le Symbolisme, il est essentiel de s'intéresser à Mallarmé et à Alfred Jarry. La définition de ce mouvement ne va pas de soi ; contrairement à d'autres, il ne résulte pas d'une volonté collective réfléchie, mais d'un rassemblement ponctuel d'auteurs. Le Symbolisme se décline surtout en une variété de théories et de tentatives formelles, où l'on peut retrouver les éléments suivants : tendance à l'hermétisme, modèle de la musique, magie évocatoire, recours à la mythologie, mysticisme, religiosité (voir La religion de Mallarmé de Bertrand Marchal, Corti, 1988). Enfin, la période symboliste se distingue par une intensification du rapport entre les arts, qui traduit l'idéal de synthèse qui nourrit le Symbolisme. L'amitié entre Maurice Denis et Vincent d'Indy, la correspondance de ce dernier avec Mallarmé sont à cet égard…symboliques !

Origines

Jeunes Filles au Bord de la Mer, de Puvis de Chavannes (1879).

En littérature, le mouvement du symbolisme trouve ses origines dans Les Fleurs du mal (1858 ) de Charles Baudelaire. L'esthétique symboliste fut développée par Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine durant les années 1860 et 1870. Dans les années 1880, l'esthétique symboliste, s'étayant à travers une série de manifestes, attira une génération d'écrivains. La traduction en français par Baudelaire de l'œuvre d'Edgar Allan Poe, d'une influence considérable, fut à l'origine de plusieurs tropes et images du symbolisme.

Distinct du mouvement en littérature, le symbolisme en peinture est statique et hiératique quand l'art romantique est impulsif et rebelle.

Roman

Le roman À rebours (1884) de Joris-Karl Huysmans contient plusieurs thèmes qui furent par la suite associés à l'esthétique symboliste. Ce roman, dans lequel peu d'action se déroule, est un catalogue recensant les goûts et décrivant la vie intérieure de Des Esseintes, un antihéros excentrique et reclus. Ce thème fut également exploité par Oscar Wilde dans plusieurs passages du Portrait de Dorian Gray, où l'apparition d'un « livre jaune » se réfère de manière explicite au roman de Huysmans.

Paul Adam était le plus prolifique et représentatif romancier symboliste. Les Demoiselles Goubert, coécrit avec Jean Moréas en 1886, est une œuvre à mi-chemin entre le naturalisme et le symbolisme. Peu de symbolistes utilisèrent cette formule, à l'exception près du Roi fou publié par Gustave Kahn en 1896. Une autre fiction étant parfois considérée comme symboliste sont les contes misanthropiques de Jules Barbey d'Aurevilly. Le premier roman de Gabriele D'Annunzio fut aussi écrit dans un esprit symboliste.

Musique

Le symbolisme influença aussi la musique. Plusieurs écrivains et critiques symbolistes étaient positifs à l'égard de la musique de Richard Wagner.

L'esthétique symboliste eut une influence importante sur le travail de Claude Debussy. Ses choix de textes et de thèmes proviennent presque uniquement du canon symboliste. Des compositions telles que ses arrangements de Cinq poèmes de Baudelaire, différentes mélodies sur des poèmes de Verlaine, l'opéra Pelléas et Mélisande, et son ébauche illustrant deux histoires d'Allan Poe, Le Diable dans le beffroi et La Chute de la maison Usher, indiquent les goûts et les influences symbolistes de Debussy. Son œuvre clé, la Prélude à l'après-midi d'un faune, était inspirée par un poème de Stéphane Mallarmé, L'Après-midi d'un faune.

