John Garang

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John Garang
Illustration.
John Garang en août 2004.
Fonctions
Vice-président de la République du Soudan

(6 mois et 21 jours)
Président Omar el-Bechir
Prédécesseur Ali Osmane Taha
Successeur Salva Kiir
Président de la
région autonome du Soudan du Sud

(21 jours)
Président Omar el-Bechir
Prédécesseur Premier titulaire
Successeur Salva Kiir
Biographie
Nom de naissance John Garang de Mabior
Date de naissance
Lieu de naissance Wangulei (Soudan anglo-égyptien)
Date de décès (à 60 ans)
Lieu de décès New Cush (Soudan)
Nationalité Soudanaise
Parti politique Mouvement populaire de libération du Soudan
Conjoint Rebecca Nyandeng De Mabior
Enfants Deux : Akuol De Mabior et Mabior Garang de Mabior
Diplômé de Université de Dar es Salam
Grinnell College
Université d'État de l'Iowa
Profession Militaire
Économiste
Homme d'État
Religion Catholicisme

John Garang
Vice-présidents de la République du Soudan

John Garang (de Mabior) est un économiste, militaire, et homme politique soudanais, né le dans le village de Wangulei dans la province de Jonglei de l'actuel Soudan du Sud et mort le près de New Cush (Soudan du Sud). Leader de l'Armée de Libération du Peuple du Soudan qu'il fonde en 1983, il est une personnalité clé de la seconde guerre civile soudanaise sur laquelle il exerce une influence majeure en luttant contre la dictature islamiste au pouvoir à Khartoum. Les accords de paix Nord-Sud du 9 janvier lui permettent d'accéder six mois plus tard au poste de vice-président du Soudan, sous la présidence de son ancien ennemi Omar el-Béchir. Décédé seulement trois semaines après cette prise de fonction lors d'un accident d'hélicoptère, il ne peut empêcher la partition du Soudan en deux États, l'actuel Soudan et le Soudan du Sud après avoir pourtant toute sa vie défendu l'idée d'un Soudan unifié et démocratique.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse et études[modifier | modifier le code]

John Garang né le à Wagkulei, dans la province de Jonglei, dans une famille pauvre chrétienne dinka[1]. Après avoir perdu ses deux parents à l'âge de 9 et 11 ans, il fréquente l’école primaire de la colonisation britannique puis le collège de Rumbek, dans la région de Bahr-al-Ghazal[1]. En 1964, il rejoint la Tanzanie où il poursuit ses études secondaires au Collège de Lushoto. puis à l'université de Dar es Salam où il fait la connaissance de Yoweri Museveni, le futur Président de l’Ouganda et d’Eduardo Mondlane, le futur fondateur du Front de libération du Mozambique[1] Il s’imprègne des idées révolutionnaires de l'époque, notamment marxistes, et poursuit ses études en sciences économiques au Grinnell College (Iowa, États-Unis), dont il sort diplômé à 23 ans[2].

En 1971, lors de la première guerre civile soudanaise, il rejoint le mouvement rebelle Anyanya (qui réclame l'indépendance du sud du Soudan) contre le régime de Khartoum[1]. Après la signature d’un accord de paix à Addis-Abeba en 1972, qui accorde une semi-autonomie au Soudan du Sud il est intégré dans l’armée soudanaise avec le grade de capitaine[3]. Devenu colonel, il se rend aux États-Unis (alors alliés du gouvernement soudanais) pour y recevoir une formation militaire sur la base de Fort-Benning en Géorgie[3]. En 1976, il se marie avec la femme politique Rebecca Nyandeng De Mabior, avec qui il aura deux enfants, la réalisatrice et mannequin Akuol De Mabior[4], et l'homme politique sud-soudanais Mabior Garang de Mabior[5]. L'année suivante, il soutient avec succès une thèse d'économie agricole[3] sur le développement agricole du Soudan[1], ce qui lui vaut d'être désigné, par ses amis comme ses ennemis, par son titre de « docteur »[6]. De retour au Soudan en 1981, il reprend sa place dans l'armée, et enseigne au Collège Militaire de Khartoum[1].

