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Histoire du protectionnisme

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L'histoire du protectionnisme renvoie à l'évolution des mesures protectionnistes à travers l'histoire.

Histoire

Mercantilisme

William Petty, dont l’ouvrage sur l'arithmétique politique pose les bases de l'économie politique et de la démographie en proposant l'utilisation des statistiques en matière de gestion publique.

Le mercantilisme est une école de pensée économique selon laquelle la richesse est fondée sur le volume de métaux précieux qu'un pays détient. Ce volume étant fini, le commerce est un jeu à somme nulle. L'enrichissement d'un État par ses exportations ne peut se faire que par l'appauvrissement d'un autre par ses importations.

Le mercantilisme se caractérise par sa conception guerrière (voir Guerre économique) du commerce international. Celui qui importe métaux précieux gagne, et celui qui les exporte perd. Les États, surtout en Europe, vont donc mettre en place des mesures afin, à la fois, de capter le maximum de ressources minières provenant du Nouveau Monde, afin d'en exporter le minimum, car si l'État exporte ses richesses, il les perd même contre toute autre compensation. L'État interdit l'exportation de monnaie du pays ainsi que les métaux précieux (or, argent…), et essaye de faciliter au maximum ses importations (par l'intégration des marchés nationaux par exemple). L'un des résultats immédiats de ces mesures est l'inflation, la hausse du niveau général des prix.

En Angleterre, le mercantilisme atteint son apogée durant la période du Long Parliament (1640-1660). Les politiques mercantilistes sont aussi appliquées durant les périodes Tudor et Stuart, avec notamment Robert Walpole comme principal partisan. Le contrôle du Roi sur l'économie domestique est tout d'abord moins important que dans le reste du continent, en raison de la tradition de la Common law, mais le pouvoir croissant du parlement[1] le remplace, après les deux révolutions anglaises.

Les monopoles contrôlés par l'État ne sont pas rares, notamment avant la Première Révolution anglaise. Mais leur existence fait l'objet de débats, car les auteurs mercantilistes anglais sont partagés sur la nécessité d'un contrôle de l'économie intérieure. Le mercantilisme anglais s'intéresse surtout au contrôle du commerce international. Une large gamme de régulations encourage les exportations et décourage les importations. Des droits de douane sont instaurés sur les importations et des subventions à l'exportation sont mises en place. L'exportation de certaines matières premières est proscrite et les Navigation Acts votées à partir de 1651 par le Parlement d'Angleterre pendant le mandat de Cromwell, réservent aux marins britanniques le monopole du commerce des colonies avec la métropole en excluant les navires étrangers des ports.

Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, lorsque l'Angleterre étend ses colonies et les fait passer sous son contrôle, des règles y sont édictées les autorisant à produire seulement des matières premières et à faire du commerce uniquement avec l'Angleterre. Cela conduit à des tensions croissantes avec les habitants de ces colonies. Ces difficultés, comme l'épisode fameux de la Boston Tea Party, seront une des causes majeures de la guerre d'indépendance des États-Unis.

Au XVIIIe siècle, ces politiques contribuent à faire de l'Angleterre le principal commerçant du monde, et une puissance économique internationale. Elle s'appuie sur sa flotte de guerre, la Royal Navy, constituée progressivement grâce à la puissance fiscale de l'État, comme le montre Patrick O'Brien, lors de la Révolution financière britannique. Sur le plan intérieur, la conversion des terres non cultivées en terres agricoles provoque un effet bénéfique durable. Pour maximiser le pouvoir d'une nation, les mercantilistes sont d'avis que toutes les terres et les ressources doivent être utilisées au maximum, ce qui conduit à lancer des projets de grands travaux majeurs comme le drainage de la région des Fens[2].

Chez les mercantilistes le rôle du commerce extérieur est de permettre le gain monétaire, c'est-à-dire l'afflux d'or. Dans cette optique, les mercantilistes préconisent une politique volontariste de soutien aux exportations de produit via la création de grandes compagnies de commerce et/ou de grandes manufactures. Au contraire, l'État doit tenter de freiner les importations de produits qui sont synonymes de sorties d'or.