Théâtre

Un changement de paradigme théâtral

La fin du XIXe siècle constitue un tournant remarquable et remarqué tant dans l’histoire des arts que dans l’histoire de la pensée de l’homme. Le développement de la psychanalyse depuis la rencontre entre Breuer et Freud, puis entre Freud et Charcot, a radicalisé un penchant de la littérature, qu’elle soit dramatique ou non : celui qui voulait faire du verbe poétique le creuset de l’intime. Intime dont on découvre la première majesté au théâtre avec le personnage de Faust de Goethe à propos de qui l’auteur dira lui-même : « Moi aussi, je m’étais poussé à travers toutes les sciences, et j’en avais reconnu de bonne heure la vanité. J’avais pris la vie par tous les côtés, et j’étais toujours revenu de mes tentatives plus mécontent et plus tourmenté. Ces choses et beaucoup d’autres, je les portais en moi et j’en faisais mes délices dans mes heures solitaires, sans toutefois rien mettre par écrit. »[2]. Désormais, les voix monologiques, dont la proximité avec l’auteur peut parfois confiner à l’autobiographie, prennent le pas sur le dialogue. L’élan romantique, associé à ce questionnement de plus en plus profond de l’existence humaine, bouleversa les dramaturgies, appelées à retrouver contact avec la réalité et avec l’âme. De fait, la fin du XIXe siècle correspond à une remise en cause du théâtre dramatique traditionnel. Les dramaturgies du Nord, avec notamment Strindberg et Ibsen, et la dramaturgie symboliste belge, toutes deux convoquées par le théâtre symboliste parisien, ont participé de cette réforme malgré l’absence de manifeste symboliste clair. C’est que la réunion de ces éléments épars s’est faite dans la difficulté, parfois dans la maladresse, compliquée par les rêves « globalisants » de ceux qui n’étaient pas des « gendethéâtre », par leurs utopies poétiques et politiques. La scène, la pauvre ou l’encombrée, la faste, la démunie, celle qui n’était en tout cas plus depuis longtemps la deuxième agora de la Cité, ne pouvait donc que difficilement satisfaire un symbolisme qui voulait réaffirmer la puissance du mystère dans un temps où athéisme, positivisme et évolutionnisme annihilaient toute possibilité de penser une ontologie de l’être qui serait, elle, intérieure, absente, voilée, à découvrir derrière le visible.

Le théâtre symboliste, en son sens à la fois littéraire et scénique, ne reconnaît pas de manifeste. L'effort définitionnel du terme "symbolisme" fut répété dans de nombreux articles. Il n'en demeure pas moins que ce théâtre, une nébuleuse à sa manière, fut l'une des forces de modernité importantes du tournant du siècle. L'autre est constituée par le naturalisme qui, s'il se distingue nettement d'un point de vue esthétique, ne lui est pas opposé : les deux mouvements cherchaient en somme une seule et même chose : faire de l'art différemment, c'est-à-dire réagir (réaction idéaliste pour le symbolisme, réaliste pour le naturalisme[3]) contre le drame romantique, le drame bourgeois et la théâtralité classique encore défendue par la Comédie-Française.

Deux scènes principales accueillent le symbolisme théâtral français : le théâtre d'Art (1890-1892) de Paul Fort et le théâtre de l'Œuvre (1893-1897) de Lugné-Poë. Ces salles, petites, sont occupées par un public d'initiés, abonné[4] et fort cultivé qui, pourtant, ne se retrouva jamais dans une affinité esthétique ou idéologique claire ; ce qui valut à ces lieux d'être des endroits particulièrement animés. D'une certaine manière, le mouvement théâtral symboliste a montré un manque de cohérence[5] qui a pu participer de la fugacité du "mouvement" : anarchistes libertaires côtoient anarchistes chrétiens ou syncrétistes ésotériques ; la dramaturgie d'Ibsen jouée au Théâtre Libre (scène naturaliste) d'André Antoine est récupérée par Lugné-Poë ; les représentations sont interrompues par les élans lyriques de certains spectateurs[6]

Pierre Quillard dont le De l’inutilité de la mise en scène exacte restera un texte-clé de la relégation du spectaculaire au théâtre écrivait notamment qu’avec le symbolisme, « le théâtre disparaît pour ainsi dire complètement, pour faire place à une déclamation dialoguée, une sorte de décoration poétique. ». Car, du point de vue de la réalisation artistique, l’utopie de la scène symboliste se définit en ces termes : « Que l’œuvre se montre toute nue, vierge de maquillage. ». Mais qu’est-ce à dire encore concrètement que cette « nudité » de l’œuvre, cette « disparition » du théâtre ?