Deuxième guerre civile soudanaise[modifier | modifier le code]

De la reprise de la guerre à l'accord d'Addis-Abeba de 1988[modifier | modifier le code]

En début d'année 1983, après la découverte d'importants gisements pétroliers au sud, le général Gaafar Nimeiry au pouvoir au Soudan abroge les accords d'Addis-Abeba ce qui provoque plusieurs soulèvements. En mai, John Garang, chrétien et dinka comme la majorité de la population sud-soudanaise, est envoyé par le gouvernement pour calmer la mutinerie d'une garnison, le bataillon 105 de 2 000 à 3 000 soldats, stationnée à Bor[3]. Ce dernier avait par ailleurs lui-même commandé cette garnison entre les accords d'Addis-Abeba de 1972 et son départ aux États-Unis en 1979[6].

Drapeau de la SPLA en 1983.

Sur place, John Garang désobéit aux ordres du gouvernement, se rallie aux mutins, et fonde avec eux le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) et sa branche armée, l'Armée de Libération du Peuple du Soudan (SPLA)[3]. La plupart des soldats qu'il commandait dans l'armée soudanaise se rallient[3]. Le 31 juillet, à la suite de plusieurs rencontres entre différents opposants au gouvernement, John Garang proclame le « Manifeste du Mouvement Populaire Soudanais », avec pour objectif de lutter pour l'établissement du Soudan, « uni, laïc et démocratique »[7]. Son objectif est aussi économique, que les ressources pétrolières du sud du pays bénéficient davantage aux populations qui habitent sur ces terres[7]. Le SPLM est d’emblée soutenu par l'Union soviétique et par le régime éthiopien de Mengistu Haile Mariam qui lui permet d'installer son quartier général à Addis-Abeba[1].

Membres dirigeants du Derg au pouvoir en Éthiopie entre 1977 et 1991, et soutien clé du la SPLA : Mengistu Haile Mariam, Teferi Bante et Atnafu Abate.

Le 9 septembre Gaafar Nimeiry impose la loi islamique à l’ensemble du Soudan, enfonçant le Soudan dans la deuxième guerre civile[7]. En février 1984 les groupes rebelles du sud attaquent les installations pétrolières de Chevron et le chantier du canal de Jonglei conduit par l’entreprise Grands travaux de Marseille, leur reprochant l'exploitation de leurs terres et de leurs ressources pour le compte du gouvernement central[8].

Le , confronté à des contestations croissantes et à des revers militaires dans le sud du pays, Gaafar Nimeiry en visite à Washington, est renversé par un coup d'État organisé par son Ministre de la Défense, le général Swar-ed-Dahab[9]. Ce dernier prend la présidence du Conseil militaire de transition et invite John Garang à venir à Khartoum pour prendre part au gouvernement provisoire[8]. Mais le colonel sudiste, méfiant, refuse cette offre qui implique que les rebelles déposent les armes, évoquant une ressemblance du nouveau gouvernement militaire en place et son prédécesseur[8]. Abdel Rahman Swar al-Dahab démissionne pourtant l'année suivante et un nouveau gouvernement, civil cette fois-ci lui succède sous la présidence d'Ahmed al-Mirghani qui nomme Sadeq al-Mahdi Premier ministre[10]. Après une première rencontre infructueuse entre ce dernier et John Garang à Kampala, capitale de l'Ouganda le 4 décembre 1987[8], un accord de paix est finalement signé entre les deux hommes à Addis-Abeba le 16 novembre 1988[11]. Entre temps, la SPLA remporte sur série de succès militaires au sud du pays[11]. Cet accord prévoit la réunion d'une conférence constitutionnelle, un gel des lois islamiques, une levée de l'état d'urgence, et une dénonciation des pactes militaires[8]. Mais Sadeq al-Mahdi, affaibli par une crise économique, voit son pouvoir être contesté par les islamistes, qui l'obligent à associer au gouvernement le « National Islamic Front » d'Hassan Al-Tourabi ; cela ne suffit pas à le maintenir au pouvoir[1].