En France l'État va même organiser la production nationale avec les manufactures de Colbert[3].

Pour Jean-Baptiste Colbert[4],

« Les compagnies de commerce sont les armées du roi, et les manufactures sont ses réserves. »

L’objectif de ses « armées » est de repousser les « armées » étrangères. Ainsi pour souligner cette haine du commerce étranger, Antoine de Montchrestien[5] déclare :« Les marchands étrangers sont comme des pompes qui tirent hors du royaume […] la pure substance de nos peuples […] ; ce sont des sangsues qui s’attachent à ce grand corps de la France, tirent son meilleur sang et s’en gorgent. »

Le Royaume-Uni à l'origine du libre-échange

Dans son ouvrage maître, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Adam Smith justifie le libre-échange, en développant l'idée que, contrairement à ce qu'affirmaient les mercantilistes, le commerce est synonyme de paix et d'enrichissement mutuel. Toutefois, Smith n'est pas contre l'idée d'instaurer des droits de douane, pour deux cas bien spécifiques : en cas de présence d'industries stratégiques pour la défense nationale et en réaction à des taxations opérées par des pays sur les exportations nationales. Le protectionnisme est donc selon Smith une mesure exceptionnelle, mais qui, en règle générale, nuit au bon fonctionnement de l'économie.

Suivant les consignes du premier ministre britannique, William Pitt le Jeune, fortement marqué par les idées d'Adam Smith, le traité Eden-Rayneval, accord de libre-échange, est signé entre la France et la Grande-Bretagne le . Ce traité visant à réduire progressivement les droits de douane entre les deux pays est en ligne avec l'évolution de la pensée économique et les accords de paix signés précédemment, mettant aussi fin à la guerre économique.

Mettant fin à la révolution de 1789 en France, rétablissant l'esclavage puis une économie mercantiliste fondée sur les privilèges et les monopoles, Napoléon Bonaparte, jusqu'en 1815, renoue progressivement avec les orientations de l'Ancien Régime d'avant les tentatives de libéralisation[6]. La période de 1814 et 1851 connaît une alternance de politiques protectionnistes et d'ouvertures des échanges en fonction des changements de régimes et des révolutions.

Les libéraux ont beaucoup critiqué les théories protectionnistes des mercantilistes. Selon eux, le protectionnisme est une imposture intellectuelle qui ne sert qu'à favoriser des groupes d'intérêt aux dépens du plus grand nombre et du bien public. Lire par exemple les Sophismes économiques de Frédéric Bastiat (1845), dont le septième, la Pétition des fabricants de chandelles.

La libéralisation des échanges au Royaume-Uni à partir de 1846, obtenue par Richard Cobden et l'Anti-Corn Law League, fut le premier exemple de libéralisation à grande échelle après la Révolution industrielle et elle fut engagée par l'économie dominante sans contre partie.

En 1846, alors que les conservateurs (« Tories ») étaient majoritaires au Parlement britannique, l'abrogation du « Corn Law » (la loi sur le blé) fut voté. Cette loi protégeait les agriculteurs britanniques. Cette abrogation entraîna la ruine de l'agriculture britannique, la baisse violente des prix des denrées alimentaires, la baisse des salaires et l'enrichissement de la « City », mais aussi un sous-investissement dans la recherche et la modernisation de l'industrie (F. William Engdahl, Pétrole une guerre d'un siècle, Jean-Cyrille Godefroy, France, 2007, p. 17).

D'après l'historien de l’économie Charles Kindleberger, l’abrogation en Grande-Bretagne des lois sur le blé était motivée par un « impérialisme libre-échangiste » destiné à « stopper les progrès de l’industrialisation du continent en y élargissant le marché des produits agricoles et des matières premières. C’est aussi l’argumentation soutenue à l’époque les principaux porte-parole de l’Anti-Corn Law League.

