Kablouna

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Kablouna
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Kablouna est un récit de voyage qui relate le séjour d'une année de l'aventurier français Gontran de Poncins parmi les Inuits du Canada, en 1938-1939. Écrit en collaboration avec Lewis Galantière, il a d'abord été publié en anglais à New York, en 1941, puis traduit en français six années plus tard. Aux États-Unis, où il a connu une grande popularité, il est resté considéré comme un classique du genre.

Éléments du récit[modifier | modifier le code]

Kablouna est dans la page Nunavut.
Coppermine (Kugluktuk)
Pelly Bay (Kugaaruk)
Localités mentionnées dans Kablouna.

Kablouna [n 1] relate le voyage de Gontran de Poncins, seul, sans assistance ni itinéraire préétabli, dans l'Arctique canadien, où il partagea pendant un an la vie d'un groupe d'Inuits[n 2] Netsilik[2].

Parti de France en , parrainé par la Société de géographie et le musée de l'Homme, l'auteur avait pour projet d'étudier « la vie des Esquimaux [et de] rapporter leurs outils les plus anciens », à une époque où, depuis une trentaine d'années déjà, leur mode de vie traditionnel était remis en cause par l'influence des missionnaires et des marchands de fourrures[2]. De Coppermine (aujourd'hui Kugluktuk), il gagna Gjoa Haven, sur l'île du Roi-Guillaume[3]. Prenant cette localité pour base, il parcourut la région, à pied ou en traîneau à chiens, accompagnant les mouvements saisonniers de ses hôtes d'un camp de chasse à l'autre, poussant vers l'est jusqu'aux confins de Pelly Bay (Kugaaruk), atteints en [4].

Le texte dépeint l'existence nomade des Inuits — sous un climat où des températures de −40 °C à −50 °C sont courantes pendant la plus grande partie de l'année —, les contraintes et les joies de la vie en igloo, l'échange des femmes et la sexualité débridée du printemps[5], les pratiques de chasse et de partage de la nourriture[6], l'importance de la famille et la place qui y est faite aux chiens, la force des individualités et celle de la solidarité collective[7].

Cependant l'intention exprimée par l'auteur dépasse la simple observation[8],[2] :

« [L’Esquimau] n’était pas à mes yeux une « espèce » intéressante, pas plus que je n’étais aux siens un savant consciencieux… Il s’agissait pour moi de vivre la vie eskimaude, non de la mesurer avec des instruments de précision[9]. »

Sa démarche vise à rendre compte, dans la mesure du possible, de la réalité psychologique de ses compagnons[4] :

« des êtres étonnants et quasi-incompréhensibles rêvent, mangent et rient, vivent une existence matérielle d’une brutalité inouïe, alliée à une vie spirituelle d’une grande subtilité, pleine de sous-entendus, de nuances, de choses senties plus qu’exprimées… et peut-être inexprimables[10]. »

Il tire de son expérience une forme de respect pour la culture inuite[4] :

« Si l’on me dit que les Esquimaux, d’après leur genre de vie, sont d’une race inférieure, je répondrai qu’ils ont un sens de la fraternité, une dignité et une délicatesse qui feraient honte à bien des Blancs[11]. »

En complément du texte, l'ouvrage comporte de nombreux dessins de l'auteur et 32 pages de photographies en noir et blanc dans sa première édition[12].

Publication et réception[modifier | modifier le code]

De son année de séjour parmi les Inuits, Gontran de Poncins rapporta 1 200 pages[13] d'observations et de notes quotidiennes, en français et en anglais[14]. Mis en forme et entièrement en anglais par un éditeur du groupe de presse Time[14], Lewis Galantière, le texte fut sélectionné par le Book of the Month Club (en)[13] en [8].

L'ouvrage, titré Kabloona, fut donc d'abord publié aux États-Unis, où le groupe Time assura sa promotion auprès du grand public américain. L'édition française, traduite de l'anglais, fut publiée en 1947[14].

Dès sa première publication aux États-Unis, le livre fut salué comme un chef-d’œuvre de la littérature polaire[2], voire tout simplement comme un « chef-d'œuvre littéraire », selon les termes de la Saturday Review[13]. Vendu à quelque deux millions d'exemplaires[2],[13], il figurait toujours, au début du XXIe siècle, parmi les classiques de la littérature d'aventure[l 2].

Analyses[modifier | modifier le code]

Selon un témoignage de Lewis Galantière, Kablouna, bien que son texte récuse explicitement toute prétention scientifique, a été cité par Bronisław Malinowski comme un modèle d'écriture ethnographique[15].