Coup d'État d'Omar el-Béchir et reprise du conflit[modifier | modifier le code]

Omar el-Béchir, à la tête du Soudan de 1989 à 2019, en 1990

Le 30 juin 1989, Sadeq el-Mahdi est à son tour renversé par un coup d'État qui ramène au pouvoir un gouvernement militaire et islamiste dirigé par Omar el-Bechir et Hassan Al-Tourabi[12]. À noter qu'une semaine plus tard, Sadeq el-Mahdi devait s’entretenir avec John Garang pour préparer une conférence constitutionnelle prévue dans leur accord de paix[13]. Mais paradoxalement, cette occasion manquée et cette dérive autoritaire du pouvoir soudanais sont vues comme une opportunité pour John Garang, de s'afficher en principal réformateur, démocrate, et rassembleur du peuple[14]. Une coalition politique soudanaise laïque et démocratique se forme en opposition à ce nouveau gouvernement, la « National Democratic Alliance » (NDA), rassemblant des forces sudistes comme nordistes, que la SPLA rejoint en 1990[14]. John Garang obtient le commandement de la branche militaire de la NDA, étant donné que c'est lui qui dirige le groupe d’opposition armée le plus puissant[14]. Mais la NDA, tout en se targuant de rassembler toutes les forces d’opposition, peine à s’affirmer sur le terrain politique[14].

Décennie 1990 : scission de la SPLA et changements alliances internationaux[modifier | modifier le code]

John Garang en 1989 reçoit la visite du membre du Congrès des États-Unis Gary Ackerman dans son camp entrainement au sud du Soudan

Sur le front de la guerre civile soudanaise, dans les deux années qui suivent la prise de pouvoir d'Omar el-Béchir, aucun changement significatif n’est constaté dans le rapport des forces[14]. Mais sur la scène internationale, d'importants bouleversements impactent cette guerre. Après avoir été dans un premier temps reconnu par les États-Unis et les pays arabes du Golfe, le gouvernement d'Omar el-Béchir décide de soutenir le gouvernement irakien de Saddam Hussein lors de l'invasion du Koweït puis de la guerre du Golfe[11]. En conséquence, ses relations se tendent avec Washington ainsi qu'avec Riyad (soutiens diplomatiques et militaires du Koweït) qui supprime une importante aide financière accordée à Khartoum[15]. Parallèlement, le gouvernement d'Omar el-Béchir accroît sa coopération avec le régime islamique iranien devenu son allié depuis sa prise de pouvoir en 1989[16].

En 1991, l'appui du gouvernement soudanais aux nationalistes érythréens et tigréens leur permet de prendre le pouvoir à Asmara et à Addis-Abeba, renversant le régime éthiopien de Mengistu Haile Mariam, principal soutien étranger de la SPLA[17]. Pendant deux ans, de 1991 à 1993, la SPLA se retrouve donc sans allié extérieur, mais tient l'essentiel de ses positions[10], malgré des avancées de l'armée soudanaise qui profite de ses bonnes relations avec le nouveau gouvernement éthiopien de Meles Zenawi pour passer par son territoire pour attaquer des villes sud-soudanaises frontalières[18]. Mais les années suivantes, le régime soudanais, accusé de soutenir des mouvements fondamentalistes islamistes armés en dehors de ses frontières, se coupe peu à peu de ses voisins africains : l'Érythrée et l’Ouganda dans un premier temps qui rompent leurs relations diplomatiques avec le Soudan, puis l’Éthiopie et l’Égypte[17]. Cette dernière reproche au gouvernement soudanais une complicité dans une tentative d'assassinat contre le président Hosni Moubarak à Addis-Abeba en juin 1995[13].