Dans son « Discours sur la question du libre-échange » prononcé en , Karl Marx prend position pour l’abolition des lois sur les céréales. Ici, le co-auteur du Manifeste du parti communiste, rédigé avec son ami Friedrich Engels, rejoint David Ricardo qui a milité durant toute sa vie en faveur de l'annulation de ces lois et de l'ouverture des frontières britanniques au commerce extérieur. Cet espoir a été réalisé à partir de 1846, mais à titre posthume.

Les Actes de navigation sont abolis en 1849 lors de la victoire des libre-échangistes dans le débat public au Royaume-Uni.

Révolution industrielle occidentale

La Grande-Bretagne est premier pays à utiliser une stratégie de protection de l'industrie naissante à grande échelle[7]. Paul Bairoch remarque qu'avant les années 1840, « le protectionnisme est la règle, le libre-échangisme l'exception ». Ainsi, le décollage industriel de la Grande-Bretagne et de la France au début du XIXe siècle se fait sous l'auspice de fortes barrières douanières. La Prusse, elle, crée le Zollverein, une union douanière qui libéralise le commerce entre les principautés et États germaniques[8].

Selon Bairoch, le principal défenseur du protectionnisme est à l'époque les États-Unis, qu'il qualifie de « mère patrie et bastion du protectionnisme moderne »[7]. Henry Charles Carey promeut le protectionnisme dans les partis politiques américains. En 1791, le Rapport sur les Manufactures d'Alexander Hamilton[9], publié le , imagine un avenir industriel pour les États-Unis, pays alors rural. Selon lui, livrée à elle-même, l'industrie américaine ne serait pas en mesure de concurrencer sur son propre territoire l'industrie britannique, en raison de son manque d'expérience et de savoir-faire. Il soutenait, donc, les aides aux industries naissantes, l'établissement de droits de douanes et de restrictions à l'importation. Le Congrès des États-Unis adopte les deux derniers points de ce rapport, mais refuse d'accorder de subventions aux manufactures.

Sous l'influence d'Hamilton, les droits à l'importation sont relevés en 1791, 1792, 1794, puis diminués, puis de nouveau relevés en 1797 et 1800. En 1801, les revenus des douanes s'élevaient à 10 751 000 dollars[10].

En 1841, l'économiste allemand Friedrich List défend les bienfaits d'un « protectionnisme éducateur »[11]. Le protectionnisme apparaît comme le moyen nécessaire pour protéger en particulier les activités ou industries naissantes. Il écrit : « les prêches britanniques en faveur du libre-échange faisaient penser à celui qui, parvenu au sommet d’un édifice, renvoie l’échelle à terre d’un coup de pied afin d’empêcher les autres de le rejoindre »[12]. Selon lui, les entreprises nationales ne peuvent se développer si le marché est déjà occupé par les entreprises de pays étrangers économiquement plus avancés. Le « protectionnisme éducateur » a pour objectif de protéger sur le moyen terme le marché national afin de permettre sur le long terme un libre-échange qui ne soit pas à sens unique. Son but est l'« éducation industrielle » d'une nation. Sa théorie concerne donc particulièrement les pays en voie de développement.

Le libre-échange ne serait alors juste qu'entre pays de puissance économique comparable. Un pays, ayant une fois rattrapé le niveau des autres, pourra passer à un système de libre-échange qui reste l'objectif de long terme. Il soutient que « le protectionnisme est notre voie, le libre-échange est notre but ».