Théâtre des disparitions et affirmation du théâtre

  • Disparition et affirmation sur scène.

À la manière de certains poètes symbolistes qui osaient sortir du théâtre, l’entreprise du Théâtre d’Art ou du Théâtre de l’œuvre fut parfois de créer une scène en creux, c’est-à-dire un endroit où l’on ne s’enferme pas et qui, surtout, ne se limite pas à ses murs, à son espace physique. En effet, la scène symboliste a toujours tendu à être, selon le mot de Pierre Quillard, un prétexte au rêve. Mais il ne faut pas entendre par cette expression qu’il y a éviction de la scène. Au contraire, le prétexte est tout aussi important que le texte lui-même s’il est la seule chose nous permettant d’y accéder, et cela même s’il doit subir, à terme, une relégation. Le théâtre devient donc avec les symbolistes une « pré-scène » à la scène mentale. Il est impossible alors sur cette pré-scène d’établir une véritable mise en scène comme on en connaît à l’époque et, encore moins comme celles que l’on connaîtra dans les années 1970 en France, de celles « bien faites », entièrement tenues dans une lecture herméneutique. Le théâtre symboliste se fait avec le spectateur, pour le spectateur et contre lui : contre ses habitudes, pour le réveil de son âme, avec son imaginaire. Il est ainsi laissé à la lecture une place de premier choix, seule à même peut-être de répondre à ce que Mireille Losco-Lena appelle « l’hypertrophie du spectaculaire au XIXe siècle »[7]. Ce spectaculaire rejoint ce « trop-plein d’hommes » sur scène (propre au drame romantique, et notamment au drame hugolien) : le théâtre, selon les symbolistes, ne laisse pas assez d’espace au spectateur. C’est ainsi que, de manière radicale, la théâtralité symboliste fut amenée à rechercher, à l’inverse, des espaces du vide, du silence, du confus et de l’obscur. Le comédien ne devait plus non plus se présenter comme avant. Corps et voix connurent alors un retravail important de façon à ne pas se substituer au texte, mais à le servir, et à ne plus faire de la scène une sur-scène ou une anti-scène mentale comme le redoutait Maeterlinck : « La scène est le lieu où meurent les chefs-d’œuvre parce que la représentation d’un chef-d’œuvre à l’aide d’éléments accidentels et humains sont antinomiques. Tout chef-d’œuvre est symbole et le symbole ne supporte jamais la présence active de l’homme. (…) L’être humain sera-t-il remplacé par une ombre, un reflet, une projection d’ombres symboliques ou un être qui aurait l’allure de la vie sans avoir la vie ? Je ne sais, mais l’absence de l’homme me semble indispensable. »[8] A priori, c’est dans une complète étrangeté au monde réel que la scène symboliste instaure son rapport au monde. Mais c’est sans compter sur la capacité symbolique du réel lui-même dont les lieux quotidiens, comme la maison dans Intérieur de Maeterlinck, changent de dimension et de sens. La scène devient, en effet, un « espace d’expression radicalement séparé du monde »[9] dont la coupure instaurée par la fiction – parfois d’ailleurs matérialisée par l’utilisation d’un rideau de gaze comme dans La Fille aux mains coupées de Quillard – ne sert pas tant de « quatrième mur » au sens classique que d’aide pour congédier ce que Mireille Losco-Lena appelle le « régime ordinaire du visible »[10]. Le spectateur a donc fort à faire dans le théâtre symboliste.

  • Disparition et affirmation dans la salle.