De son côté, John Garang est affaibli non seulement par la perte de son allié éthiopien, mais aussi en interne à la suite de la sécession, avec leurs soldats, des commandants Riak Machar et Lam Akol qui fondent leurs propres factions de la SPLA (la « SPLA-Torit » et la « SPLA-Nasir »)[18]. Cette scission dégénère même en affrontements armés entre organisations rebelles sudistes rivales, reflétant et alimentant une fracture ethnique croissante entre Dinka (ethnie de John Garang) et Nuer (celle de Riek Machar)[19]. Un facteur de tension que John Garang ne parviendra jamais à réduire, et qui mènera à la terrible guerre civile sud-soudanaise entre 2013 et 2020[20]. Actant, à l'instar d'Omar el-Béchir, de la reconfiguration du monde après la fin de la guerre froide, le colonel sudiste se cherche de nouveaux alliés internationaux, africains, mais aussi européens et américains. Entre 1992 et 1993, John Garang effectue une tournée internationale dans plusieurs capitales, notamment Paris, Londres et Washington, où il est reçu par des responsables politiques, dont le ministre et médecin français Bernard Kouchner[18]. Au même moment, il bénéficie indirectement de la radicalisation du gouvernement islamiste soudanais qui accueille le terroriste saoudien Oussama ben Laden à Khartoum en 1992, pour s'attirer les sympathies de l'administration américaine de Bill Clinton[17]. Lors d'une tournée en Afrique au début de son second mandat (de 1996 à 2001), le président américain rencontre John Garang et lui fait part de son soutien[21]. Mais dans les faits celui-ci reste limité sur le terrain en raison de divergences dans son gouvernement[17]. Car malgré l'animosité et la méfiance que lui inspire le régime soudanais, une partie de la classe politique américaine doute de la possibilité d’une alternative au régime en place[17]. La dislocation de la SPLA en factions rivales, voire opposées, alimente cette appréhension qu'un renversement de leur ennemi commun ne ramène pas la paix dans le pays, et ne fasse au contraire qu'aggraver la situation[22]. Il en résulte un comportement ambivalent, motivé d'une part par la crainte d'une déstabilisation du pays en cas de chute du régime, et d'autre part par la compassion envers leurs « frères » chrétiens soudanais persécutés[17].

Combattants de la SPLA durant la seconde guerre civile soudanaise, date inconnue

Sur la scène politique soudanaise, au milieu des années 1990, chaque camp dans la guerre civile tente de nouer des alliances avec les opposants de son ennemi. Tandis que le régime soudanais tend la main aux rebelles sécessionnistes de la SPLA, et obtient même le ralliement de Riak Machar, John Garang accroît sa coopération avec l'ancien premier ministre Sadeq al-Mahdi et ses partisans[23]. En octobre 1995, renforcée par de nouveaux ralliements, notamment le retour de plusieurs combattants sécessionnistes ayant déserté les rangs des factions rivales, et par des livraisons d'armes lourdes américaines, la SPLA lance une grande offensive qui lui permet d'encercler Djouba et d'étendre son contrôle des frontières du Zaïre, d'Ouganda et d'Éthiopie[23]. Au total, près de 2 000 km de frontières du Soudan se retrouvent contrôlés par la rébellion sudiste[23]. En janvier 1997, la SPLA renforce à nouveau son contrôle sur le sud du pays grâce des appuis de l’Ouganda, de l’Éthiopie et de l’Érythrée[13]. Mais Djouba, principale ville du sud et future capitale du Soudan du Sud indépendant, restera sous contrôle du régime jusqu'à la fin de la guerre.

En août 1998, lors de l'Opération Infinite Reach, des navires américains en mer Rouge bombardent une usine pharmaceutique au Soudan soupçonnée de produire des composants d'armes chimiques[13]. Ces frappes limitées (quatre missiles de croisières BGM-109 Tomahawk) ne font qu'un seul mort, mais franchissent un palier symbolique, étant la première intervention armée directe des États-Unis contre le régime soudanais[13]. Elles visent à accroître la pression américaine sur ce dernier accusé de complicité dans une série d'attentats ayant visé des ambassades américaines en Afrique deux semaines plus tôt[13]. À la fin des années 1990, la guerre civile soudanaise semble dans l'impasse, aucun des deux camps n'ayant les moyens de ses ambitions, respectivement renverser le gouvernement d'Omar el-Béchir, et pour ce dernier, reprendre le contrôle du sud du pays[13]. Mais l'administration américaine, engagée dans une guerre internationale contre le terrorisme et sous influence croissante des évangélistes, penche lentement, mais inexorablement, vers la rébellion sudiste[10].

