Économie sociale de marché

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L’économie sociale de marché (Soziale Marktwirtschaft) est un système économique basé sur le capitalisme de marché, associé à une protection sociale. Elle a été développée et mise en place en Allemagne de l'Ouest par l'Union chrétienne-démocrate sous la direction du Chancelier Konrad Adenauer à partir de 1949. Elle est fortement inspiré par l'ordolibéralisme, les idées social-démocrates, ainsi que la tradition de pensée sociale de l'Eglise Catholique et plus généralement d'éthique chrétienne.

Naissance en Allemagne

En Allemagne, ce modèle a été institué par Ludwig Erhard, ministre de l'économie de la RFA sous le chancelier Konrad Adenauer, puis chancelier lui-même de 1963 à 1966. Erhard est conseillé par les ordolibéraux, qui attribuent la montée du nazisme à l'inflation. Celle-ci a aliéné les classes moyennes de la République de Weimar, puis l'a détruite. La doctrine de la Bundesbank reprendra cette préoccupation contre l'inflation, ce qui débouchera sur le succès international du mark, au point que l'objectif de contrer l'inflation est aujourd'hui adopté par de nombreuses banques centrales. Les ordolibéraux identifient également la cartellisation et le contrôle étatique de l'économie comme facteurs d'avènement du totalitarisme[1].

Le nom que les ordolibéraux donnent à leur doctrine est l'économie sociale de marché, qui assume l'idée que le libre-marché est naturellement social. Ce système s'oppose à l'économie planifiée et se démarque d'une économie de marché complètement libre[2] et de l'économie mixte[1]. Il cherche à obtenir et maintenir à la fois une croissance élevée, une faible inflation, un faible chômage, de bonnes conditions de travail et une protection sociale.

En juin 1948, Erhard, qui a été nommé par les Américains, décide d'abolir le contrôle des prix que les nazis avaient instauré. Erhard n'avait pas le pouvoir de modifier le système de prix mais en revanche rien n'avait été prévu quant à la possibilité de l'abolir entièrement, ce que Erhard décide de faire du jour au lendemain. Les Américains, qui n'ont pas été prévenus, sont sceptiques mais laissent faire. La réforme est un succès, qui abolit le marché noir. Bien que controversé au départ, ce modèle s'est imposé en Allemagne comme en Autriche, et on lui attribue le « Wirtschaftswunder » (en allemand miracle économique) de ces pays lors des Trente Glorieuses[1].

Évolution

Au Royaume-Uni, l'expression est reprise dans les années 1970 dans la même acception que celle des ordolibéraux par le Center for Policy Studies, qui réunissait les tories les plus libéraux, dont Margaret Thatcher et Keith Joseph. Le centre se fit un moment l'apologiste de l'économie sociale de marché, expression qui permettait de rappeler que seule une économie de marché pouvait permettre le progrès social[3]. L'ambiguïté de la formule conduisit plus tard à son abandon.

Michel Foucault a aussi soutenu dans son cours du Collège de France de l'année 1978-1979 que l'économie sociale de marché est un courant de pensée néolibéral bien spécifique[4].

Avec le temps, la formule est plus souvent employée à contre-sens au point que les libéraux l'ont délaissé et qu'elle est parfois reprise par des socialistes. En France, le syndicaliste Serge Le Queau rejette cette récupération et explique que l'expression est un faux ami[5], dans la mesure où, dans son acception originelle, elle ne désigne pas un simple compromis entre l'"économie sociale" et l'"économie de marché", mais un courant de pensée bien spécifique, d'origine allemande[6].

Pour le philosophe conservateur britannique Roger Scruton, l'économie sociale de marché est devenue en évoluant « une institution étatiste, fortement régulée d'en haut, au profit de puissants lobbies tels que les syndicats et la bureaucratie de l'État-providence. Il se méfie de la propriété privée et de la libre entreprise, se préoccupe avec obsession de l'égalité au sein des relations contractuelles, et accueille favorablement tout dogme égalitariste ». Si Roger Scruton rejoint Wilhelm Röpke sur de nombreux points notamment en partageant l'idée que le marché, s'il est nécessaire, ne saurait suffire pour assurer la cohésion sociale, il lui reproche cependant d'avoir adopté le point de vue de Marx qu'il juge dommageable, selon lequel les institutions sociales sont des produits de l'ordre économique plutôt que son fondement, ce qui offre in fine des justifications à l'intervention de l'État dans l'économie pour guérir les maux de la société[7].