En effet, les industries dans l'enfance (industries naissantes) ne sont pas adaptées au marché international (accoutumance de la main-d’œuvre, niveau de production optimal, tarification optimale…). Pour cela, elles bénéficient d'un « temps d'adaptation » qui va leur permettre de développer leur compétitivité c’est-à-dire de passer d'un avantage comparatif potentiel à un avantage comparatif réel (au sens de David Ricardo). Les industries naissantes vont donc se protéger de la concurrence internationale afin de développer un système productif en corrélation avec le marché mondial compte tenu de la contrainte de prix et de production extérieure. Pour que la transition soit efficace plusieurs conditions doivent être réunies : le passage d'un avantage comparatif potentiel à un avantage comparatif réel doit être réalisé, la protection doit être temporaire et l'ouverture à la concurrence doit être réalisée au moment opportun c’est-à-dire quand l'entreprise devient compétitive (quand le prix des biens qu’elle fournit sont supérieurs à ses coûts de production, de sorte qu'elle réalise des bénéfices). Cette position est critiquée par les libéraux[13]. Autrement dit, la compétitivité est acquise lorsque l'entreprise parvient à vendre ses produits au même titre que ses concurrents et avec une marge bénéficiaire suffisante. En isolant temporairement un pays du marché mondial, il donne le temps nécessaire à l'accumulation d'un capital industriel hautement productif. Ce point de vue est toujours d'actualité, Joseph Stiglitz développe une analyse similaire, mais concernant le capital humain : il faut du temps pour former des salariés à haut niveau de compétences[14].

Friedrich List estime que les pays de la zone tempérée sont spécialement propres au développement de l'industrie manufacturière. D'un autre côté, les pays de la zone torride ont un monopole naturel à la production de matières premières. C'est pourquoi il existe une division du travail spontanée et une coopération des forces productives entre ces deux groupes de pays. C'est une politique qui a été mise en œuvre par les Anglais notamment concernant les Indes.

Cette théorie sera critiquée par Karl Marx dans son Discours sur le libre-échange. D'après lui, les manufactures développent au suprême degré les forces morales de la nation. Elles permettent l'exploitation de toutes les ressources naturelles d'un pays : eau, vent, minéraux et combustibles. De plus, elles donnent une forte impulsion à l'agriculture, provoquant la hausse de la rente foncière, des profits et des salaires agricoles. Enfin les manufactures constituent un marché constant pour l'agriculture, que ne peuvent empêcher la guerre ni les prohibitions. Ainsi, la protection de l'industrie profite indirectement à l'agriculture. Cependant un renchérissement des produits bruts nuirait à l'industrie, c'est pourquoi il rejette l'idée d'une protection sur l'agriculture. Autrement dit, l'augmentation de la rente et des salaires exprimés en grains fait que la part de ces derniers augmente dans le revenu national. En revanche, la part du profit de l'industrie, quant à lui, diminue. Ce mécanisme est défavorable à la croissance économique. On note encore ici son accord avec David Ricardo et avec tous les autres, qu'il appelle les classiques qui sont pessimistes quant à l'avenir du système capitaliste.

Le Zollverein et le rattrapage industriel allemand

Au milieu du XIXe siècle, l’Angleterre dispose d'une supériorité industrielle et commerciale certaine. La Prusse s'allie avec plusieurs autres États germaniques afin de créer la Zollverein, une zone de libre échange qui se veut pangermanique, afin de stimuler la croissance et l'innovation de cette zone économique. Elle est toutefois protectionniste envers le reste du monde, en accord avec la théorie du protectionnisme éducateur de Friedrich List[15].

Le Deutscher Zollverein (« union douanière allemande ») est créé le , et entre en fonction le . Dominée par le Royaume de Prusse, cette union permet le démantèlement de la multiplicité des unions douanières protectionnistes de la Prusse-Hesse (de), du territoire sud-allemande (de), mais aussi de l'union commerciale de l'Allemagne centrale (de). Les membres fondateurs sont, outre la Prusse : le Landgraviat de Hesse-Cassel, le Royaume de Bavière, le Royaume de Wurtemberg, le Royaume de Saxe et l'ensemble des États constituant la Thuringe. Jusqu'en 1836, les États du Grand-duché de Bade, le Duché de Nassau et Francfort-sur-le-Main rejoignent l'union. En 1842, le Luxembourg, le Duché de Brunswick et la Principauté de Lippe la rejoignent à leur tour, suivis en 1854 par le Royaume de Hanovre et le Grand-duché d'Oldenbourg. L'union recouvre donc à la veille de la fondation de la Confédération de l'Allemagne du Nord (1867) un territoire d'environ 425 000 km2.