Tournant des années 2000 : accords de paix et fin de la guerre civile[modifier | modifier le code]

Le 11 septembre 2001, les attentats du World Trade Center à New York, dont Oussama ben Laden est accusé d'être l’instigateur, accroissent fortement la pression sur le gouvernement soudanais qui avait accueilli ce dernier entre 1992 et 1996[10]. Quelques jours auparavant (le 6 septembre 2001), le diplomate (et prêtre épiscopalien) américain John Danforth avait été nommé « représentant spécial du président pour le Soudan » par le nouveau président américain George W. Bush[13] . Omar el-Béchir craignant des représailles américaines, affiche sa volonté de coopérer avec Washington dans sa lutte contre le terrorisme international[13]. En réaction, l'administration américaine se divise comme à l'époque de Bill Clinton, entre les partisans d'une ligne dure contre Khartoum, et ceux qui souhaitent au contraire en faire un nouvel allié[13]. John Danforth, constatant que le régime comme la SPLA cherchent à se rapprocher de Washington, exige de part et d'autre une cessation des hostilités[13]. Il réclame en outre une commission d’enquête sur l’esclavage, et des zones de sécurité pour les vaccinations[13]. Les deux camps obtempèrent sur la majeure partie du front (bien que l'armée soudanaise mène encore des frappes aériennes), tandis qu'en janvier 2002, les chefs rebelles rivaux John Garang et Riak Machar signent un accord de paix et de réunification de leurs deux armées[24].

Le président américain George W. Bush signe en 2002 le « Sudan Peace Acte », avec debout à sa droite son secrétaire d'État Colin Powell et le diplomate John Danforth.

Quelques jours plus tard, des négociations s'ouvrent à Genève entre la SPLA réunifiée et le gouvernement soudanais pour conclure un cessez-le-feu[24]. En mars 2002, John Garang se rend à Washington à l'invitation du président Georges W. Bush, et rencontre les conseillers de ce dernier Colin Powell et Paul Wolfowitz[24]. Le 25 juillet 2002, Omar el- Béchir et John Garang se rencontrent pour la première fois à Kampala, la capitale ougandaise, et affirment leur détermination à faire la paix[24]. D'autres pourparlers sont annoncés deux semaines plus tard à Nairobi, capitale du Kenya[25]. L'année suivante, les dissidents Riak Machar et Lam Akol réintègrent officiellement la SPLA de John Garang[2]. Le 5 novembre 2003, John Garang est reçu à Rome par le pape Jean-Paul II[26].

La seconde guerre civile soudanaise prend officiellement fin avec les accords de paix Nord-Sud entre le gouvernement soudanais et la SPLA, signés le dans la ville de Naivasha au Kenya[2]. Ces accords prévoient une nouvelle Constitution, le retrait des troupes soudanaises du Soudan du Sud et l'intégration du SPLM au gouvernement d'union nationale du Soudan[27]. Le 8 juillet 2005, vingt-deux ans après avoir quitté la capitale soudanaise pour fonder les SPLM et sa branche armée la SPLA, John Garang y fait un retour triomphal accueilli par des centaines de milliers de personnes[28]. Devant la foule, il déclare : « Ma présence ici, aujourd'hui, à Khartoum, signifie vraiment que la guerre est finie. »[29].

John Garang en 2005

Le lendemain, il est investi vice-président du Soudan au palais présidentiel, en présence notamment d'une dizaine de chefs d'État africains, du secrétaire général des Nations unies, le diplomate ghanéen Kofi Annan, du secrétaire général de la Ligue arabe, le diplomate égyptien Amr Moussa, et du secrétaire d'État adjoint américain, Robert Zoellick[28]. Devant son ancien ennemi et nouveau collaborateur le président soudanais Omar el-Béchir, il prête serment en déclarant : « Moi, John Garang de Mavior, je jure devant Dieu tout-puissant qu'en ma qualité de premier vice-président de la République du Soudan, je serai fidèle et ferai allégeance à la République du Soudan. »[28].

Lors de cette cérémonie, Omar al-Béchir signe la Constitution provisoire organisant la vie du pays pendant les six années à venir[29]. Le nord du Soudan est désormais soumis au régime de la charia, tandis que le sud est administré par ses propres lois et dirigé par le mouvement de John Garang[29]. Un frontière entre les deux est tracée délimitant le Soudan du Sud redevenu « semi-autonome »[10], tandis qu'à l'issue de cette période, ses habitants devront se prononcer par référendum sur leur indépendance[29].