Les commentateurs ont souvent souligné que, comme l'a écrit Christophe Roustan-Delatour, Gontran de Poncins « racontait surtout son propre cheminement intérieur[2] » : celui d'un homme qui, « au terme d'une décennie d'errance[2] », avait fui, selon l'expression d'Henry Seidel Canby, « le malaise de la civilisation moderne, [...] mécanique et guerrière[8] », dans l'espoir de retrouver chez les Inuits les sources perdues du bonheur[8], et de s'y trouver lui-même[2]. Au cours de cette quête et, à nouveau selon les termes d'Henry Seidel Canby, « autant qu'il est possible à un homme de notre culture, il était, pour un temps, devenu un Esquimau[5]. »

Shari Michelle Huhndorf a plutôt insisté sur les limites de cette identification : l'auteur voyageur, s'il respecte les valeurs inuites, les définit en termes chrétiens ; de même qu'il désigne les lieux sous leurs noms coloniaux, il définit les Inuits eux-mêmes par rapport aux Européens, en faisant des premiers l'incarnation vivante des ancêtres préhistoriques des seconds[16]. Dépeints comme plus nobles et plus purs que leurs congénères occidentaux, ce sont aussi des « primitifs » qui personnifient à ses yeux les vices liés à ce que la société industrielle réprime : le charnel et l'animal[16]. Aussi, alors qu'à la fin du récit, Poncins, transformé et purifié par son parcours, regagne le monde moderne, l'Inuit ne peut manifestement trouver aucune place dans celui-ci[17]. En somme, l'Arctique a simplement « fourni un lieu pour mettre en pratique une vision racialisée du progrès qui naturalise la domination blanche » et l'expérience de la vie inuite « a finalement confirmé les valeurs occidentales et les pratiques coloniales »[18].

Éditions[modifier | modifier le code]

En anglais
  • (en) Gontran de Poncins (auteur) et Lewis Galantière (collaborateur), Kabloona, New York, Reynal & Hitchcock, , 339 p. (OCLC 1031250669).
  • (en) Gontran de Poncins (auteur) et Lewis Galantière (collaborateur) (préf. Eric Linklater), Kabloona, Londres, Jonathan Cape, , 320 p. (lire en ligne).
  • (en) Gontran de Poncins (auteur) et Lewis Galantière (collaborateur, nouvelle préface), Kabloona, New York, Time, , 322 p. (OCLC 625210).
En français

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes
  1. Le terme vient de l'inuktitut qallunaaq, qui désigne les personnes d’origine non inuite, spécialement « les Canadiens blancs résidant de façon temporaire ou permanente dans les communautés du Grand Nord »[l 1].
  2. Alors encore appelés le plus souvent « Esquimaux »[1].
Références en ligne
  1. René R. Gadacz, « Kablouna », sur L'Encyclopédie canadienne, .
  2. À la 84e place dans (en) « Extreme Classics: The 100 Greatest Adventure Books of All Time », National Geographic Adventure,‎ (présentation en ligne).
Renvois bibliographiques
  1. Canby 1941, p. 1-3.
  2. a b c d e f g et h Roustan-Delatour 2005, p. 140.
  3. Roustan-Delatour 2005, p. 140-141.
  4. a b et c Roustan-Delatour 2005, p. 141.
  5. a et b Canby 1941, p. 2.
  6. Canby 1941, p. 2-3.
  7. Canby 1941, p. 3.
  8. a b c et d Canby 1941, p. 1.
  9. Poncins 1991, p. 17.
  10. Poncins 1991, p. 259.
  11. Poncins 1991, p. 120.
  12. Poncins et Galantière 1941, 339 pages.
  13. a b c et d Poncins 1991b, notice sur l'auteur.
  14. a b et c Huhndorf 2001, p. 116.
  15. Poncins et Galantière 1965, nouvelle préface de Lewis Galantière.
  16. a et b Huhndorf 2001, p. 121.
  17. Huhndorf 2001, p. 121-122.
  18. Huhndorf 2001, p. 122.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Christophe Roustan-Delatour, « Gontran de Poncins, une passion pour les Inuit », Tribal Arts, no 38,‎ , p. 140-147 (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Henry Seidel Canby, « Kabloona by Gontran de Poncins », Book-of-the-Month Club News,‎ (lire en ligne, consulté le ) (réimprimé à part sur 4 pages).
  • (en) Gontran de Poncins (trad. Bernard Frechtman), From a Chinese City, Trackless Sands, , 262 p. (ISBN 978-1-879434-01-1, présentation en ligne).
  • (en) Shari Michelle Huhndorf, Going Native : Indians in the American Cultural Imagination, Cornell University Press, , 220 p. (ISBN 0-8014-8695-5, lire en ligne), « Kabloona and the (anti)colonial subject », p. 116-122.