Le théâtre, devenu un espace de perception autre (un espace de vision), doit aussi devenir un espace de vie autre. C’est dans cette idée que le symbolisme a pensé le spectacle comme une expérience à la fois intime et collective. Le silence espéré devait être celui du retour sur soi, mais aussi de l’adhésion commune, si bien qu’un bruit de voix ou un bruit de pas devait rompre non seulement sa propre concentration intérieure, mais aussi celle de toute la salle. C’est pour cela que les symbolistes ont toujours privilégié des jauges restreintes dont Saint-Antoine et Jacques des Gâchons ont décrit l’atmosphère dans L’Ermitage : « Il est vrai que ce théâtre (celui de Maeterlinck), et c’est son écueil, exige un public d’une sympathie parfaite ; il suffit d’un auditoire mélangé, d’un seul spectateur hostile pour rompre la chaine magnétique et paralyser la pitié ou l’angoisse. »[11] « A la représentation d’une œuvre de Wagner ou d’Ibsen donc – ou d’Henri de Régnier – il devrait régner un inviolable silence. Les idées ne peuvent atteindre leur plein développement que dans une atmosphère parfumée d’anticipé respect. La poésie a le droit d’être traitée comme les sciences occultes, craintivement. La crainte de troubler un sacrifice d’art est le premiers pas vers sa pleine possession, la jouissance suprême. »[12] Il s’instaure donc une relation intime du spectateur avec les autres spectateurs ainsi qu’avec l’œuvre scénique. Dans cette passivité pleinement active, devait s’élaborer ce que Bertrand Marchal nomme la « psychanalyse scénique » permettant au spectateur d’accéder à « la conscience de sa divinité jusque-là obscurcie par la médiocrité sociale »[13].

Le spectacle ne doit plus dès lors être simplement pris comme « objet visible » en soi. La théâtralité symboliste appelle à une scène qui ne se tient jamais en soi et qui, parce qu’elle ne demande pas à être « pleinement » vue, a rendu inutile tout « œil du prince », permettant ainsi à ce théâtre de sortir des théâtres à l’italienne constituant à Paris le gros des salles de théâtre. Héritée de Richard Wagner, l'utilisation de l’obscurité sur scène est un pied-de-nez à cette attente. Elle joue avec les attentes du spectateur passif et l'oblige alors à l'impliquer concrètement dans la difficulté du « voir » et la difficulté à saisir véritablement ce qui se passe sur scène ou à en imaginer le circuit perdu. La nuit scénique en général dérange tout en permettant au spectateur de se défaire d'habitudes néfastes. Elle fait dès lors appel à tous les recours du spectateur : ses sens, son esprit, son corps qui doivent se mettre tout entier dans la volonté, la décision de bien voir, de bien entendre, de bien saisir. De plus, si la nuit est un moyen de déjouer les attentes du spectateur, elle est aussi un moyen de lui montrer qu'on ne peut jamais tout voir, accéder au « bien voir », à la perfection du voir, car l’important n’est plus tant, chez les symbolistes, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas. Enfin, cela fait sentir au spectateur ce qu’il ne sent jamais, cela fait voir qu’il y a de l’invisible ou de l’inaccessible. Il lui est, de fait, proposé d’adopter une position différente de celle du quotidien qui, pour autant, peut transformer positivement la perception de celui-ci.

  • Disparition de formes, affirmation d’un art.

Ce n’est donc pas seulement une nouvelle forme théâtrale que propose le symbolisme, mais bien un nouveau théâtre où le public ne se lit plus seulement dans l’œuvre, mais où l’œuvre se lit dans le public qui se lit dans l’œuvre, selon l’expression d’Alice Folco. Cette pensée bouleverse les théories faisant du theatron le lieu d’un simple « regarder ». Or c’est bien ce qui fera évoluer, au XXe siècle, la pensée de l’art. « Je peux prendre n'importe quel espace vide et l'appeler une scène. Quelqu'un traverse cet espace vide pendant que quelqu'un d'autre l'observe, et c'est suffisant pour que l'acte théâtral soit amorcé. »[14] Cette pensée, en un sens, est héritière de formes qui ont opéré un travail de raréfaction théâtrale à l’instar du symbolisme. Mireille Losco-Lena, citant Sophie Lucet, montre comment cet « autre » théâtre a questionné, dès sa construction, les fondements du théâtre : « Les symbolistes s’inspirent (…) du théâtre d’ombres proposé par Henri Rivière au Chat noir à la fin du XIXe siècle, et qui « propose un autre voir, un voir qui s’inscrit littéralement en creux, comme l’ombre du spectaculaire théâtral habituellement construit. » Quant à la mise en scène ou au décor, cette skenographian [15]déjà évoquée par Aristote dans La Poétique, Quillard disait qu’elle était créée par la « parole prophétique (…), comme le reste ».