Mort[modifier | modifier le code]

Le , soit trois semaines après son accès à la vice-présidence du Soudan, John Garang embarque vers 15h15 avec treize personnes (dont sept membres d'équipage) dans un hélicoptère du gouvernement ougandais en revenant d'une rencontre à Kampala avec le président Yoweri Museveni[2]. L'hélicoptère s'écrase environ trois heures après son décollage, au niveau de la frontière entre l'Ouganda et le Soudan et de la chaîne montagneuse Imatong[2]. Un communiqué de la présidence soudanaise annonce que l’appareil a « percuté la chaîne de montagnes des Amatonj, dans le sud du Soudan, en raison de problèmes de visibilité »[30].

Image satellite des monts Imatong situés à la frontière entre l'Ouganda et le Soudan, où est tombé l'hélicoptère transportant John Garang en 2005

L'annonce de la mort de John Garang provoque de violentes émeutes à Khartoum qui font plusieurs dizaines de morts, déclenchées par des partisans qui soupçonnent le gouvernement soudanais d'avoir commandité son assassinat[30]. À noter qu'environ trois millions de Sud-Soudanais chrétiens et animistes résidaient alors dans le nord du pays[17]. Yoweri Museveni annonce la création d'une commission spéciale pour enquêter sur le crash, afin d'établir de façon définitive s'il s'agit bien d'un accident et non d'un sabotage ou d'un acte de terrorisme[30].

Les funérailles de John Garang sont célébrées le 6 août à la cathédrale de Tous-les-Saints de Djouba, en présence d'une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes[2]. Le président Omar el Béchir, son ancien ennemi juré se rend également à Djouba et s'incline devant son cercueil aux côtés du président sud-africain Thabo Mbeki et de l'émissaire des Nations unies Jan Pronk[31].

En avril 2006, une commission d’enquête conjointe du Soudan et de l'Ouganda conclut qu'il s'agit bien d'un accident causé par une erreur du pilote et par un manque de visibilité dû aux conditions météorologiques[32].

Idéologie politique[modifier | modifier le code]

Passé par l'université de Dar es-Salaam, dans la Tanzanie socialiste de Julius Nyerere, où convergent alors plusieurs futurs leaders des mouvements armés de libération marxistes africains, John Garang, se situe d'abord dans cette filiation idéologique[6]. Il s'instruit également sur la stratégie militaire en étudiant des classiques comme les œuvres de Sun Tzu, Carl von Clausewitz, Mao Zedong et Charles de Gaulle[2].

Représentation artistique du visage de John Garang avec le commentaire : « Les accords de paix signent le début d'un Soudan unifié indépendamment des races, des religions et des tribus. »

Par la suite, il bénéficie de l'appui de l'Éthiopie communiste du « Négus rouge », Mengistu Haïlé Mariam[6]. Mais si le marxisme est un moyen efficace d'obtenir des soutiens étrangers de la part de pays membre du bloc de l'Est pendant la guerre froide, il est inapplicable dans une population soudanaise hétérogène et marquée par un fort ancrage de cultures ethniques locales[19]. En conséquence, ni le SPLM, ni les intellectuels sudistes n’ont mené de véritable travail doctrinal, privilégiant comme base de rassemblement de la population du sud, la résistance à l'oppression du gouvernement central[19]. La personnalité charismatique de John Garang a aussi été un facteur de rapprochement de ses partisans, mais aussi de divergences avec d'autres leaders de l'organisation qui l'accusaient de dérive autoritaire[19].

À la suite de la perte du soutien éthiopien en 1991, John Garang délaisse définitivement ses idéaux marxistes pour se rapprocher des évangélistes américains, mettant en avant sa lutte pour l'émancipation d'une minorité chrétienne dans un pays gouverné par une dictature islamiste[6]. Pour autant, il soutient jusque là l'idée d'un « Nouveau Soudan » uni, laïque, et respectueux des cultures locales[19] malgré des aspirations sécessionnistes croissantes parmi les autres responsables du SPLM[6]. Selon l'historien spécialiste de l'Afrique Gérard Prunier, la mort de John Garang aurait rendu inévitable l'indépendance du Soudan du Sud[10]. Car les sudistes, privés de leur leader, craignaient de ne pas réussir, sans lui, à peser dans un gouvernement arabe ou le racisme antinoir et le suprématisme musulman étaient encore très forts[10]. La partition du Soudan, controversée au sein du SPLM durant la seconde guerre civile, aurait donc fini par faire consensus après 2005[10].