Les buts du Zollverein sont la création d'un marché intérieur unique et l'harmonisation des règles fiscales et économiques. Au niveau politique, elle place la Prusse au centre de l'échiquier allemand et conduit à l'adoption de la solution petite-allemande lors de l'unification allemande. Après la fondation de l'Empire allemand en 1871, les fonctions de l'union lui sont transférées. Bien que n'appartenant pas au nouvel État, le Grand-Duché de Luxembourg, réduit depuis 1839 à sa superficie actuelle, fait partie de l'espace douanier allemand de 1842 au lendemain de la Première Guerre mondiale. L'Alsace-Lorraine annexée se retrouva également dans le Zollverein de 1871 à 1918.

L'Allemagne unifiée, succédant à la Zollverein en 1870, est le premier grand pays européen à modifier sensiblement sa politique douanière en adoptant le nouveau droit de douane de . Ce nouveau droit de douane allemand signifia l'achèvement de la période de libre échange sur le continent.

Le protectionnisme dans l'entre-deux-guerres

La Première Guerre mondiale laisse les pays européens exsangues. Dans un contexte économique très difficile, où le chômage frappe 17 % de la population active, le Parlement britannique vote en 1921 le Safeguarding of Industries Act, qui fixe à 33 % les droits de douane sur de nombreux produits manufacturés menacés par la concurrence étrangère.

Les Roaring Twenties laissent place, en 1929, à la Grande Dépression, à la suite du krach boursier de 1929. Le protectionnisme développe alors : en 1930, la loi Hawley-Smoot est votée par le Congrès des États-Unis, et fixe un droit moyen de 40 % sur tous les produits importés. En Europe, plusieurs pays mettent également en place un protectionnisme agricole afin de sauvegarder leur secteur agraire. Les résultats sont mitigés : si la production agricole européenne croît même après la crise de 1929 (12 % entre 1925 et 1938), elle recule en Amérique du Nord (−3 %), ainsi qu'en URSS[16].

La question de la responsabilité du protectionnisme dans la Grande Dépression fait encore débat aujourd'hui (voir Responsabilité du protectionnisme dans la Grande Dépression). Certains économistes soutiennent que le protectionnisme généralisé a été une des causes de la Grande Dépression ou de son accentuation[17]. Nicolas Baverez soutient par exemple que la loi Howley-Smoot, qui fait passer les droits de douane de 38 à 59 % en moyenne sur plus de 20 000 produits, a été « une magistrale erreur » qui a amplifié la crise ; il se montre également critique envers les dévaluations compétitives[18]. Cela est toutefois débattu : Paul Krugman[19], comme Milton Friedman[20], soutiennent que la loi Hawley-Smoot appliquée en 1930 n'a eu qu'un effet mineur sur la chute du commerce international après la crise.

A cette époque, John Maynard Keynes publie () un article appelé « L'auto-suffisance nationale », où il soutient que le libre-échange dérégulé a été une erreur et a fait chuter la production des pays qui étaient impliqués dans ce libre-échange. Il affirme ainsi que « l'époque de l'internationalisme économique n'a pas été une grande réussite en ce qui consiste à éviter la guerre ». Cela conduit Keynes à modifier ses positions sur le libre-échange et le protectionnisme. Keynes défend alors l'idée de produire sur le sol national quand cela est possible et raisonnable. Toutefois, il se méfie toujours de ceux qui prônent un changement radical de doctrine économique, comme le souhaitait l'aile gauche du parti travailliste[21].