L’utopie symboliste a été de repenser le théâtre pour repenser la vie : « Faut-il absolument hurler comme les Atrides pour qu’un Dieu se montre en notre vie et ne vient-il pas jamais s’asseoir sous l’immobilité de notre lampe ? N’est-ce pas la tranquillité qui est terrible lorsqu’on y réfléchit et que les astres la surveillent ; et le sens de la vie se développe-t-il dans le tumulte ou le silence ? N’est-ce pas quand on nous dit à la fin des histoires « Ils furent heureux » que la grande inquiétude devrait faire son entrée ? Qu’arrive-t-il quand ils sont heureux ? »[16].

Précautions : les dramaturges symbolistes affiliés au mouvement font montre d'une production dramaturgique très diverse, tant dans les sujets que dans les formes dramatiques. Ces informations doivent donc être prises avec précaution et problématisées vis-à-vis de chaque œuvre. On ne saurait en effet dire la même chose de La Princesse Maleine de Maeterlinck ou du Tête d'or de Paul Claudel. Cet article cherche avant tout à rendre compte de la scène symboliste plus que de l'écriture symboliste.

Parmi les articles ou œuvres de l'époque qui mettent en perspective le théâtre symboliste :
MALLARMÉ, STÉPHANE. « Crayonné au théâtre ». In: Œuvres Complètes. Jean Aubry et Henri Mondor (éd.). Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945. [recueil d'articles parus dans La Revue indépendance en 1885-1887. Publiés en recueil en 1887]. p. 291-351.
MALLARMÉ, STÉPHANE. Œuvres Complètes, tome II. Bertrand Marchal (éd.). Paris: Gallimard, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 2003.
MAETERLINCK, MAURICE. « Préface au Théâtre de 1901 ». In: Œuvres I, Le Réveil de l'âme, poésie et essais. Paul Gorceix (éd.). Bruxelles: Éditions Complexe, 1999. p. 495-503.
MAETERLINCK, MAURICE. « Menus Propos - Le théâtre ». In: Œuvres I, Le réveil de l'Âme. Paul Gorceix (éd.). Bruxelles: Éditions Complexe, 1999. [1890]. p. 457-463.
MAETERLINCK, MAURICE. « Le Tragique quotidien ». In: Œuvres I, Le Réveil de l'Âme. Paul Gorceix (éd.). Bruxelles: Éditions Complexe, 1999. [1896]. p. 487-494.
LUGNÉ-PŒ, AURÉLIEN. « À propos de "l'inutilité du théâtre au théâtre" ». Le Mercure de France. Octobre 1896. p. 90-98.
LUGNÉ-PŒ, AURÉLIEN. La Parade: Souvenirs et impressions de théâtre. Paris: Gallimard, 1930-1931-1932. tome I: Le Sot du tremplin; tome II: Acrobaties (1894-1902); tome III: Sous les étoiles (1902-1912).
CRAIG, EDWARD GORDON. Le Théâtre en marche. Maurice Beerbook (éd.). Paris: Gallimard, NRF, Pratique du théâtre, 1964. [1921].
CRAIG, EDWARD GORDON. De l'Art du théâtre. Paris: Circé, Penser le théâtre, 1999. [1911].