Héritage et suites historiques de son combat[modifier | modifier le code]

Rebecca Nyandeng De Mabior, veuve de John Garang, reçue parGeorge W. Bush en 2006

Après la mort de son mari, Rebecca Nyandeng De Mabior rejoint le bureau politique du SPLM, tandis que le général Salva Kiir, bras droit de John Garang, lui succède dans cette organisation ainsi qu'au poste de vice-président du Soudan[33]. Les succès militaires par la SPLA et les concessions obtenues de Karthoum permettent à la population du sud du Soudan de prendre part à un référendum d'indépendance du 9 au 15 janvier 2011, comme prévu dans les accords de paix de Naivasha[20]. À la suite d'une victoire écrasante du vote indépendantiste, le Soudan du Sud fait officiellement sécession du Soudan le 9 juillet 2011[20].

Hommage rendu sur la tombe de John Garang lors de la célébration de l'indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet 2011, en présence du vice-président de l'Inde (au centre) Mohammad Hamid Ansari

Deux ans plus tard, les fractures ethniques déjà présentes dans la SPLA pendant la guerre civile soudanaise dégénèrent dans une nouvelle guerre civile opposant Salva Kiir et Riek Machar, qui ravage le jeune État nouvellement indépendant pendant six ans[20]. Celle-ci se termine par des accords de paix signés à Addis-Abeba le 12 septembre 2018, puis par la réintégration de Riek Machar au gouvernement sud-soudanais au poste de vice-résident le 22 février 2020. Rebecca Nyandeng De Mabior intègre également ce gouvernement au poste de « quatrième vice-présidente »[33].

Mais les conséquences de l'action John Garang ne s'arrêtent pas au Soudan du Sud. Car il aurait également, selon l'historien Gérard Prunier, encouragé les populations noires musulmanes de l'ouest du pays, elles aussi opprimées par le régime, à se soulever, afin de ne pas faire passer son combat pour un conflit inter-religieux qui nuirait à son ambition de garder le Soudan unifié[10]. Une alliance informelle, mais objective se serait donc nouée au début des années 2000 entre les rébellions du sud principalement regroupées dans la SPLA, et celles du Darfour incarnées notamment par l'Armée de libération du Soudan et le Mouvement pour la justice et l'égalité[10]. Malheureusement, la sécession du Soudan du Sud aurait laissé seules ces populations confrontées à une répression particulièrement féroce du régime soudanais à l'aide des milices extrémistes arabes « Janjawid »[10]. Cette répression aurait conduit dans les années 2000 et 2010 à une catastrophe humanitaire de grande ampleur, qualifiée par certains observateurs de « génocide du Darfour »[10].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g et h Michel Raimbaud, Le Soudan dans tous ses états (2012), , p. 97 à 118
  2. a b c d e f et g Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 1 à 6
  3. a b c d e et f Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 15
  4. « Akuol de Mabior raconte son Soudan du Sud, une histoire familiale très politique », sur RFI, (consulté le )
  5. (en-US) Dak Buoth, « Is Riek Machar's Endorsement of Mabior Garang is premature », sur Sudan Tribune,
  6. a b c d e et f « John Garang, ex-chef de la rébellion du sud du Soudan devenu vice-président soudanais », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. a b et c Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 20
  8. a b c d et e Gérard Prunier, « Les partis politiques soudanais « africains » depuis la chute de Nimeiry », Mondes arabes,‎ , p. 24
  9. Olivier Cabon, Histoire et civilisation du Soudan, De la préhistoire à nos jours, Bleu autour, , 955 p. (lire en ligne), p. 723 à 733
  10. a b c d e f g h i j k et l Gérard Prunier, « Soudan : aux marges du génocide », Chapitre du livre : « La guerre, Des origines à nos jours »,‎ , p. 7 (lire en ligne)
  11. a b et c Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 25 à 28
  12. Brendon Novel, « Corne de l’Afrique et Péninsule arabique : des relations déséquilibrées (1/3) », sur Les clés du Moyen-Orient, (consulté le )
  13. a b c d e f g h i j k et l Alex de Waal, « Une perspective de paix pour le Soudan en 2002 ? », Politique africaine,‎ , p. 24
  14. a b c d et e Michel Raimbaud, Le Soudan dans tous ses États, , 430 p., p. 155 à 183
  15. Stéphane Dupont, « Soudan : une dérive suicidaire », Les Echos,‎ (lire en ligne)
  16. Gwenaëlle Lenoir, « Soudan-Israël. Le changement de cap provoque une crise politique », Orient XXI,‎ , p. 2 (lire en ligne)
  17. a b c d e f et g Roland Marchal, « Le facteur soudanais, avant et après », Critique internationale,‎ , p. 7 (lire en ligne)
  18. a b et c Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 47 à 53
  19. a b c d et e John Young, « Le SPLM/SPLA et le gouvernement du Sud-Soudan », Politique africaine,‎ , p. 16
  20. a b c et d Marc-André Lagrange, « Soudan du Sud : de l’État en faillite à l’État chaotique », Politique étrangère,‎ , p. 8 (lire en ligne)
  21. Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 104 à 122
  22. Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 104 à 112
  23. a b et c Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 104 à 122
  24. a b c et d Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 148 à 153
  25. « Rencontre au sommet pour la paix au Soudan », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix : combat de John Garang, Éditions L'Harmattan, , 312 p., p. 59
  27. Marc Fontrier, Le Darfour : Organisations internationales et crise régionale 2003-2008, L'Harmattan, , 310 p. (ISBN 978-2-296-09372-0), p. 169
  28. a b et c « John Garang, ancien chef rebelle sudiste, devient premier vice-président du Soudan », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  29. a b c et d Christophe Ayad, « Au Soudan, l'ex-rebelle sudiste intronisé au Nord », Libération,‎ (lire en ligne)
  30. a b et c « Des émeutes à Khartoum font plusieurs morts après l'annonce du décès du vice-président et ex-chef rebelle John Garang », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  31. « Soudan : John Garang inhumé, l'accord de paix sera appliqué », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  32. « Mort de John Garang : l'enquête conclut à une erreur du pilote », sur Les Echos,
  33. a et b « Voyage du pape au Sud-Soudan : qui est Rebecca Nyandeng de Mabior, la mère de la nation ? », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