Il souligne alors que les excédents entraînent une faiblesse de la demande globale — les pays qui produisent des excédents exercent une « externalité négative » sur les partenaires commerciaux. Ainsi, les pays qui accumulent des excédents sont une menace pour l'économie mondiale car ils dépriment l'activité des pays auxquels ils vendent. Keynes va jusqu'à proposer une taxe sur les pays excédentaires[22] ; lors de la conférence de Bretton Woods, il défend le principe de la création d'une chambre de compensation mondiale qui oblige les pays trop excédentaires à acheter des biens de pays fortement déficitaires.

Certains économistes prétendent que ces mesures protectionnistes, participèrent à la montée du fascisme et du nazisme et auraient conduit à la Seconde Guerre mondiale[17].

Le protectionnisme après la Seconde guerre mondiale

L'après Seconde Guerre mondiale est marquée par un recul du protectionnisme dans le monde. En 1947, est signé l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui vise à réduire progressivement les droits de douane de manière mutuelle. Cet accord est adopté par un nombre croissant de pays[23].

L'Europe fait figure de laboratoire du libre-échange. Le marché commun naît avec le traité de Rome (1957), qui constitue la base de la Communauté économique européenne (CEE). Il repose sur l'union douanière, qui permet la libre circulation des produits dans la CEE[24]. L'Union douanière est achevée le avec un recul important des droits de douanes entre pays européens[24]. En 1993, le marché intérieur est réalisé autour des « quatre libertés » : libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux[24]. Ces mesures sont libérales à l'intérieur de la communauté européenne.

Les années 1990 voient un nouveau recul des droits de douane à l'entrée sur les produits importés, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette organisation fait suite au GATT. Toutefois, le protectionnisme demeure sous diverses formes, comme les manipulations des taux de change, qui consistent à baisser la valeur de la monnaie nationale par rapport aux monnaies étrangères, ou encore les subventions à la production, le non-respect de la propriété intellectuelle, etc.[25]

Le protectionnisme depuis l'an 2000

La mise en place de l'Union européenne correspond à une forme de protectionnisme à l'égard du reste du monde, dans certains domaines. Les mesures concernant la Politique agricole commune (PAC) en fournissent un exemple : les subventions accordées aux agriculteurs de la communauté sous forme d'avances de fonds permettent à ces derniers de faire face aux concurrents agricoles étrangers.

Si le libre-échange est dominant, notamment dans les pays riches, jusqu'aux années 2000, la fin de cette décennie voit une réémergence de tendance. Des mesures protectionnistes sont de plus en plus prises par des pays tels que l'Argentine, le Brésil, la Russie ou encore les États-Unis. Le Sénat américain vote par exemple une loi autorisant le Département du commerce à appliquer des taxes compensatoires sur les importations chinoises afin de sanctionner des pratiques jugées déloyales[25]. Donald Trump fait campagne sur un programme ouvertement protectionniste lors de l'élection présidentielle américaine de 2016[26].

Selon le rapport 2020 de la Commission européenne sur les barrières commerciales, la Chine, en dépit de son attachement proclamé au multilatéralisme, reste le champion du protectionnisme et est à l'origine du plus grand nombre des nouvelles restrictions apparues en 2019, avec 38 mesures de fermeture de son marché, devant la Russie (31 mesures), l'Indonésie (25) et les États-Unis (24)[27].

La plupart des pays pratiquent une certaine forme de protectionnisme en appliquant des mesures tarifaires ou non-tarifaires comme les quotas, les subventions aux exportations, les normes techniques ou sanitaire ou les mesures favorisant les entreprises nationales[28]. Parmi les pays les plus protectionnistes, on peut citer notamment la Russie, l'Inde ou la Chine[29],[30],[31],[32],[33],[34], les États-Unis[35].