  • Quelques textes critiques pour l'analyse :

ABIRACHED, ROBERT. « La crise de la représentation : le personnage, le monde et le moi ». In: La Crise du personnage dans le théâtre moderne. Paris: Gallimard, Tell, 1994. [1978]. p. 173-244.
AUTRAND, MICHEL. Le Théâtre en France de 1870 à 1914. Paris: Honoré Champion, 2006.
DEAK, FRANTISEK. Symbolist Theater, The Formation of an avant-garde. The Johns Hopkins Univ. Press, 1993
LOSCO-LENA, MIREILLE. La Scène symboliste (1890-1896) : Pour un théâtre spectral. ELLUG, Grenoble, 2010
PELLOIS, ANNE. Utopies symbolistes : Fictions théâtrales de l’Homme et de la Cité. Thèse nouveau régime sous la direction de Bernadette Bost, Université Stendhal, Grenoble III, octobre 2006
ROBICHEZ, JACQUES. Le Symbolisme au théâtre, Lugné-Pœ et les Débuts de l'Œuvre. Paris: Éditions de l'Arche, 1957.
SARRAZAC, JEAN-PIERRE. « Reconstruire le réel et suggérer l'indicible ». In: Le Théâtre en France. Jacqueline de Jomaron (éd.). Paris: Le Livre de Poche, la Pochotèque, 1992. p. 705-730.

Écrivains

Les inspirateurs et modèles

(On notera ici que Rimbaud et Verlaine ne se sont pas dits expressément symbolistes, et que l'histoire littéraire a pris l'habitude, très tôt, de les ranger dans le "Symbolisme". Baudelaire est un précurseur).

Les poètes

Artistes

Les peintres

Hugo Simberg, L'Ange blessé, (1903)
Giovanni Segantini, La Morte, (1888 - 1889)

Les sculpteurs

Membres du groupe symboliste des « Nabis »

Musique

Critique

Notes et références

  1. Français méthode 2de/1re, édition Hachette éducation, p. 34
  2. Goethe, Poésie et vérité (Xe livre)
  3. http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Naturalisme_au_théâtre
  4. Les abonnements constituaient, pour ces petits théâtres, le seul mode de financement viable.
  5. PELLOIS, Anne. Utopies symbolistes : Fictions théâtrales de l’Homme et de la Cité, thèse nouveau régime sous la direction de Bernadette Bost, Université Stendhal, Grenoble III, octobre 2006, p. 123-133.
  6. À venir.
  7. M. Losco-Lena, Pour un théâtre spectral, op. cit., p. 24.
  8. Maeterlinck, Œuvres I : Le Réveil de l’âme, « Menus propos : le théâtre », op. cit.
  9. Anne Pellois, Utopies symbolistes : fictions théâtrales de l’homme et de la cité, op. cit., p. 682, cité chez M. Losco-Lena, Pour un théâtre spectral, op. cit., p. 37.
  10. M. Losco-Lena, Pour un théâtre spectral, op. cit., p. 37.
  11. Henri Mazel Saint-Antoine, « Le théâtre symboliste », L’Ermitage, janvier-juin 1894, p. 154
  12. Jacques des Gâchons, « Autour des théâtres », L’Ermitage, juillet-décembre 1894
  13. Bertrand Marchal, La Religion de Mallarmé, Corti, 1988, p. 247
  14. Peter Brook, L’Espace vide, L’Arche, p. 25.
  15. Aristote, La Poétique, 1449a
  16. M. Maeterlinck, « Le Tragique quotidien », dans Le Trésor des humbles (1896), Bruxelles, Labor, coll. « Espace Nord », 1986, p. 102.

Bibliographie

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Peinture :
Poésie :
  • Bertrand Marchal : Lire le Symbolisme, Dunod, 1993. (Excellente introduction au Symbolisme littéraire).
  • Raymond Pouilliart : Le Romantisme III, 1869-1896, Arthaud, 1968.
  • Michel Decaudin : La crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française (1895-1914), Privat, 1960 ; Slatkine, 1981.

Liens externes

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