Articles scientifiques[modifier | modifier le code]

  • Gérard Prunier, « Les partis politiques soudanais « africains » depuis la chute de Nimeiry », Mondes arabes,‎ , p. 24 (lire en ligne)
  • Alex de Waal, « Une perspective de paix pour le Soudan en 2002 ? », Politique africaine,‎ , p. 24 (lire en ligne)
  • Roland Marchal, « Le facteur soudanais, avant et après », Critique internationale,‎ , p. 7 (lire en ligne)
  • John Young, « Le SPLM/SPLA et le gouvernement du Sud-Soudan », Politique africaine,‎ , p. 16 (lire en ligne)
  • Gérard Prunier, « Soudan : aux marges du génocide », Chapitre du livre : « La guerre, Des origines à nos jours »,‎ , p. 7 (lire en ligne)
  • Gwenaëlle Lenoir, « Soudan-Israël. Le changement de cap provoque une crise politique », Orient XXI,‎ , p. 2 (lire en ligne)

Presse et vulgarisation[modifier | modifier le code]

  • Christophe Ayad, « Au Soudan, l'ex-rebelle sudiste intronisé au Nord », Libération,‎ (lire en ligne)
  • « Des émeutes à Khartoum font plusieurs morts après l'annonce du décès du vice-président et ex-chef rebelle John Garang », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  • Jean-Philippe Rémy, « John Garang, ex-chef de la rébellion du sud du Soudan devenu vice-président soudanais », Le Monde,‎ , p. 2 (lire en ligne)
  • « Soudan : John Garang inhumé, l'accord de paix sera appliqué », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  • « Mort de John Garang : l'enquête conclut à une erreur du pilote », Les Échos,‎ , p. 1 (lire en ligne)
  • « Akuol de Mabior raconte son Soudan du Sud, une histoire familiale très politique », RFI,‎ , p. 2 (lire en ligne)
  • Augustine Passilly, « Voyage du pape au Sud-Soudan : qui est Rebecca Nyandeng de Mabior, la mère de la nation ? », La Croix,‎ , p. 2 (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]