Notes et références

  1. E. Damsgaard Hansen, European Economic History, p. 65.
  2. Wilson, p. 15.
  3. Olivier Pastré, La méthode Colbert ou Le patriotisme économique efficace, Perrin, 2006
  4. Sophie Boutillier, « Colbert et les manufactures, succès et échecs d’un capitalisme administré », Université du Littoral, Réseau de recherche sur l’innovation Paris, CNAM,
  5. Traité d'économie politique, 1615
  6. Adrien de Tricornot, « L'identité économique de la France : libre-échange et protectionnisme 1814-1851, de David Todd : les origines d'une querelle », Le Monde, (consulté le )
  7. a et b (en) Paul Bairoch, Economics and World History : Myths and Paradoxes, University of Chicago Press, , 31-32 p. (lire en ligne)
  8. Serge d'Agostino, Libre-échange et protectionnisme, Bréal, (lire en ligne), p. 30
  9. (en) « The Works of Alexander Hamilton, (Federal Edition), vol. 4 », sur oll.libertyfund.org (consulté le ).
  10. Achille Viallate, L'industrie américaine, F. Alcan, (lire en ligne).
  11. Système national d'économie politique, 1841, ouvrage principal dans lequel il développe la notion de protectionnisme éducateur et l'Infant industry argument (en).
  12. Ha-joon Chang, « Du protectionnisme au libre-échangisme, une conversion opportuniste », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. Geoffroy Lgh, « Faut-il protéger les industries naissantes ? », sur contrepoints.org,
  14. Jean-Marc Daniel, « L'inquiétant retour du protectionnisme et de ses illusions », Les Échos, (consulté le )
  15. Julie Noesser, « Friedrich List (1789 - 1846) : Le théoricien du protectionnisme « temporaire », Capital, (consulté le )
  16. Paul Bairoch et Jean-Charles Asselain, Mythes et paradoxes de l'histoire économique, la Découverte, impr. 2005 (ISBN 2-7071-4840-7 et 978-2-7071-4840-7, OCLC 493538757)
  17. a et b Jacques Sapir, Le Monde diplomatique, mars 2009, Dossier : Le protectionnisme et ses ennemis, « Ignorants ou faussaires », page 19.
  18. Nicolas Baverez, « Le protectionnisme, stupidité économique », Le Figaro, (consulté le )
  19. (en) The Mitt-Hawley Fallacy - Blog de Paul Krugman sur The New York Times, 4 mars 2016
  20. (en) Ian Fletcher, « Protectionism Didn't Cause the Great Depression », sur huffingtonpost.com, HuffPost, (consulté le ).
  21. L'article en langue originale -National Self-Sufficiency" The Yale Review, Vol. 22, no. 4 (June 1933), p. 755-769.
  22. (en-GB) Joseph Stiglitz, « Reform the euro or bin it », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
  23. Anna Villechenon, « Pourquoi le protectionnisme progresse dans le monde », Le Monde, (consulté le )
  24. a b et c Politique et enjeux - 2010.
  25. a et b Adrien de Tricornot, « Libre-échange et protectionnisme : le vrai débat est lancé », Le Monde, (consulté le )
  26. « Protectionnisme : la méthode Trump pour défendre les entreprises », sur Les Echos, (consulté le )
  27. Catherine Chatignoux, « Le protectionnisme s'enkyste dans les relations commerciales, selon Bruxelles », Les Échos, (consulté le )
  28. « Journal économique et financier », sur La Tribune (consulté le ).
  29. Brice Pedroletti, « Le protectionnisme chinois inquiète l'Occident », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  30. //topics.nytimes.com/top/opinion/editorialsandoped/oped/columnists/paulkrugman/index.html, « Macroeconomic effects of Chinese mercantilism », sur Paul Krugman Blog, (consulté le ).
  31. « CHINA IMF : China preaches globalisation but practices trade barriers », sur asianews.it (consulté le ).
  32. (en) Tom Miles, « Russia was most protectionist nation in 2013 : study », sur reuters.com, (consulté le ).
  33. (en) Rajendra Jadhav, « India doubles import tax on textile products, may hit China », sur reuters.com, (consulté le ).
  34. (en) Sankalp Phartiyal, « India to raise import tariffs on electronic and communication items », sur reuters.com, (consulté le ).
  35. Alain Faujas, « L'OMC met en garde contre une hausse du protectionnisme », Le Monde, (consulté le )