Le Traité de Lisbonne, tout comme la Constitution européenne qu'il a vocation de remplacer, instaure l' « économie sociale de marché » comme un des objectifs principaux de l'Union européenne : "Elle (L'Union) œuvre pour [...] une économie sociale de marché hautement compétitive [...]" [8] [9].

Autre

La Chine parle officiellement d'« Économie socialiste de marché » pour son système économique, qui est cependant (très) différent d'une Économie sociale de marché.

On peut affirmer[Qui ?] que la Suisse a adopté un système d'économie sociale de marché en précisant toutefois que l'État y joue plutôt un rôle de facilitateur en protégeant les échanges économiques que d'intervenant dans la mesure où la liberté économique est garantie à l'art. 27 de la Constitution fédérale de 1999.

Röpke s'est inspiré des villages suisses pour inventer l'économie sociale de marché[7].

Bibliographie

  • François Bilger, 2005, L'école de Fribourg, l'ordolibéralisme et l'économie sociale de marché, (Lire en Ligne)
  • François Bilger, 2001, l'économie sociale de marché dans la perspective française, (Lire en ligne)
  • François Bilger, 1988, l'économie sociale de marché au siècle des allemands (Lire en ligne)
  • Michel Foucault, 2004, Naissance de la biopolitique, Hautes études (Gallimard, seuil). Il s'agit des cours donnés au Collège de Franceen 1978-1979. Ils portent sur le néolibéralisme allemand et notamment sur les fondateurs de l'économie sociale de marché.
  • Albert Kalaydjian et Hugues Portelli (eds), 1998, Les démocrates-chrétiens et l'économie sociale de marché, Economica.

Notes et références

  1. a b et c in The Commanding Heights, The Battle for the World Economy, Daniel Yergin, Joseph Stanislaw, 1998, p16-19
  2. Les ordolibéraux souhaitent notamment prévenir cartellisation et monopolisation.
  3. Margaret Thatcher, The Path to power, vo, Harper Collins, 1995, p. 251-252.
  4. Foucault, 2004
  5. Président d'Attac 22 - Membre du Conseil Scientifique d'Attac
  6. Extrait de l'article du 04/04/2005 de Serge Le Queau (ATTAC) « Économie sociale de marché : un faux ami » cf Économie sociale de marché : un faux ami: "Attention, le terme « économie sociale de marché » (en allemand Soziale Marktwirtschaft) est un faux ami comme on dit en lexicologie, c’est une étiquette trompeuse. Il est remarquable que pas un exégète du traité n’ait expliqué la signification de cette locution pourtant omniprésente. S’ils l’ignorent, c’est presque pire... L’ « économie sociale de marché » ne renvoie pas du tout à un mixte entre économie sociale et économie de marché. Il s’agit d’un courant de pensée né dans l’Allemagne fédérale d’après-guerre et rassemblant des économistes conservateurs autour de la revue ORDO (d’où l’autre nom de ce courant, l’« ordolibéralisme »). Ses fondateurs, les économistes Walter Eucken, Wilhelm Röpke et Alfred Müller-Armack ont très largement influencé la politique économique des chanceliers allemands, conservateurs (CDU) mais aussi sociaux-démocrates (SPD), ce qui les a auréolé de la paternité intellectuelle du « miracle économique ouest-allemand »."
  7. a et b firstprinciplesjournal.com, Roger Scruton, The Journey Home, Part I, conférence du 12 avril 2008.
  8. Article 2 paragraphe 3 du traité de Lisbonne
  9. Article I-3 paragraphe 3 du traité établissant une constitution pour l'Europe